Les dérives du tourisme animalier
Enlacer un paresseux, caresser un bébé tigre, monter sur le dos d'un éléphant, nager avec des mammifères marins en liberté : interagir avec les animaux sauvages fait rêver. Or, le tourisme animalier a souvent des effets néfastes, quand il ne cache pas parfois des pratiques cruelles. Voyez comment adopter de meilleures pratiques.
Lors d’une expédition dans la jungle de Sumatra, en Indonésie, j’ai approché de très près des animaux sauvages. J’ai même offert un morceau de banane à un adorable singe à l’invitation de mon guide. Je savais pourtant que nourrir les animaux est à éviter. Mon enthousiasme du moment m’a fait perdre mes inhibitions morales.
« Quand on est en voyage, on n’a plus les pieds sur terre, confirme Alain Adrien Grenier, professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l'École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM) spécialisé en écotourisme. Le raisonnement logique est remplacé par le plaisir, qui domine sur tout. » Autrement dit, il vous sera plus facile de faire des choix éthiques et de respecter vos principes si vous avez une distance émotionnelle par rapport à une situation, notamment en prévoyant vos activités et en vous informant avant d’être sur place.
Par exemple, nager avec des dauphins en captivité est une activité toujours populaire. Pourtant, pour le bien de ces mammifères marins, vous devriez la rayer de votre liste, selon l’expert : « C’est comme les animaux de cirque, ajoute-t-il. Ils vont répondre à des comportements parce qu’ils sont privés de nourriture. Et pour avoir leur récompense – leur repas –, ils doivent accepter d’être touchés par des humains, de faire des tours. »
Enlacer un paresseux, caresser un bébé tigre, monter à dos d'éléphant ou nager avec des dauphins, même s’ils sont en liberté: voilà d’autres expériences qu’il vaut mieux éviter. Certes, elles font peut-être rêver à première vue, mais elles ont des répercussions sur le comportement naturel des animaux, sans compter qu’elles peuvent encourager leur exploitation et leur causer des souffrances.
Mais ça, bien sûr, ce ne sera pas écrit sur le site web des entreprises qui vous les proposent ! L’industrie du tourisme animalier repose trop souvent sur l’illusion que les animaux sont indifférents ou même heureux d’être touchés ou observés de près. Heureusement, il existe des manières plus éthiques d’observer la faune d’ici comme d’ailleurs.
Des pratiques cruelles
La journaliste Natasha Daly, du magazine National Geographic, a parcouru la planète pour témoigner des dérives du tourisme animalier avant de publier une série de reportages sur le sujet en 2019. En Thaïlande, elle a visité plusieurs centres où il est possible d’interagir avec des éléphants, par exemple en les lavant, en les nourrissant ou en montant sur leur dos.
Or, des méthodes douteuses – comme enchaîner les mammifères et utiliser l’outil traditionnel des cornacs (les éleveurs d’éléphants), soit une espèce de long bâton muni d’un crochet, pour les dompter – étaient employées dans la plupart de ces endroits. D’ailleurs, pour être aussi dociles, les éléphants ont généralement été « brisés » lorsqu’ils étaient bébés : enchaînés, isolés, mal nourris, violentés... ce dont la journaliste a été témoin.
Si certaines pratiques cruelles sont évidentes à certains endroits, d’autres sont, en revanche, bien camouflées. Les visiteurs ignorent souvent ce qui se cache derrière les apparences… Par exemple, la journaliste s'est aperçue que les éléphants d'un complexe prétendument « écotouristique », dans lequel les gens de passage peuvent admirer des animaux se promenant en liberté, sont les mêmes qui emmènent des touristes en balade et réalisent des numéros à quelques kilomètres de là.
Tant le magazine américain que plusieurs organisations de défense des droits des animaux – telles que World Animal Protection, Born Free et PETA (People for the Ethical Treatment of Animals) – rappellent que les photos prises en compagnie de grands félins, comme les tigres et les lions, cachent de lourds secrets : des animaux adultes qui sont enchaînés, souvent drogués et dégriffés; des petits qui se retrouvent privés de leur mère; des femelles en gestations répétées… Et qu’advient-il de tous ces adorables bébés à cajoler lorsqu'ils sont devenus grands? Nul ne le sait vraiment. « Ils pourraient être vendus à des zoos ou sur le marché des animaux exotiques, par exemple pour être utilisés au cinéma, ou encore tués pour approvisionner l’industrie de la médecine traditionnelle asiatique », indique Melissa Matlow, directrice de campagne pour World Animal Protection Canada.
Derrière la dernière tendance
Les publications sur les médias sociaux influencent les gens à vivre des expériences, éthiques ou non. Elles peuvent aussi provoquer de nouvelles tendances, par exemple en faisant exploser le commerce – légal ou illégal – des animaux sauvages.
C’est le cas des loutres, capturées en nature lorsqu’elles sont encore des bébés et revendues à fort prix pour en faire des animaux de compagnie ou des mascottes dans des endroits touristiques (comme des cafés en Asie), d’après World Animal Protection. Les paresseux, ces animaux aux mouvements lents et au faciès sympathique, sont d’autres victimes de leur popularité. L’organisation non gouvernementale rapporte en effet qu’ils sont arrachés à leurs arbres de l’Amazonie pour ensuite finir dans les bras de touristes chaque jour afin que ces derniers puissent prendre des photos et des vidéos en leur compagnie, parfois dans des environnements bruyants et chaotiques.
« On doit toujours se demander : comment se fait-il qu’un animal qui m’attaquerait pour se défendre ou fuirait pour se cacher dans la nature se laisse photographier avec moi ici? Il y a quelque chose qui n’est pas normal là-dedans », dit Alain Adrien Grenier.
- Les photos montrant des animaux en captivité ne manquent pas sur les réseaux sociaux tels Instagram et TikTok. Des organisations comme World Animal Protection font quant à elles des publications pour dénoncer ces pratiques ou sensibiliser les gens. L’ONG émet d’ailleurs une série de recommandations simples à ce sujet, réunies sous le nom de The Wildlife Selfie Code.
La bulle des animaux sauvages
Un peu partout dans le monde, des entreprises touristiques offrent à leurs clients de côtoyer de près des animaux sauvages en liberté, par exemple de sauter d’un bateau pour nager avec des dauphins. Cette pratique est-elle sans conséquence?
« Toutes nos interactions avec les animaux sauvages ont des répercussions, assure Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM). Chaque fois qu’on dérange les animaux, on interrompt quelque chose : la recherche de nourriture, la socialisation, l’éducation des petits, le sommeil, la veille des prédateurs, l’accouplement… Ce n’est pas évident pour un œil humain de réaliser à quel point les animaux sont occupés, mais ils sont toujours en train de faire quelque chose. » C’est ce qui se produit avec les dauphins – comme avec les bélugas et les phoques, d’ailleurs –, de nature curieuse, qui interrompent souvent leurs activités pour venir vers les humains lorsqu’ils les rencontrent.
De l’avis du biologiste, on ne doit pas nager avec des animaux, les appâter avec de la nourriture, chercher à les toucher ou à les faire réagir, ou simplement s’approcher trop près d'eux. Par exemple, nourrir les animaux peut engendrer une dépendance néfaste envers l’humain, modifier leurs comportements de déplacement et parfois même mener à des attaques ou à des morsures.
Par ailleurs, une des conséquences importantes de l’accoutumance des animaux à l’être humain est la réduction de leur vigilance face aux dangers. Ils sont ainsi plus à risque d’être happés par un véhicule ou encore de tomber dans les griffes de personnes moins bien intentionnées. « La majorité des bélugas solitaires – généralement parce qu’ils se sont perdus – qui ont développé des comportements de jeu avec les humains ont fini en chair à pâté dans une hélice de bateau », illustre Robert Michaud, qui les étudie depuis plus de 30 ans. C’est sans parler du risque de transmission de maladies de l’animal à l’humain (et vice-versa).
Même les activités d’observation encadrées, qu’il s’agisse de safaris dans la savane africaine ou de croisières aux baleines à Tadoussac, laissent des traces. En fait, le plus grand problème avec le tourisme animalier en milieu naturel est la fréquence du dérangement et son accumulation. « On est vraiment nombreux sur la planète, et nombreux à vouloir vivre de telles expériences », dit le biologiste, qui invite les gens à respecter non seulement les règlements en place, mais aussi la bulle des animaux qu’ils observent. « On est déjà omniprésents par le bruit, la pollution ainsi que l’incidence qu’on a sur leur nourriture et leur habitat », ajoute-t-il. Autrement dit : nous leur devons au moins ça.
Jamais assez proche : une responsabilité partagée
Selon Alain Adrien Grenier, professeur à l’ESG UQAM, les jardins zoologiques, le cinéma et les documentaires animaliers nous habituent à voir les animaux de très près, ce qui nous pousse à vouloir reproduire la même chose en milieu naturel. Sur le terrain, les guides – souvent mal payés, et censés faire respecter des normes (s’il y en a) – accompagnent des touristes qui souhaitent vivre la meilleure expérience possible… laquelle est presque toujours axée sur la plus grande proximité qui soit. « Malheureusement, les guides ont tendance à faire preuve d’un certain laxisme, parce que lorsqu’on interdit des choses, c’est sûr que ça se répercute sur le pourboire à la fin », fait remarquer celui qui a été guide en zone polaire par le passé.
Comment mieux faire?
Aimez-les… de loin
Privilégiez les entreprises et les activités qui proposent d'observer les animaux pendant qu’ils s’adonnent à leurs activités normales, sans interactions humaines. En milieu naturel, voir les bêtes de loin – assez pour qu’elles ne modifient pas leurs comportements – est beaucoup plus sécuritaire, pour elles comme pour vous. « À partir du moment où on considère qu’être dans leur habitat naturel est en soi un grand privilège, c’est plus facile à accepter », estime Alain Adrien Grenier.
Informez-vous sur les pratiques de l’endroit
Évitez à tout prix les entreprises qui pratiquent la capture d’animaux en milieu naturel. Préférez-leur les organismes à but non lucratif, les organisations qui ont des programmes philanthropiques et/ou celles qui s’impliquent dans la recherche scientifique, notamment la préservation de certaines espèces ou de leur habitat naturel. En captivité, les animaux doivent avoir des habitats de taille appropriée dans lesquels il leur est possible de garder leurs comportements naturels et, idéalement, de se cacher du regard des visiteurs au besoin. Une bonne note sur TripAdvisor ou sur Google ne garantit pas grand-chose, mais vous pourriez y dénicher des indices. « Attardez-vous aux commentaires à une ou deux étoiles qui font souvent état de préoccupations quant au bien-être des animaux », recommande par exemple National Geographic.
Pour les excursions en nature, sachez que de plus en plus de voyagistes proposent un code de conduite à ce sujet. « Il faut vérifier s’il y en a un et s’il fait des précisions sur les animaux, par exemple sur la distance à laquelle ils doivent être observés, que ce soit en bateau, à pied, en kayak ou en hélicoptère », dit Alain Adrien Grenier.
De son côté, Robert Michaud conseille aux gens de ne pas hésiter à interpeller directement les responsables de l’entreprise ou de l’activité. « Plus on est nombreux à demander aux entreprises ce qu’elles font pour le bien-être des animaux, plus elles vont s’en soucier, former leurs employés et sensibiliser les visiteurs », croit-il.
Ne vous laissez pas charmer par les mots
Méfiez-vous des endroits qui font de belles promesses et qui emploient des termes comme « conservation », « sanctuaire » ou « refuge » tout en offrant à de nombreux touristes d’interagir avec les animaux sauvages. Bien sûr, il y a des exceptions, comme le souligne Alain Adrien Grenier, qui soutient que certains organismes de bonne foi le font dans le but de financer leurs activités. Toutefois, il vaut mieux les encourager à abandonner ces pratiques. PETA vous recommande aussi de vous attarder aux horaires : un vrai refuge ne sera ouvert que certains jours, et à certaines heures.
Repérez certains logos
Pour les zoos et les aquariums, cherchez les établissements qui sont liés à une association indépendante crédible ayant fixé des normes de pratique, comme Aquariums et zoos accrédités du Canada (AZAC), l’Association des zoos et aquariums américaine (AZA) ou encore l’Association mondiale des zoos et aquariums (WAZA). Pour les autres, il existe des certifications internationales qui se veulent un indice de bonnes pratiques générales, par exemple Global Federation of Animal Sanctuaries (GFAS) pour les refuges et sanctuaires, Blue Flag pour les activités durables des entreprises maritimes et Fair Trade Tourism pour des pratiques en tourisme responsable.
Allez-y mollo sur les médias sociaux
Si vous avez flanché et que vous avez pris une photo dans un contexte que vous jugez douteux, alors ne relayez pas ce cliché sur les médias sociaux.
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