Héritage : quels avantages à le léguer de son vivant?
Donner une partie de son héritage à ses enfants de son vivant peut présenter des avantages, notamment fiscaux, mais aussi quelques risques. Voici ce que vous devez savoir avant d’aller de l’avant.
Diane et Luc*, tous deux âgés de 70 ans, n’ont pas attendu leur mort pour léguer leur héritage à leurs enfants. En partie, du moins. En 2022, le couple de Victoriaville a décidé d’aider sa fille, mère de deux petits, à réaliser le projet de vie qu’elle caressait : devenir propriétaire du duplex qu’elle habitait depuis des années. Cette avance sur son héritage lui a ainsi permis de constituer la mise de fonds qui lui était nécessaire dans un marché en forte ébullition. « On se disait : pourquoi avoir de l’argent qui est placé, mais qui rapporte plus ou moins, plutôt que de lui donner un coup de main maintenant? » explique Luc.
* Bien que ces témoignages soient réels, les prénoms utilisés dans l’article sont fictifs pour préserver l’anonymat des personnes.
De plus en plus de baby-boomers font des dons à leurs héritiers de leur vivant, notamment pour les aider à affronter la flambée immobilière. En 2020 au Canada, les parents ont donné plus de 10 milliards de dollars à leur progéniture pour la soutenir dans l’achat d’une maison, selon des données de la CIBC. En moyenne, ils ont sorti de leur poche 82 000 $, soit une hausse de 58 % par rapport à la moyenne de 2015. « On assiste à un mouvement qui est lié à un changement démographique important, soit le transfert de richesse intergénérationnel. Les baby-boomers vieillissent et prennent leur retraite, leurs parents sont âgés et meurent, ce qui les pousse à verser des sommes d’argent », observe Fabien Major, planificateur financier.
Il faut dire que donner de son vivant présente plusieurs avantages, selon les experts consultés… à condition de bien faire les choses. Voici ce que vous devez savoir pour que votre don ne se transforme pas en cadeau empoisonné, pour votre enfant comme pour vous-même.
Un don qui rapporte
Léguer de son vivant est avant tout avantageux d’un point de vue humain, de l’avis de Fabien Major, qui encourage la pratique lorsque les donateurs en ont les moyens. « Ça vient donner un sens à l’argent, aux efforts et aux sacrifices qu’on a faits. C’est une manifestation du vivant qui est beaucoup plus forte qu’à la mort », soutient-il.
D’une part, cela permet de répondre aux besoins financiers du bénéficiaire au moment où cette personne en a… ce qui survient habituellement plus dans la trentaine que dans la soixante-dizaine! Par exemple, c’est grâce à cette aide parentale que Rachel a pu se payer une voiture neuve, dont elle avait besoin pour le travail. Catherine, elle, a réalisé le voyage de ses rêves : un rallye-raid au Maroc.
D’autre part, le donateur peut profiter de l’effet de son don, comme en témoigne Diane. « Je suis contente de voir ça. Quand on attend, on n’est plus là pour le voir. En tout cas, moi, je suis pas mal fière de nous! » lance cette mère et grand-mère, le sourire dans la voix. « C’est un acte d’amour inconditionnel, ajoute sa fille, visiblement touchée par le geste. On sait qu’on est très chanceux. »
Ce n’est pas tout. Gestionnaire fiduciaire chez Desjardins, Caroline Marion ajoute que les dons en argent peuvent aussi présenter un avantage fiscal. C’est le cas plus précisément pour les personnes qui détiennent beaucoup d’actifs dans leur régime enregistré d’épargne-retraite (REER) : « Quand j’ai commencé à pratiquer, ce n’était pas courant de voir des REER d’un million de dollars. De nos jours, c’est très courant », souligne celle qui cumule les titres de notaire, fiscaliste et planificatrice financière.
Or, une fois au décès, cela veut dire de l’impôt à payer d’un seul coup, à un taux marginal plus élevé que si des retraits avaient été étalés sur plusieurs années. « Je vois des gens qui ont reporté toute leur vie le décaissement de leur REER avec une imposition massive au moment du décès. C’est vraiment dommage, parce que l’argent aurait pu être donné plus tôt et probablement en payant moins d’impôt », affirme Caroline Marion. Ce conseil implique cependant de faire de plus petits dons sur quelques années plutôt qu’un seul plus important.
En avez-vous vraiment les moyens?
Si vous songez à transmettre une partie de votre patrimoine avant votre décès, encore faut-il vous assurer que vous en avez les moyens. « Il est possible de carrément se faire coincer et de finir par survivre à ses épargnes. C’est le plus grand risque : être en bonne santé, mais ne plus avoir d’argent », dit Fabien Major.
Pour éviter de donner ce dont vous pourriez avoir besoin plus tard, il vous faut évaluer avec précision l’incidence de ce don sur vos revenus futurs, et ce, même quand vous redonnez un héritage que vous n’aviez pas prévu recevoir. Selon le planificateur financier, vous devez tenir compte non seulement de l’inflation, mais aussi de votre résistance au stress financier, laquelle diminue souvent en vieillissant.
Pour ce faire, il est impératif de vous entourer de spécialistes, comme le conseille Fabien Major : « C’est le métier du planificateur financier de faire des projections. C’est le métier du fiscaliste et du comptable d’évaluer avec précision l’impact fiscal. C’est le métier du notaire de connaître les lois de transmission. Si on s’improvise, on peut faire de méchantes gaffes. »
Selon Caroline Marion, la projection des revenus à la retraite doit être la plus conservatrice possible. « À partir du moment où on se rend compte que, même avec le pire scénario, on est en situation de surplus, on peut aller de l’avant avec ses dons », estime-t-elle.
Le risque de l’effet loterie
Caroline Marion met également les gens en garde contre le risque de trop donner, par exemple à une personne qui n’a pas la maturité financière nécessaire pour gérer un tel cadeau. Résultat : le donataire est alors susceptible de prendre de mauvaises décisions et de dilapider son don, un effet pervers qui s’observe également chez certains gagnants à la loterie, comme l’explique l’experte. L’autre danger, d’après elle, c’est de rendre l’acquéreur dépendant financièrement du donateur, ce qui pourrait affecter la relation entre eux : « J’ai vu des situations atroces où des enfants ayant été mis trop tôt dans une situation de dépendance financière vis-à-vis de leur parent ne lui parlent plus aujourd’hui, convaincus d’être lésés par l’arrêt des dons. »
Transmission immobilière : attention!
Donner un chèque et léguer un chalet n’aura pas les mêmes répercussions fiscales. En effet, un don en argent est non imposable, à la fois pour le donataire et pour le donateur (à moins que le don provienne d’un REER, dont les retraits sont imposables). Même chose pour la transmission d’une résidence principale : pas d’imposition à prévoir si papa ou grand-maman donne sa propriété, de son vivant ou à sa mort.
A contrario, léguer une résidence secondaire ou encore un terrain est imposable; vous devrez payer 50 % d’impôt sur le gain en capital réalisé cette année-là. Par exemple, si vous donnez à un proche un chalet payé 200 000 $, mais que sa juste valeur marchande est évaluée à 250 000 $, vous serez imposé sur la moitié des 50 000 $ de profits.
Évitez surtout de vendre à votre enfant ce même chalet à 1 $ ou à un prix inférieur à la valeur marchande, selon les recommandations de Sophie Bélanger, professeure adjointe en fiscalité à l’Université de Sherbrooke. « Une vente à rabais entre personnes qui ont un lien de dépendance, on ne fait pas ça parce qu’on crée une double imposition », précise-t-elle.
Reprenons l’exemple du chalet évalué à 250 000 $. Qu’il le vende ou qu’il le donne, le parent devra payer de l’impôt sur la plus-value réalisée. Toutefois, si l’enfant lui achète à 1 $ et qu’il choisit de le revendre à sa pleine valeur le mois suivant, il fera un gain en capital de… 249 999 $! Dans le cas où 50 % de ce gain serait imposable et que son taux d’imposition serait de 50 %, il aurait à payer un impôt de 62 500 $ portant sur la vente du chalet. Le don permet d’éviter cette double imposition.
L’équité entre les enfants
Chantale, 69 ans, a hérité il y a trois ans de sa mère : un chèque inattendu de 50 000 $ dont elle ne dépendait pas pour sa retraite. « J’aurais pu faire des rénovations ou un voyage, mais j’ai jugé que ce n’était pas ce qui était important », dit-elle. N’ayant pas d’enfant, la Montréalaise a plutôt décidé de léguer ce montant à son filleul pour l’aider à acheter un premier condo.
Pour Chantale, la question de l’équité entre les enfants ne s’est donc pas posée, mais pour Diane et Luc, parents deux fois, oui. Quelle est la meilleure pratique dans de tels cas? « Être équitable et égal, ça se ressemble beaucoup, mais ce n’est pas tout à fait la même chose, fait remarquer Fabien Major. Est-ce vraiment équitable de donner 100 000 $ à quelqu’un qui n’en a pas besoin? »
La fille de Diane et Luc avait « besoin » d’un coup de pouce pour l’achat de son duplex. Leur fils aîné, lui, est déjà propriétaire d’un immeuble à revenus. « Ça a toujours été important pour nous d’être équitables avec les deux enfants. Notre fils sait que, plus tard, ce qui aura été donné à sa sœur lui sera compensé au moment du partage », explique Luc. Ainsi, les testaments du père et de la mère prévoient qu’il touchera aussi une somme d’argent et que leurs biens immobiliers seront partagés entre les deux enfants.
C’est ce que recommandent les experts consultés : agir en toute transparence avec les membres de la famille, pour éviter de susciter de la jalousie ou de l’incompréhension. Organiser une réunion familiale avec un professionnel, comme un comptable ou un planificateur financier, est aussi conseillé : « Cette personne, qui est neutre, agit comme un intermédiaire, ce qui permet de calmer les esprits », indique Caroline Marion.
Laisser des traces
La gestionnaire fiduciaire souligne que si un don immobilier est automatiquement notarié, il n’est pas obligatoire de passer chez le notaire pour les dons en argent. Cela dit, il est fortement conseillé de le faire dans certaines situations, notamment lorsque votre héritier utilise ce don pour acheter une propriété avec son ou sa partenaire de vie. C’est encore plus vrai pour les couples mariés puisqu’un domicile fait partie du patrimoine familial et que celui-ci devra, en cas de divorce, être partagé moitié-moitié entre les époux séparés. L’acte notarié permet au donataire de déduire l’argent du patrimoine familial.
Dans tous les cas, Caroline Marion insiste sur l’importance de documenter le don. « Il ne faut pas juste faire un chèque, mais aussi écrire la raison sur le chèque et s’assurer que l’enfant en garde une copie dans ses dossiers », fait-elle valoir.
Après un don, il est finalement conseillé que vous révisiez votre planification successorale en mettant à jour votre bilan patrimonial, en prévoyant comment le reste des actifs sera distribué à votre mort, en revoyant les stratégies à privilégier pour réduire les répercussions fiscales de votre héritage, etc. Vous gagnez peut-être aussi à amender votre testament ou à le refaire complètement.
La donation internationale
Vous recevez un don de source étrangère ou vous comptez en faire un à un proche établi ailleurs dans le monde? Me Nathalène Chapuis, notaire, rappelle que comme dans le cas de la succession internationale, il faut d’abord vérifier si le don est imposable dans chacun des pays concernés, étant donné que plusieurs États dans le monde ont un impôt sur les donations.
La notaire donne l’exemple d’un donateur qui habite en France et qui donne de l’argent à un proche résidant au Canada : « La France va taxer le don. Au Canada, il n’y aura toutefois pas d’impôt à payer puisque la donation d’une somme d’argent est non imposable. »
Ensuite, vérifiez si une convention ou une entente fiscale entre les deux pays permet d’éviter la double imposition. Pour ce faire, il peut être avisé de consulter un notaire ou un fiscaliste spécialisé.
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