Comment voyager de façon plus durable ?
Voyager a un impact considérable sur l’environnement, et il est important d’y réfléchir. Quelques gestes peuvent cependant changer les choses, comme voyager moins souvent et moins loin, privilégier les vols directs et appliquer les principes du ralentourisme (slow travel en anglais). Suivez le guide!
L’industrie du tourisme représente environ 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), selon une étude publiée en 2018 dans la revue scientifique Nature Climate Change. Les chercheurs avaient alors analysé les données de 160 pays entre 2009 et 2013. Leurs conclusions : les effets de la croissance rapide du tourisme sont plus grands que les efforts pour réduire les émissions, par exemple avec des moteurs d’avion moins polluants. Et, selon eux, la part du tourisme dans les émissions mondiales de GES continuera de croître.
Depuis, la popularité des voyages ne s’est effectivement pas essoufflée, bien au contraire. Enfin, sauf pendant la parenthèse due à une certaine pandémie mondiale. « On se demandait si le voyage allait reprendre après la pandémie… eh bien, ça a explosé! » lance Marc-Antoine Vachon, titulaire de la Chaire de tourisme Transat de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Or, pour atteindre la neutralité carbone à l’échelle mondiale, chaque humain sur la Terre devrait se limiter à émettre 1,7 tonne d’équivalent CO2 par année, comme l’explique Anne de Bortoli, qui est responsable du pôle de recherche sur la carboneutralité du Centre international de référence sur l’analyse du cycle de vie et la transition durable (CIRAIG). Sachant qu’un aller-retour en avion entre Montréal et Paris représente à lui seul un peu plus d’une tonne d’équivalent CO2, il est nécessaire de reconnaître le poids colossal du voyage, un luxe qu’une infime minorité de la population dans le monde peut d’ailleurs se permettre.
« Arrêter complètement les voyages internationaux aurait un bénéfice environnemental majeur, mais de nombreuses communautés dépendent des retombées du tourisme », fait toutefois remarquer Marc-Antoine Vachon. Surtout, il ne croit pas qu’il soit réaliste d’en arriver là. « C’est pour ça qu’on parle de transition écologique; pour faire les choses le mieux possible, avec les options qui nous sont présentées », dit-il.
Partir moins souvent
« Le tourisme se fait très mal de façon virtuelle », souligne avec un brin d’humour Claude Villeneuve, directeur de la Chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Pour assouvir ce besoin de dépaysement, de rencontres et d’apprentissage qu’elles ont, certaines personnes auront donc à se déplacer. Or, le transport – responsable de la majorité des émissions de GES dans le domaine du tourisme – est le nerf de la guerre en matière d’urgence climatique.
Claude Villeneuve a un discours tout sauf culpabilisant et reconnaît l’importance pour plusieurs de changer d’air. Cela dit, il invite les gens à bien réfléchir : « Avez-vous vraiment besoin de faire ce voyage en particulier ? Est-il nécessaire à votre bien-être, maintenant ? » En effet, diminuer la fréquence de vos voyages est l’un des meilleurs choix que vous êtes en mesure de faire. Au lieu de prendre l’avion chaque année par habitude pour vous rendre à des milliers de kilomètres de chez vous lors de vos vacances, pourquoi ne pas laisser mûrir un projet ? Vous pourriez peut-être même partir un peu plus longtemps…
Réduire le nombre de kilomètres
« La technologie qui est offerte à nous en ce moment ne nous permet pas de voyager sans trace. En revanche, une des options que nous avons, c’est de voyager à proximité », fait valoir Marc-Antoine Vachon. La raison est simple : plus vous parcourez une longue distance, plus votre moyen de transport – notamment l’avion ou la voiture – émet des GES en brûlant du carburant. Ainsi, en vous rendant moins loin, vous réduirez l’empreinte carbone de votre voyage. « Voyager au Québec, au Canada et aux États-Unis, ce sont des options qui devraient être prises en considération », souligne le spécialiste.
Encore mieux : « Pour les gens qui ont la capacité de le faire, les voyages à vélo sont une manière exemplaire de voyager en termes de sobriété environnementale », note Anne de Bortoli. L’experte en carboneutralité souhaite d’ailleurs voir une démocratisation de cette façon différente de voyager.
Faut-il éviter l’avion?
Le poids écologique d’un avion est plutôt complexe à évaluer. Si la distance qu’il parcourt a une incidence considérable sur ses émissions de GES, c’est au décollage et à l’atterrissage que cet appareil consomme le plus de carburant et émet une plus grande quantité de dioxyde de carbone (CO2) proportionnellement à son poids. Ainsi, quand un avion parcourt de courtes distances – disons de Montréal à Toronto –, ses émissions de CO2 par kilomètre sont plus élevées que lors d’un long vol (par exemple de Montréal à Vancouver). Autrement dit, c’est un moyen de transport qu’il faut surtout éviter sur de courtes distances.
Cela signifie aussi qu’un vol direct a une empreinte carbone moins élevée qu’un vol avec escale, même pour un trajet équivalent. En outre, l’escale ajoute des kilomètres, comme le fait remarquer Anne de Bortoli.
Voler en classe économique se veut aussi plus écologique que de le faire en classe affaires, puisque vous occupez moins d’espace et que la quantité de GES émise par passager et par trajet est calculée en fonction du nombre de places aménagées à l’intérieur de l’appareil.
Sachez cependant que les estimations actuelles de l'empreinte carbone d'un vol ne prennent pas en compte les effets « hors-CO2 », principalement causés par la formation de traînées de condensation qui augmentent l'effet de serre en haute altitude. « Ces phénomènes très incertains et complexes à estimer pourraient venir doubler l'empreinte carbone d'un vol en avion », précise Laure Patouillard, associée de recherche au CIRAIG, dans une chronique publiée sur le site web de Protégez-Vous.
En voiture, mais à plusieurs
Voyager en voiture n’est pas sans effet non plus, bien au contraire. Cependant, « si vous partagez votre voiture avec d’autres personnes, vous divisez la consommation de la voiture par le nombre d’occupants, et, donc, l’empreinte par personne diminuera de façon considérable », explique Claude Villeneuve.
Ce détail change même complètement la donne quand vient le temps de comparer ce moyen de transport à l’avion. « Pour un trajet Montréal-Halifax ou Montréal-Vancouver, l’empreinte carbone d’un déplacement en avion sera presque deux fois moins élevée qu’en auto [à essence] », écrit Laure Patouillard dans sa chronique. En revanche, si quatre personnes prennent place dans cette voiture, l’empreinte carbone par passager devient alors équivalente à celle de l’avion pour ces mêmes trajets. Si vous aviez prévu voyager seul dans votre véhicule, pensez à offrir le covoiturage à d’autres!
Train, autocar, bateau ?
Au Canada, les trains fonctionnent toujours au diesel et sont plus ou moins empruntés, ce qui, à ce jour, les rend peu attrayants d’un point de vue strictement écologique. Ailleurs, il en va tout autrement. « Si vous voulez traverser la France en avion, vous émettrez 10 fois plus de gaz à effet de serre que si vous la parcourez en train à grande vitesse ou en autocar », indique Anne de Bortoli. Au Québec, les déplacements en autocar sont une option à considérer.
Et qu’en est-il des grands navires de croisière? Ils se révèlent très polluants et consomment énormément de carburant, selon Claude Villeneuve. « Même si le navire transporte beaucoup de passagers – beaucoup plus qu’un avion –, il consomme plus de pétrole et d’énergie qu’un avion », nuance-t-il. À éviter, donc!
Se poser… et marcher!
Bien entendu, l’utilisation des transports ne se limite pas à un long déplacement aller-retour. Une fois sur place, plus vous avalez de kilomètres, plus votre compteur d’émission de GES augmentera, surtout si c’est en avion sur de courtes distances. La suggestion de Marc-Antoine Vachon : choisissez un camp de base « central ou bien desservi par d'autres types de transport ».
Cette logique s’inscrit dans la tendance de ce qu’on appelle le ralentourisme (slow travel en anglais), qui consiste à « prendre le temps de découvrir un lieu, de vivre au rythme de ses habitants et de s'imprégner de la culture locale, en privilégiant la mobilité douce [ou durable] et des comportements responsables », comme le définit l’Office québécois de la langue française.
La marche et le vélo sont bien sûr à privilégier, tout comme le métro et l’autobus. Le train s’avère surtout intéressant s’il est électrifié, ou alors moderne et bien rempli, comme c’est le cas dans certains pays d’Europe.
Et que penser du taxi? Selon une analyse d’Anne de Bortoli, il est pire que la voiture individuelle. C’est que « la moitié du temps, les taxis roulent sans client; donc, 50 % des kilomètres parcourus s'ajoutent au trajet effectif qui permet de déplacer des gens, dit-elle. […] C'est vraiment le mode de transport qu'il faut éviter en ville. »
Bien sûr, avoir accès à une voiture – par exemple en contexte de location – peut engendrer un effet rebond, selon la chercheuse, c’est-à-dire que vous serez tenté de surutiliser le véhicule et de faire plus de kilomètres parce que vous y avez accès, ce qui annule alors les bénéfices par rapport au taxi.
L’industrie aérienne fait-elle sa part?
L’industrie touristique est en marche dans la transition écologique, d’après Marc-Antoine Vachon, titulaire de la Chaire de tourisme Transat de l’UQAM. Selon lui, beaucoup d'argent est investi, notamment par les constructeurs aériens, pour développer de nouvelles technologies. Il affirme que la solution idéale, suffisamment sécuritaire et efficace pour remplacer les carburants et appareils actuellement utilisés, n’a tout simplement pas encore été trouvée ou suffisamment développée. « Ne vous inquiétez pas : si Airbus ou Boeing trouvent le moyen d’avoir des avions verts, ils vont le dire, et leur carnet de commandes va être plein. Tout le monde a intérêt à ce que ça se développe! » dit-il.
Qu’en dit votre bilan carbone?
Claude Villeneuve – qui est également directeur de Carbone boréal, un programme de compensation carbone affilié à l’UQAC – encourage les citoyens à calculer leur empreinte carbone et à poser des gestes pour l’alléger dans toutes les sphères de leur vie. Vous pouvez notamment réduire votre consommation de produits d’origine animale (surtout la viande rouge); troquer la voiture contre le vélo, la marche ou le transport collectif; vivre dans une habitation plus petite au sein d’un bâtiment partagé, que ce soit un condo, un appartement, un multiplex ou une maison de ville; adopter des réflexes de simplicité volontaire; etc.
« L’idée, c’est de vous donner un budget carbone et d’allouer ce budget à certaines activités qui répondent le mieux à vos besoins », mentionne-t-il. Visez environ 2 tonnes d’équivalent CO2 par année (1,7 étant l’idéal à atteindre). Pour vous aider à le calculer, vous pouvez utiliser des outils en ligne, comme celui d’Arbres Canada, de Carbone boréal, de Compensation CO2 Québec, de Planetair, etc.
Crédits carbone : oui, non, peut-être?
Devriez-vous compenser votre voyage par l’achat de crédits carbone? La réponse n’est pas si simple. Selon plusieurs experts, la compensation carbone peut se révéler intéressante si elle s’inscrit dans une réelle démarche de transition écologique, c’est-à-dire une fois que vous aurez posé des gestes concrets pour diminuer vos impacts climatique et environnemental (et non pas pour vous sentir moins coupable de voyager en avion, en pensant remettre le compteur à zéro).
Cependant, le concept même de compensation carbone fait débat dans le monde scientifique. « Les crédits carbone et la compensation sont très critiqués de manière générale par les organismes qui travaillent sur la carboneutralité », résume Anne de Bortoli, qui est responsable du pôle de recherche sur la carboneutralité du CIRAIG.
S’il s’agit d’une option que vous considérez, il est important d’opter pour un programme sérieux, rigoureux et axé sur des normes mondialement reconnues, pour vous assurer que les crédits carbone que vous achetez ont bel et bien un effet concret et permanent sur la diminution de GES. Pour en savoir plus, consultez notre grand dossier consacré aux crédits carbone.
Pas juste environnemental!
La notion de tourisme durable n’est pas seulement environnementale; elle considère aussi les répercussions sociales et économiques sur les communautés, comme le rappelle l’expert en tourisme Marc-Antoine Vachon. Selon lui, ce sont d’ailleurs sur ces derniers aspects que le voyageur a souvent le plus de contrôle.
Comment? « Il n'y a pas de recette miracle, mais il y a quand même des choses qui sont relativement faciles à faire », dit-il. Par exemple, il est préférable d’être hébergé et de consommer dans les établissements et commerces locaux et indépendants plutôt que dans les grandes chaînes, surtout étrangères. Il vaut également mieux privilégier les produits locaux pour l’alimentation. Marc-Antoine Vachon encourage aussi les voyageurs à payer leurs achats avec la monnaie locale plutôt que d'utiliser leur carte de crédit. « Ce sont des exemples qui maximisent les retombées économiques et sociales positives sur les communautés locales », précise-t-il.
Votre choix de destination est aussi un levier majeur en lui-même. « Lorsque vous voyagez dans un pays, c'est en quelque sorte un acte politique, un acte d'approbation ou d'acceptation, puisque vous enrichissez une communauté ou des élites », soutient Marc-Antoine Vachon. Ainsi, privilégiez les destinations dont les politiques correspondent à vos valeurs (démocratie, égalité des sexes, liberté de la presse, etc.). Enfin, le respect des cultures locales est primordial; il vaut mieux vous informer sur celles-ci avant d’atterrir dans le pays en question.
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