Les constructeurs automobiles se disent prêts pour le virage électrique imposé par le gouvernement québécois, qui s'étirera jusqu'en 2035. Serez-vous de la partie?
Des véhicules moins chers qu’on pense
Faire oublier les stations-service…
Sauver la planète, vraiment?
En novembre 2020, le gouvernement Legault a annoncé qu’à partir de 2035, la vente de véhicules neufs exclusivement à essence sera interdite au Québec. Il sera tout de même possible de vous procurer une hybride rechargeable neuve ou une auto à essence usagée. D'ici là, les constructeurs comptent mettre en marché des dizaines de nouveaux modèles électrifiés à un prix plus abordable que les modèles actuels. Depuis le temps que les automobilistes québécois en rêvent…
« Ma prochaine voiture va être électrique. » C'est ce qu'affirmait Amélie… en 2011. À ce moment-là, les premiers véhicules électriques (VE) débarquaient au Québec. Ils étaient de petite taille, parcouraient au mieux 120 kilomètres par charge et coûtaient le prix d'un véhicule à essence deux fois plus spacieux. Jeune mère de trois enfants, Amélie a plutôt décidé d'acheter une Subaru Outback (l'édition PZEV, peu polluante), qu'elle comptait conserver 10 ans. Son pari : en 2021, un VE saura remplacer sa familiale intermédiaire sans représenter un sacrifice sur le plan de l'utilité ou du confort.
Heureusement, la technologie a évolué. En 2021, des VE parcourent 350 kilomètres par charge et accueillent confortablement cinq passagers. Leur prix à l'achat est peut-être un peu plus élevé que ce que prévoyait la Montréalaise – qui est entre-temps devenue banlieusarde –, mais un calcul rapide parvient à la convaincre que leur coût d'utilisation est avantageux par rapport à celui d'un véhicule à essence : pas de plein de carburant à faire, moins de composants mécaniques à entretenir, etc.
Par ailleurs, son déménagement en banlieue épargne à Amélie un autre souci lié à la mobilité électrique : la recharge. Elle pourra garer son futur véhicule dans son entrée de garage et le brancher à une borne résidentielle. C'est plus compliqué quand on demeure dans un triplex montréalais et qu'on doit se stationner dans la rue…
Mais cela aussi va changer. Pendant que les constructeurs automobiles injectent des sommes records dans l'électrification, les gouvernements investissent dans des solutions de recharge et promettent de régler de façon durable ce problème.
Bref, tout semble se mettre en place pour favoriser l'électrification. Les automobilistes seront-ils convaincus?
Des véhicules moins chers qu’on pense
Si vous hésitez à passer à l'électrique, c'est probablement pour l'une ou l'autre de ces raisons : cela coûte trop cher, ou alors les véhicules existants ne répondent pas à vos besoins. L'industrie automobile connaît ces arguments. Forcée par les gouvernements à prendre le virage électrique, elle promet des solutions à de tels problèmes.
D'abord, le prix. C'est le principal frein à l'achat, selon un sondage de la firme KPMG effectué en janvier dernier. Heureusement, la situation évolue.
Le prix de détail de l'édition 2022 de la Chevrolet Bolt – et sa nouvelle déclinaison familiale, la Bolt EUV – en est la meilleure illustration. Ces deux VE, qui devraient avoir une autonomie de 402 à 417 km par charge, coûtent respectivement 40 348 $ et 42 348 $ (frais inclus).
Au Québec, soustrayez 11 307 $ en subventions (13 000 $ après les taxes, soit 8 000 $ de Québec et 5 000 $ d'Ottawa). Soudain, le prix de ces deux modèles se rapproche de celui d'un véhicule à essence comparable. Leur autonomie par charge équivaut à celle d'un plein d'essence. La différence principale : le coût pour faire le plein. CAA-Québec estime qu'il faut payer annuellement 294 $ pour charger une Chevrolet Bolt parcourant en moyenne 20 000 kilomètres par an. Rouler la même distance à bord d'une Mazda3 Sport GS, une compacte à hayon à essence dont le prix de vente est comparable, coûtera 1 968 $ par an en carburant.
Coût total d'utilisation de la Chevrolet Bolt et de la Mazda3 Sport GS (20 000 km/an)
* Estimé à partir du modèle 2021
Notes : ces calculs excluent le financement, les taxes de vente, l’inflation et la dépréciation. Le prix des véhicules inclut les frais de transport et de préparation ainsi que la taxe d’accise, un montant duquel nous avons déduit les subventions pour le VE. Comme les subventions s’appliquent après les taxes, nous avons utilisé un montant équivalent avant taxes. Le coût du carburant utilisé est de 1,24 $ le litre.
Sources: CAA-Québec et constructeurs automobiles cités.
Le prix des VE baisse constamment et pourrait équivaloir d'ici cinq ans à celui d’un véhicule à essence comparable, d’après Mobilité électrique Canada, un regroupement d’entreprises spécialisées en mobilité électrique. Les constructeurs continuent donc de baisser les prix. Mais pas trop, comme le nuance Daniel Breton, président-directeur général de l’organisme : « Ils préféreront peut-être améliorer la fiche technique de leurs nouveaux modèles en améliorant leur autonomie ou leur performance. »
L'Association pour la protection des automobilistes (APA) partage cet avis. « Il est difficile d'estimer quand le prix des VE et des véhicules à essence sera le même. Les constructeurs vont vouloir récupérer les milliards de dollars investis dans la technologie », prédit son président, George Iny. Celui-ci juge raisonnable d'imaginer que le prix des VE demeurera un peu plus élevé, ce qui sera contrebalancé par un coût d'utilisation moindre et les subventions.
Le gouvernement du Québec a promis qu'il conserverait son aide à l'achat de 8 000 $ jusqu'en 2026. Pour la suite, rien n'est certain. Plusieurs critiquent cette mesure, laquelle encourage le transport privé et profite surtout aux gens plus aisés qui sont capables de s'offrir une voiture plus coûteuse que les modèles d'entrée de gamme et qui ont accès à un stationnement individuel avec prise. « Cela va bénéficier aux banlieues et pourrait contribuer à l’étalement urbain ainsi qu'à la congestion routière. Et sans les taxes perçues sur l’essence, est-ce que ça va appauvrir le transport en commun? » se questionne George Iny.
Faire oublier les stations-service…
Autre question de perception : les véhicules électriques ne sont pas cool. Pas de grondement de moteur, pas de format surdimensionné pour l’instant… et surtout pas de possibilité d'aller n'importe où, n'importe quand, que ce soit sur la route ou hors route. Les stations de recharge demeurent moins fréquentes que les pompes à essence des stations-service, omniprésentes partout dans la province.
La question de la recharge refroidit bien des acheteurs. À tort ou à raison, beaucoup craignent de manquer de jus en plein désert. C'est ce qu'on appelle « l'angoisse de la panne ».
Une inquiétude que compte faire disparaître Hydro-Québec avec son réseau de bornes publiques, le Circuit électrique. En ville comme en région, la société d'État a un plan, comme l'explique Cendrix Bouchard, son porte-parole : « D'environ 3 250 bornes en ce moment, le Circuit électrique passera à 7 000 en 2030, dont 2 500 à recharge rapide, en grande majorité des bornes sur rue. » Ces nouvelles bornes répondront aux besoins des conducteurs qui n’ont pas accès à la recharge à la maison, d'après lui. En ville, leur tarification sera revue pour rendre ces bornes aussi peu coûteuses qu'une recharge faite à la maison.
Leur positionnement devra toutefois être plus stratégique, selon George Iny, de l'APA. « Une erreur d’Hydro-Québec et des municipalités est de s’être éloignées des stations-service, dit-il. Elles ont les bons emplacements, sont éclairées la nuit et ont du personnel pour surveiller, ont souvent un magasin et comprennent la valeur de concentrer plusieurs pompes à un endroit, ce qui est de loin plus optimisé que l’emplacement des bornes de recharge sur le bord des trottoirs et dans les stationnements qui sont inoccupés la nuit. »
À cela s'ajoute un programme d'aide gouvernementale qui vous rembourse 600 $ sur l’achat d'une borne installée à la maison. Selon l’Association des véhicules électriques du Québec (AVEQ), 9 propriétaires de VE sur 10 rechargent leur véhicule la nuit à la maison, ce qui leur évite de recourir aux bornes publiques. Car pour l’instant, vous brancher à une borne résidentielle coûte moins cher que le faire à une borne publique.
Ainsi, ajouter une borne à votre maison unifamiliale ne constitue pas un grand souci. Mais si vous vivez en copropriété ou dans un édifice multilogements, cela pourrait se gâter : bien des propriétaires d'immeubles à logements et des syndicats de copropriété n'en veulent pas. Trop cher, trop compliqué, etc.
Heureusement, des solutions existent : Hydro-Québec fournit un guide qui explique comment présenter favorablement le projet. Spécialisée dans l'installation de bornes dans des édifices multirésidentiels, l'entreprise RVE, de Laval, simplifie encore plus ce processus : elle a mis au point un dispositif relativement abordable qui permet d'associer une borne au bon logement, afin que l'électricité consommée soit facturée à la bonne personne.
David Corbeil, président-directeur général et cofondateur de RVE, prêche pour sa paroisse, mais son argument en faveur de l'installation d'une borne domestique est intéressant : ce n'est pas une dépense, mais un investissement. « Bientôt, ce sera comme avoir une piscine dans votre cour : si votre résidence a une borne, elle pourrait trouver preneur plus rapidement! » compare-t-il.
Sauver la planète, vraiment?
Dans son Plan pour une économie verte, le gouvernement du Québec souhaite que 1,5 million de VE prennent la route d’ici 2030. Selon le ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, cela contribuera à réduire d'environ 40 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 1990. Un plan ambitieux : s’il se réalise, la demande en électricité de la province bondira de 4,5 térawattheures. À en croire les données d'Hydro-Québec, c'est l'équivalent de brancher plus de 200 000 nouvelles maisons au réseau public!
La société d’État se dit prête. La recharge se produit généralement la nuit, à un moment où son réseau est moins occupé. Et pour éviter des pics de demande, elle misera sur la gestion intelligente de la consommation électrique, notamment grâce à sa nouvelle filiale Hilo, pour répartir cette demande durant les périodes plus calmes.
En fait, là où le plan du Québec risque de rencontrer le plus de difficultés, c'est dans la cour des concessionnaires automobiles, où les VE n'arrivent pas assez vite. Les constructeurs peinent à en produire suffisamment pour satisfaire la demande. Des composants électroniques sont en rupture de stock. On s'inquiète même de manquer de batteries.
« Il y a un décalage entre la volonté des gouvernements et la capacité de l'industrie, constate l'analyste automobile Dennis DesRosiers. L'approvisionnement en composants critiques, comme les batteries, risque d'être insuffisant pour réaliser ce virage à temps. »
George Iny, de l'APA, est plus optimiste: « Il y aura presque certainement des nouvelles formulations chimiques pour les batteries d'ici cinq ans qui réduiront les besoins en métaux rares », dit-il.
Là-dessus, Québec croit faire partie de la solution : avec sa stratégie de développement de la filière des batteries au lithium-ion, le gouvernement Legault veut faire de la province un producteur de composants pour l'industrie nord-américaine en misant sur son énergie propre et renouvelable ainsi que sur ses abondantes ressources en minéraux critiques et stratégiques. Lion Électrique, à Saint-Jérôme, produira des batteries pour ses camions de livraison et ses autobus. De son côté, Recyclage Lithion, à Montréal, est l'une des pionnières du recyclage de batteries de VE. Dès 2022, elle sera en mesure de récupérer 95 % des matériaux des batteries usagées de véhicules hybrides et électriques comme ceux de marque Hyundai, avec qui elle a justement établi un partenariat.
Bref, pour le Québec, l'objectif est double : réduire la pollution liée au transport et créer une nouvelle industrie. Rien n'est encore gagné, mais le mouvement semble amorcé. Reste à voir si les acheteurs suivront en nombre suffisant pour réaliser ces objectifs.
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