Les écrans solaires, tueurs de coraux?

Adopter le principe de précaution
Concilier santé et protection des coraux 
Attention à l’écoblanchiment

Depuis les années 2000, les écrans solaires, indispensables pour vous protéger des rayons ultraviolets, sont soupçonnés d’être toxiques pour les océans, et plus particulièrement les récifs coralliens. Des agents de conservation, comme certains parabènes, et des filtres chimiques, tels que l’oxybenzone, l’octinoxate et l’octocrylène, contribueraient au blanchissement des coraux, signe de leur dépérissement.

Les résultats alarmants de plusieurs études ont conduit des pays à interdire les crèmes solaires toxiques pour les coraux, à commencer par les Palaos, un archipel de l’ouest du Pacifique. Ces restrictions se sont ensuite étendues aux États-Unis (État d’Hawaï, iles Vierges, plages de Floride et de Californie), à la Thaïlande, au Mexique, au Costa Rica…

Or, une revue des études existantes publiée en 2021 conclut que les preuves sont insuffisantes pour établir un lien de cause à effet entre les crèmes solaires et le blanchissement de coraux. Les auteurs notent, entre autres, que les concentrations de produits chimiques utilisées lors des tests sont beaucoup plus élevées qu’en situation réelle à proximité des coraux.

Des chercheurs poursuivent donc l’évaluation des répercussions environnementales des filtres solaires chimiques. Les Académies nationales des sciences, d’ingénierie et de médecine aux États-Unis ont publié, en 2022, une revue sur le sujet. Cette dernière est toujours en cours d’examen par l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique pour déterminer la conduite à observer.

Les chercheurs n’ont cependant aucun doute sur les effets dévastateurs du réchauffement des eaux, conséquence des changements climatiques, sur les récifs et leur blanchissement.

Adopter le principe de précaution

Même si le lien entre les filtres chimiques et la dégradation des coraux n’a pas encore été clairement quantifié, Normand Voyer, chimiste et professeur titulaire au Département de chimie de l’Université Laval, estime que le principe de précaution devrait s’appliquer. « Ce n’est jamais une bonne idée d’envoyer des polluants dans l’environnement, fait-il valoir. Ça a des impacts sur les écosystèmes, parce que les bloqueurs chimiques ne sont pas filtrés par les usines de traitement d’eau. »

L’ampleur des conséquences pour la vie aquatique dépend toutefois de la concentration des polluants dans les océans.

Cyrielle Maison, spécialiste des communications et de l’engagement du public à la Fondation David Suzuki, insiste sur le fait que le phénomène ne touche pas seulement les récifs exotiques. « Les produits chimiques dans les écrans solaires peuvent aussi nuire à la vie aquatique chez nous, dans nos lacs et nos rivières », dit-elle.

Bien qu’il soit sensible aux effets des crèmes solaires sur la planète, le D^r Jérôme Coulombe, dermatologue pédiatrique au CHU Sainte-Justine, rappelle que les crèmes solaires ont un effet positif indéniable sur la santé. « Notre position d’experts de la peau, c’est qu’on sait que l’exposition au soleil cause des cancers ; donc, on va sauver nos patients avec des écrans solaires avant de sauver les coraux », souligne-t-il.

Concilier santé et protection des coraux

Moins vous vous exposez, moins vous avez besoin de vous enduire de crème. Évitez de vous installer au soleil pendant des heures, en particulier de 11 h à 15 h, moment où les rayons ultraviolets (UV) sont les plus forts.

Tous les experts consultés recommandent de porter des vêtements anti-UV, qui permettent de limiter les surfaces de peau à protéger et donc de réduire les résidus de crème dans les océans ou les lacs. Ces habits sont essentiels dans les endroits où les écrans solaires sont tout simplement interdits, par exemple dans les cénotes (piscines naturelles) du Mexique. À défaut, vous pouvez porter vos vêtements habituels, en privilégiant ceux qui sont tissés serré, mais la baignade sera moins agréable.

Au rayon des écrans solaires, évitez ceux qui contiennent des filtres chimiques, notamment l’oxybenzone, l’octinoxate et l’octocrylène. Ces substances, qui peuvent, à fortes doses, agir sur les fonctions hormonales du corps humain, se retrouvent dans de nombreux produits. Elles sont autorisées par Santé Canada dans des concentrations semblables à celles permises aux États-Unis et en Europe.

Les filtres physiques, comme le dioxyde de titane ou l’oxyde de zinc, semblent constituer de meilleures options. « Jusqu’à maintenant, les études démontrent que leur impact sur l’environnement est moindre que celui des filtres chimiques », indique Normand Voyer.

Attention à l’écoblanchiment

« Les fabricants savent que les gens ont conscience de l’impact sur l’environnement des crèmes solaires », soulève Cyrielle Maison. Dans notre test, six produits affichent une allégation de type « protection des coraux » ou « plus de respect des océans ». Des mentions qui ne sont pas règlementées. Mieux vaut vérifier vous-même les étiquettes, par exemple en vous aidant de l’application Le Décodeur, des Éditions Protégez-Vous. En numérisant la liste d’ingrédients du produit, vous obtiendrez les informations sur les risques auxquels ils sont associés. Si vous prévoyez voyager, assurez-vous que les filtres utilisés sont autorisés à votre destination.

Enfin, évitez les écrans solaires en vaporisateur, qui peuvent se disperser sur le sol et dans les cours d’eau, ainsi que les emballages fait de plastique ni recyclé ni recyclable.