Coton, polyester, rayonne; recyclé, biologique… S’il n’existe pas de matière textile parfaite ni de production irréprochable, il y a des choix plus responsables que d’autres à faire. Et la réponse se trouve souvent sur l'étiquette!
Pour confectionner des vêtements, il faut une étoffe, et pour obtenir celle-ci, il faut faire un fil à partir de fibres, qui elles-mêmes proviennent d’une matière première. À cela s’ajoute un ensemble de procédés de finition, comme la teinture. Bref, aussi bien dire que votre morceau coup de cœur est passé par une multitude d’étapes avant de se retrouver dans votre garde-robe…
Et il aura parcouru beaucoup de chemin! « Un t-shirt peut être fait de coton cultivé en Ouzbékistan, lavé et traité au Pakistan, teint et tricoté en Inde, taillé dans une usine d’une ville adjacente, puis assemblé dans une autre manufacture indienne. Et cet exemple simplifie grandement le chemin parcouru par certains de nos vêtements », écrit Léonie Daignault-Leclerc dans son livre Pour une garde-robe responsable (Éditions La Presse).
Plusieurs facteurs entrent donc en jeu pour évaluer les impacts écologique et social précis d’un vêtement. Lorsque vient le temps de faire un choix un peu plus vert, la réponse se trouve en grande partie sur l’étiquette… mais encore faut-il y comprendre quelque chose!
10 % de coton, 2 % d’élasthanne… 100 % mêlant!
La composition d’un vêtement doit obligatoirement être affichée sur son étiquette (celle qui est cousue à même l’étoffe). Or non seulement les termes qui peuvent y apparaître sont-ils nombreux, mais en outre, plusieurs réfèrent en fait à la même fibre. Par exemple, que votre legging contienne de l’élasthanne, du spandex ou du Lycra (une marque déposée), il s’agit de la même matière.
Le terme « rayonne », pour sa part, est souvent utilisé comme synonyme de viscose, même si, en réalité, il peut s’agir de viscose, de modal ou de lyocell. Ces trois types de rayonne sont issus de procédés différents.
Grosso modo, il existe deux grandes familles :
• Les matières naturelles sont obtenues par la transformation physique et mécanique d’une ressource naturelle, sans que sa composition soit modifiée. On trouve deux sous-catégories : les matières végétales, issues de l’agriculture, et animales, provenant de l’élevage d’animaux (y compris les vers à soie).
• Les matières faites par l’humain sont des fibres qui sont obtenues au bout d'un processus de transformation chimique modifiant leur composition de base, et qui passent en plus par des manipulations physiques et mécaniques. Dans cette catégorie, on trouve les fibres dites artificielles, parce qu’elles ont été transformées par l’humain à partir de ressources naturelles (plus précisément des matières végétales). Le plus souvent, il s’agit de bois (du hêtre, du bouleau, de l’eucalyptus, du bambou, etc.) réduit en copeaux, puis en pulpe, avant d’être traité. Les fibres synthétiques, quant à elles, proviennent de pétrole extrait, raffiné et transformé.
Légende : Cette infographie rassemble les principales fibres textiles qui sont utilisées dans la fabrication de vêtements et qui servent à produire des fils (excluant ainsi le cuir, la fourrure ou le matériel pour faire de l’isolant, comme du duvet). La partie inférieure de l’infographie illustre les principales étapes du cycle de vie.
* Pour faciliter la compréhension de la chaîne de transformation. En réalité, cette étape peut avoir lieu à divers moments avant la confection du vêtement, par exemple avant ou après la filature.
** Le recyclage inclut le conditionnement, par exemple le tri par matière et/ou par couleur, le retrait des accessoires, etc. Par la suite, pour obtenir de nouvelles fibres, le processus peut être mécanique (par défibrage) ou chimique (par dépolymérisation).
La lutte des fibres
Bien que les fibres textiles soient nombreuses, deux d’entre elles dominent l’industrie : le polyester et le coton. Ces incontournables du vêtement comptent pour environ 76 % de toute la production de fibres textiles du monde, selon le rapport de 2022 de Textile Exchange.
Le polyester. Il s’agit de LA fibre textile la plus produite dans le monde; elle représente 54 % des parts du marché mondial, soit plus de 60 millions de tonnes en 2021. Les propriétés du polyester sont hautement appréciées pour les vêtements de tous les jours ou de sport : il est résistant, il évacue bien l’humidité et il limite le froissement.
Toutefois, il a une importante part d’ombre : comme toute fibre synthétique, il s’agit d’un sous-produit du pétrole, une ressource fossile limitée dont l’extraction et la transformation produisent beaucoup de gaz à effet de serre (GES).
De plus, ces matières relâchent des microfibres de plastique lorsqu’elles sont fabriquées, puis à chaque cycle d’entretien qui s’ensuit. Ces microparticules de plastique finissent ainsi leur route dans la nature, notamment dans les eaux, avant d’être absorbées par les animaux et les humains à leur tour.
Le coton. C’est la deuxième matière la plus produite dans le monde; elle correspond à environ 22 % de la production totale de fibres en 2021 (près de 25 millions de tonnes).
Pour cultiver la plante qui fournit cette fibre, beaucoup de terres agricoles sont utilisées, mais également de nombreux pesticides. C’est même la principale culture consommatrice de pesticides dans le monde, selon l’Agence de la transition écologique (ADEME) française. Elle utilise aussi 4 % de tous les fertilisants à l’azote et au phosphore, des engrais qui finissent par s’écouler dans les nappes phréatiques et les cours d’eau, affectant la faune et la flore aquatiques.
Par ailleurs, d’importantes quantités d’eau douce sont nécessaires pour irriguer les champs, ce qui demande souvent de détourner l’eau des rivières et des lacs; un problème important alors que les pays producteurs souffrent souvent d’un accès limité à l’eau douce.
Les autres fibres. Elles se partagent une plus petite part du marché. Les fibres artificielles représentent environ 6,4 % de la production totale de fibres, avec en majorité la viscose (5,1 %), alors que la laine – plus importante fibre d’origine animale – représente à peine 1 %.
Les fibres artificielles proviennent de matières premières végétales qui exigent l’exploitation de terres et de forêts, tandis que leur production demande eau et énergie, en plus d’émettre des GES.
Des produits chimiques toxiques sont aussi utilisés lorsque vient le temps de transformer ces matières, ce qui s’avère néfaste pour la santé humaine et l’environnement si leur utilisation et leur élimination ne sont pas contrôlées, comme l’explique Marianne-Coquelicot Mercier, conseillère en économie circulaire dans l'industrie du textile. En fait, le lyocell constitue l’alternative écologique à la viscose puisque l’eau et les solvants employés lors de sa fabrication sont récupérés.
Par ailleurs, l’élevage d’animaux comme les moutons demande de grands pâturages pour un rendement très limité, tout en émettant son lot de GES (tel le méthane). « Comme pour la soie, il faut vraiment voir la laine comme une fibre de luxe », croit l’experte. Des produits chimiques sont, en outre, parfois utilisés pour éliminer les insectes et les parasites sur le pelage des animaux.
Enfin, les animaux élevés pour leur pelage ou leur peau vivent souvent dans des conditions de confinement, voire de maltraitance.
Méfiez-vous du piège du bambou
Le bambou pousse rapidement et a besoin de peu d’eau et de pesticides; c’est là ses grands avantages. Or, ses propriétés textiles appréciées – par exemple sa douceur – proviennent de la transformation chimique et non de la plante elle-même! Il est d’ailleurs illégal de vendre de la rayonne de bambou (viscose, modal ou lyocell) en employant seulement le terme « bambou » sur l’étiquette de la composition du tissu. Si vous voyez une telle mention, méfiez-vous : un textile naturel fait de bambou est, en effet, extrêmement rare. Il est alors recommandé de formuler une plainte au Bureau de la concurrence du Canada.
Les fibres à privilégier
- Le lyocell (notamment la marque déposée Tencel) : il est produit en boucle fermée, c’est-à-dire que l’eau et les solvants qui servent à traiter cette fibre sont récupérés et réutilisés, éliminant ainsi les rejets dans l’environnement.
- Les matières recyclées (coton, polyester, nylon, etc.) : elles n’exigent pas de nouvelles ressources.
- Le coton biologique : un textile biologique ne doit pas, entre autres, contenir d’organismes génétiquement modifiés (OGM) – ni dans ses graines ni par un autre intrant –, et sa culture doit se faire sans pesticides.
- Le lin et le chanvre (encore plus s’ils sont biologiques) : ce sont des ressources qui nécessitent moins d’eau et d’engrais que le coton, et qui peuvent être cultivées dans des climats moins chauds, comme en France ou même au Canada.
Fait ici : fini les soucis?
Une étiquette qui mentionne que le produit est fabriqué au Canada est gage d’un vêtement ayant été confectionné ici, c’est-à-dire coupé et cousu au pays, comme l’explique Mathieu St-Arnaud Lavoie, directeur général de la Grappe métropolitaine de la mode (ou, plus simplement, mmode), un organisme à but non lucratif qui rassemble les différents acteurs de l’industrie au Québec.
Or, tous types de fibres confondus, la grande majorité des répercussions liées à l’environnement et à la santé se font sentir avant l’étape de la confection des vêtements, notamment au moment de la coloration. Cette étape est en effet gourmande en eau, en énergie et en produits chimiques toxiques, lesquels peuvent en outre être mal réglementés et mal gérés, selon Marianne-Coquelicot Mercier.
Un morceau fait localement n’est donc pas une panacée, mais, en principe, cela assure déjà au consommateur certaines garanties en matière de droit du travail ou de protection sociale, tout en limitant les émissions de GES associées au transport.
« Les manufactures qui tissent ou tricotent des étoffes pour l’industrie de l’habillement sont rares au Québec et au Canada, et encore bien davantage celles qui produisent des fils », indique Mathieu St-Arnaud Lavoie. Par ailleurs, aucune matière première n’est cultivée ou produite ici pour la confection de vêtements (sauf quelques rares exceptions à petite échelle, notamment l’asclépiade, le chanvre et la laine de mouton et d’alpaga).
Des prix qui se justifient
Considérant toutes les étapes de production propres à un vêtement et le voyage que celui-ci doit faire, est-ce sensé qu’il puisse avoir le même prix que celui d’un latté? Qu’une camisole ou un legging coûte 5 $, qu’un t-shirt soit vendu 10 $ et qu’un jean en coton puisse être offert à 50 $ ?
À ces prix-là, il y a nécessairement des pratiques irresponsables et des conditions de travail médiocres derrière tout ça, de l’avis de Léonie Daignault-Leclerc, designer et fondatrice de la marque Gaia & Dubos.
Les vêtements faits à partir de fibres textiles recyclées ou biologiques coûtent plus cher que leurs semblables, et encore plus s’ils sont confectionnés localement. Non seulement c’est normal, mais ils en valent le prix, d’après l’entrepreneure.
Bon nombre de facteurs entrent en ligne de compte dans la facture à payer pour un vêtement, comme le prix du tissu payé par l’entreprise en fonction de sa qualité, du type de fibre utilisé et de la taille du lot acheté. Ajoutons à cela la qualité de conception du vêtement lui-même, ses détails, sa finition, etc. « La main-d’œuvre, c’est ce qui coûte le plus cher, souligne toutefois Léonie Daignault-Leclerc. Imaginons des ouvriers au Bangladesh payés au maximum 1 ou 2 $ l’heure contre des couturières d’ici payées au moins 20 $ l’heure avec des assurances. »
Marianne-Coquelicot Mercier partage cette vision. « Il va falloir accepter que les vêtements coûtent plus cher; d’acheter moins, mais mieux », nuance-t-elle.
Les vêtements recyclés : beaucoup de chemin à faire
Moins de 1 % des vêtements dans le monde sont recyclés pour en fabriquer de nouveaux, selon un rapport de la Fondation Ellen MacArthur publié en 2017 et cité par RECYC-QUÉBEC. Les produits issus du recyclage de textiles sont essentiellement des chiffons, du feutre et des matériaux isolants et insonorisants, une industrie quasi inexistante au Québec depuis une dizaine d’années. Marianne-Coquelicot Mercier souligne toutefois que plusieurs projets se développent afin de relancer la filière du recyclage textile au Québec, et même de l’amener plus loin.
C’est d’ailleurs ce que fait Ennouri Triki, chercheur principal à Vestechpro, centre de recherche et d’innovation en habillement. Dans le cadre d’un projet mené en partenariat avec Renaissance et la Ville de Montréal, son équipe et lui expérimentent le potentiel d’une défibreuse. Cette machine permet le recyclage mécanique des matières textiles pour trouver des débouchés potentiels aux fibres obtenues. Certaines dites « courtes » pourraient servir pour le rembourrage ou pour la fabrication de feutre, tandis que les fibres « longues », de meilleure qualité, serviraient à refaire des fils qui deviendraient des vêtements.
Mais avec cette méthode, obtenir une fibre assez longue pour fabriquer un fil comporte des défis. D'après le chercheur, il serait pratiquement impossible de le faire à partir d'une étoffe composée d'un mélange de différents types de fibres. De plus, le nombre de recyclage serait limité puisque la qualité des fibres se dégrade. Par ailleurs, personne n’est en mesure de produire une étoffe à partir de fibres recyclées seulement. « En France, ils ont réussi à faire un fil à partir de 70 % de fibres recyclées, mais il y a toujours un pourcentage de fibres vierges nécessaire.
Les procédés de recyclage chimique pourraient générer des fibres de meilleure qualité un nombre illimité de fois, mais ce n’est pas sans compromis à faire. « À mon avis, le recyclage mécanique est plus écologique qu’avec une méthode chimique, qui utilise des produits chimiques, des solvants, une certaine quantité d’eau... mais, dans un cas comme dans l’autre, ça demande encore des activités de recherche et de développement », fait-il valoir.
Le hic avec les fameuses bouteilles de plastique
Alors qu’à peine 6 % ou moins des différentes fibres produites sur la planète proviennent de matières recyclées, le polyester sort du lot. En effet, 15 % de sa production totale (neuf millions de tonnes en 2021) est issue du recyclage, selon Textile Exchange. Comment est-ce possible, étant donné la rareté et les défis du recyclage des textiles? C’est qu’autour de 99 % du polyester recyclé est fait à partir de bouteilles de plastique qui ont été fondues, une matière appelée rPET (pour recycled polyethylene terephthalate).
Bien entendu, cela paraît merveilleux. Le hic? Lesdites bouteilles peuvent généralement être recyclées en de nouvelles, et ce, d’innombrables fois. En les transformant en vêtements, ce cycle se brise, tandis que les étoffes ne sont elles-mêmes pas recyclables, du moins pas en ce moment. « Le rPET permet d’éviter l’extraction de ressources fossiles, mais ce n’est pas la panacée pour l’industrie du textile », résume Marianne-Coquelicot Mercier. Autrement dit, il n’a pas la même valeur écologique qu’un polyester recyclé à partir de vêtements en fin de vie qui, autrement, se retrouveraient dans les ordures.
« On génère des milliers de tonnes par année de déchets textiles, rappelle Ennouri Triki. Il faut recycler mécaniquement ou chimiquement les textiles et les vêtements pour tendre vers le zéro déchet. »
En attendant, on fait quoi?
Si vous aviez espoir de recycler vos vieux habits troués, tournez-vous plutôt vers le surcyclage – ou upcycling en anglais –, qui consiste à transformer de façon artisanale un vêtement (entre autres exemples : une robe en chemise; un pantalon en sac; de vieux chandails en chiffons…).
L’entretien des vêtements : une source majeure de microplastique
Au Canada et aux États-Unis, jusqu'à 878 tonnes de microfibres – l’équivalent du poids de 10 baleines bleues – seraient rejetées chaque année dans l’eau par les stations d'épuration lors du lavage des vêtements, selon les recherches de l’organisme Ocean Wise. Celles qui proviennent des textiles synthétiques ont le désavantage de ne pas se dégrader naturellement puisqu’elles contiennent du plastique. Les microplastiques retenus dans les boues municipales sont aussi un problème puisque celles-ci peuvent être enfouies ou épandues sur les terres comme engrais agricole. Enfin, d’autres études alertent la population que l’utilisation de la sécheuse à linge, surtout à haute température, libère des microfibres dans l’air, lesquelles peuvent être directement inhalées par les humains ou libérées dans l’environnement.
À lire aussi : Laveuses : un filtre pour retenir les microplastiques? et Filtrer les microplastiques dans la laveuse
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