Familles recomposées : le grand décalage légal et fiscal
Tomber amoureux, refaire sa vie et vivre avec un nouveau conjoint et ses enfants, c’est un projet de vie merveilleux, mais cette cohabitation a aussi un prix et des répercussions parfois insoupçonnées. Le Québec, champion des familles recomposées au pays, tarde à moderniser certaines de ses lois ainsi que la fiscalité; une situation en décalage avec la réalité des familles d’aujourd’hui, selon plusieurs juristes, comptables et notaires.
« Je pense que c’est l’ampleur du défi qui est méconnue. Les gens ont un peu trop la pensée magique et croient que ça va aller tout seul, mais ça prend une bonne capacité d’adaptation », résume Marie-Christine Saint-Jacques, professeure titulaire à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, à Québec.
Le Québec est le champion canadien des unions libres, mais aussi des familles recomposées. Chez nous, les couples se font et se défont en effet plus souvent que dans le reste du pays. Les gens se marient moins et se séparent davantage, selon ce que constate la spécialiste en matière de familles recomposées.
De nombreux parents et beaux-parents frappent le mur de la fiscalité, qui les désavantage, après 12 mois de vie commune. Les familles recomposées n’existent pas vraiment aux yeux du fisc et le Code civil du Québec est quasi muet sur leur réalité, de sorte que les lois fiscales ne prennent pas en compte les réels revenus des parents; certains sont donc injustement pénalisés, alors que d’autres en tirent des bienfaits de manière inéquitable.
À bien des égards, la grande réforme du droit de la famille (et l’adoption de trois projets de loi) menée ces dernières années par l’État québécois n’y changera pas grand-chose, sauf pour les conjoints qui auront un enfant ensemble après le 29 juin 2025. D’éminents juristes, comme Robert Leckey, nommé juge en janvier 2025, ont déploré cette omission.
Sachant qu’un parent (ou un beau-parent) averti en vaut deux, un rappel de quelques règles, droits ou obligations s’impose. État des lieux.
Des répercussions fiscales importantes
Les familles recomposées sont plus désavantagées que les autres sur le plan fiscal, de l’avis de plusieurs experts. Après 12 mois de cohabitation, les deux tourtereaux deviennent automatiquement conjoints de fait s’ils ne sont pas mariés ou unis civilement.
Dès lors, c’est le revenu familial – l’addition des deux revenus – qui compte aux yeux du fisc, même si le nouveau conjoint ne partage pas nécessairement l’ensemble des coûts (vêtements, médicaments, frais de garde, etc.) liés aux enfants de sa douce moitié. Il n’en a pas l’obligation non plus. Peut-être a-t-il lui aussi des enfants? Peut-être verse-t-il déjà une pension alimentaire? L’impôt n’en a cure.
Les allocations familiales et crédits variés seront amputés pour les deux conjoints, parce que l’État présume que des économies d’échelle, réalisées en vivant sous le même toit, compenseront leur réduction, et ce, même si les revenus ne sont pas mis en commun et que le partage des dépenses n’est pas équitable. Des mères (ou des pères) qui perdent 8 000 $, 10 000 $ ou 12 000 $ par an, ce n’est pas si rare.
Par exemple, la mère d’un enfant de 3 ans qui gagne 40 000 $ par année perdra un soutien gouvernemental de plus de 8 000 $ par an si elle emménage avec son conjoint ayant un revenu de 65 000 $, comme l’exposent le professeur fiscaliste Luc Godbout, de l’Université de Sherbrooke, et ses collègues Suzie St-Cerny et Michaël Robert-Angers dans une étude publiée en 2023. La Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ) appelle cela la « taxe à la recomposition ».
Vivre ensemble… sans vivre ensemble
Préoccupés par cet aspect, de nouveaux conjoints choisissent de ne pas habiter sous le même toit à temps plein et de conserver leurs logis respectifs. Par exemple, Jonathan*, qui a emménagé il y a quelques années avec sa conjointe – mère de trois enfants – à Montréal, a choisi de conserver son adresse principale dans une autre ville, à deux heures de route, permettant ainsi à sa compagne de garder ses allocations.
« La fiscalité n’est pas adaptée aux couples d’aujourd’hui; c’est une évidence, dénonce-t-il. On essaie d’être conforme aux lois, mais chaque couple a ses arrangements et s’organise comme il peut. Ça fait en sorte que les gens manigancent un peu. » En agissant de la sorte, Jonathan joue avec le feu, sachant pertinemment qu’il s’expose à une pénalité si le fisc découvre son stratagème.
Proposition de « bouclier fiscal »
Les professeurs Godbout, St-Cerny et Robert-Angers, de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, suggèrent de corriger cette iniquité avec une prise en compte progressive du salaire du nouveau conjoint dans l’établissement des prestations familiales : 33 % après un an de vie commune, 66 % après deux ans et 100 % après trois ans.
Cette idée de « bouclier fiscal à la reconstitution » n’est pas nouvelle : dès 2008, le Conseil de la famille et de l’enfance faisait une proposition semblable. Pour la présidente de l’Ordre des comptables professionnels agréés (CPA) du Québec, Geneviève Mottard, il ne fait aucun doute que les lois sur l’impôt sont en décalage avec la réalité complexe des familles d’aujourd’hui. « La vision de la famille, d’un point de vue fiscal, demeure telle qu’elle était dans les années 1950 », indique-t-elle.
Maintenir des liens avec l’enfant de son ex
Dans les familles recomposées, les beaux-parents tissent souvent des liens très forts avec les enfants de leur conjoint. Quand un couple recomposé se sépare (ou que le parent décède), plusieurs vivent alors un double deuil si les ponts sont coupés avec les enfants.
En 2022, le Code civil a été modifié pour reconnaître l’importance des relations enfant–beau-parent, un des rares changements législatifs qui touchent à la famille recomposée dans le cadre de la réforme du droit de la famille, comme le souligne la professeure Marie-Christine Saint-Jacques.
Ainsi, sachez que votre ex pourrait s’adresser au tribunal et invoquer le nouvel article 611 pour obtenir le droit de maintenir des liens avec votre enfant, si ce dernier est âgé de 10 à 13 ans. Cela ne veut pas dire, cependant, qu’il obtiendrait un droit de visite en personne.
« Ça va être un droit d’accès plus limité. On ne veut pas de coupure; c’est ça, l’idée. Ça pourrait être une rencontre [vidéo] sur Zoom. Il y a toutes sortes de modalités; ça dépend vraiment des situations », fait valoir le juriste Alain Roy, président du Comité consultatif sur le droit de la famille et conseiller spécial du ministre de la Justice du Québec dans ce dossier.
Consentement de l’enfant
Selon Alain Roy, l’intérêt de l’enfant primera toujours, et son consentement sera exigé (sauf exception). « C’est un droit de l’enfant et non du beau-parent, dit-il. Le tribunal doit toujours penser en fonction de la perspective d’un enfant, si c’est dans son intérêt [ou non]. » À partir de 14 ans, l’adolescent est en âge, légalement, de décider par lui-même, et le tribunal n’interviendra pas.
Une entente à l’amiable entre les deux ex-conjoints est toujours préférable. Mère de famille, Victoria*, de Québec, a la chance de bien s’entendre avec son ex, et elle l’autorise à revoir ses quatre enfants régulièrement. « Ce n’est pas parce que ça ne fonctionne pas, en couple, que l’autre personne devient une mauvaise personne pour autant. Quand c’est possible de maintenir des liens [entre un beau-père et des enfants qui ont développé une relation significative], je pense que c’est très important. »
* Prénoms fictifs
Beaux-parents : pas d’autorité parentale
Les beaux-parents prennent souvent part à des décisions de la vie courante dans les familles recomposées. Or, rappelons ici qu’un beau-père ou une belle-mère n’a aucune autorité parentale d’un point de vue légal, sauf dans des cas d’exception (si cette personne adopte l’enfant, par exemple).
Seuls les parents d’un enfant – ou son tuteur légal – sont autorisés à prendre des décisions importantes (entre autres exemples : le choix d’une école, les soins de santé, les activités qui comportent des risques, etc.). En revanche, certaines tâches du quotidien, comme aller chercher l’enfant à l’école ou à la garderie, peuvent être déléguées sans problème au beau-parent; néanmoins, le statut de ce dernier n’est pas différent, aux yeux de la loi, de celui d’un autre proche parent ou d’une gardienne.
L’importance d’un testament à jour
De nombreux conjoints, dans un couple recomposé, omettent de faire un testament, ou alors ils s’appuient sur un testament rédigé il y a plusieurs années, alors que son contenu ne correspond plus à leurs volontés et encore moins à leur situation familiale, qui a évolué. Si c’est votre cas, vous risquez de léguer un tas de problèmes à votre succession, à votre conjoint actuel et au parent survivant.
« Il y a beaucoup de gens sans testament, et ils ne se rendent pas compte des impacts. Il y a vraiment une méconnaissance de ces enjeux », observe Marie-Pier Riendeau, de la FAFMRQ.
Dans une famille recomposée, les partenaires en union de fait croient souvent, à tort, qu’ils hériteront automatiquement de l’autre moitié de la maison si leur conjoint décède. Or, sans testament – et si le nouveau régime d’union parentale ne s’applique pas –, ce sont les enfants du défunt qui en hériteront. Toutefois, s’ils sont mineurs, c’est généralement l’ex ou les parents du disparu qui entrent en scène pour liquider la part de ce dernier.
« Le conjoint de fait n’est pas reconnu comme un héritier légal au sens du Code civil. Tout revient aux enfants. C’est un terreau fertile par excellence pour des chicanes; ça peut être un cauchemar. Il faut que l’ancienne conjointe s’entende bien avec la nouvelle », affirme Me Nathalie Poisson, notaire pour FDP Gestion privée.
Prévoyez 600 $ en moyenne
Pour éviter les problèmes, il vaut mieux faire un testament notarié. Selon la notaire, chaque conjoint doit s’attendre à débourser environ 600 $, en moyenne, mais le coût du testament varie en fonction de sa complexité. Sinon, vous pouvez écrire vous-même, sans frais, votre propre testament (idéalement, demandez à deux témoins d’y apposer leur signature).
Quant au contrat de vie commune, aussi utile puisse-t-il être pour le partage des biens en cas de rupture, il n’est pas en mesure de remplacer un testament pour le transfert de biens en cas de décès. Les lois sont complexes, et il est recommandé de consulter des professionnels (notaires, avocats, fiscalistes, comptables) pour coucher sur papier vos souhaits en vue d’éviter tout pépin pour vos proches.
Cri du cœur d’un parent survivant
En cas de décès, le quotidien de l’autre parent survivant peut aussi être chamboulé dramatiquement si cet individu ne dispose pas des ressources financières pour accueillir à temps plein ses propres enfants et payer 100 % des dépenses (les frais d’une école privée, par exemple).
Cette personne ne peut utiliser l’héritage de ses enfants comme bon lui semble, alors que la nouvelle conjointe, elle, peut potentiellement empocher une prime d’assurance vie – si elle a été désignée comme bénéficiaire –, ou même une pension ou une rente de conjoint survivant (après trois ans de vie commune au provincial; un an au fédéral).
« C’est un joyeux bordel, déplore Valérie*, dont l’ex-conjoint, père de ses enfants, est décédé subitement. C’est moi qui me retrouve avec toute la charge, mais c’est elle [la nouvelle conjointe] qui ramasse tout, ou presque. Oui, il y a une bonification de l’Allocation famille [pour moi], mais c’est minime. Même chose pour la rente d’orphelin [301,77 $ par mois pour chaque enfant, en 2025] qui est beaucoup moins élevée que celle du conjoint survivant. Il y a vraiment un vide [aussi, dans les lois actuelles] pour les parents survivants. »
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