Comment encadrer votre jeune et son cellulaire
Votre préadolescent réclame son premier téléphone intelligent? Voici comment bien l’encadrer dans ce passage de plus en plus obligé vers la vie adulte.
« Mais tous mes amis en ont un! » Cette phrase, Nelson Ramirez l’a entendue à maintes reprises de la bouche de sa fille de 10 ans qui espérait avoir – enfin – son premier téléphone intelligent. « On ne voulait pas vraiment lui en donner un tout de suite, mais avec son grand frère qui allait recevoir le sien et le fait qu’on souhaitait pouvoir la joindre quand elle se rend à l’école, on s’est dit que c’était probablement le temps », raconte ce père de Chambly. Dans un monde idéal, il aurait toutefois attendu encore quelques années.
« Les enfants reçoivent leur premier téléphone de plus en plus jeunes », note Kara Brisson-Boivin, directrice de la recherche à HabiloMédias, voué à l’éducation aux médias et à la littératie numérique. Dans l’étude Jeunes Canadiens dans un monde branché, publiée en 2022, l’organisme à but non lucratif (OBNL) rapporte que 57 % des enfants de 9 à 11 ans possèdent déjà un téléphone intelligent. Vers 12 ou 13 ans, ce taux grimpe à 81 %.
Même si le cadeau est fait avec de bonnes intentions, il vient parfois avec son lot de problèmes, comme la cyberintimidation et l’utilisation intensive de l’appareil. À cet effet, toujours selon l’étude d’HabiloMédias, 30 % des jeunes de la quatrième à la sixième année du primaire admettent qu’ils se servent de leur téléphone le soir, après être allés au lit pour la nuit.
Comme parent, vous vous demandez peut-être quel est le bon moment pour donner un cellulaire à votre enfant et comment bien l’encadrer dans l’utilisation de cet appareil. Voici des conseils pratiques à ce sujet.
Trois raisons invoquées pour avoir un cellulaire
Les enfants ont l’imagination fertile quand vient le temps pour eux de vous convaincre qu’ils ont besoin d’un téléphone intelligent. Or s’agit-il de bonnes raisons?
« C’est pour vous appeler quand j’en ai besoin. »
Toutes les études sur le sujet le confirment : rester en contact avec leur enfant est – et de loin – la raison principale pour laquelle les parents décident de lui donner un cellulaire. C’est un peu ce qui est arrivé à Geneviève Guilbault, qui réside près de Rimouski. Une séparation et la disparition de la ligne filaire au domicile l’ont forcée à donner un téléphone à son garçon de 9 ans, soit bien avant qu’elle l’aurait préféré. « C’était surtout une question de logistique », précise-t-elle.
« Tous mes amis en ont un! »
La vie des jeunes se passe de plus en plus en ligne, mais cela ne vous oblige pas à donner un cellulaire à votre enfant pour autant. « S’il veut faire une vidéoconférence avec ses amis un samedi, vous pouvez lui prêter votre appareil », propose Linda S. Pagani, psychologue et professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal.
L’arrivée du jeune au secondaire change cependant la donne. Selon HabiloMédias, 93 % des adolescents de 14 à 17 ans possèdent un téléphone intelligent, ce qui n’est pas surprenant, car les besoins de communication des ados diffèrent de ceux des préados.
« Il en faut un à l’école. »
Le téléphone peut-il être un outil scolaire? Oui, mais il n’est jamais exigé. Selon l’étude Jeunes Canadiens dans un monde branché d’HabiloMédias, 46 % des élèves de la quatrième à la sixième année ont, à l’occasion, la permission d’utiliser leur propre appareil en classe, un taux qui grimpe à 75 % à la fin du secondaire.
Les activités les plus populaires : effectuer des recherches pour un devoir ou un projet, ou encore lire du matériel en classe, des tâches qui peuvent généralement être faites sur des appareils partagés à l’école.
Les craintes parentales
Intimidation en ligne, cyberdépendance, sextage… il est compréhensible pour les parents d’être réticents à l’idée de donner un téléphone à leur enfant (et, dans certains cas, de regretter de l’avoir fait).
Ces craintes sont d’ailleurs fondées. Selon l’OBNL HabiloMédias, 32 % des jeunes disent, par exemple, avoir déjà été victimes de méchanceté ou de cruauté en ligne, et 2 sur 10 avouent qu’ils en ont eux-mêmes été à l’origine. Les statistiques sur le sextage varient beaucoup d’une source à l’autre, mais certains jeunes recevront aussi, à un moment ou à un autre, une photo inappropriée de la part d’un inconnu.
De tels incidents ne sont toutefois pas réservés au téléphone. Qu’on pense aux tablettes, aux consoles de jeux vidéo, aux ordinateurs à l’école ou au téléphone d’un parent, les jeunes ont une vie en ligne, qu’ils aient ou non leur propre cellulaire.
C’est pourquoi il est essentiel de bien préparer votre enfant à la vie numérique. De la même façon que vous lui enseignez à traverser la rue et à respecter les autres dans la cour d’école, vous devez lui apprendre à reconnaître la désinformation, à bien se comporter en ligne, à venir vous voir lorsque quelque chose le met mal à l’aise, à ne pas ajouter d’inconnus sur un réseau social et à ne pas prendre tous les influenceurs au mot. Même pour les adultes, ce n’est pas toujours facile.
Préparer le terrain
Il n’existe pas d’âge magique auquel un enfant est prêt à recevoir un téléphone intelligent. De l’avis de Linda S. Pagani, un jeune ne devrait avoir son premier appareil que lorsqu’il commence à travailler. « C’est à ce moment-là qu’il démontre qu’il est assez responsable pour en avoir un », estime-t-elle. Cependant, la grande majorité des parents abdiquent bien avant.
Selon la psychologue, une période de transition avec un téléphone familial – votre ancien appareil qui dormait dans un tiroir, par exemple – est nécessaire avant que l’enfant ait son propre cellulaire, et elle doit se faire sous la supervision des parents. « Un enfant de moins de 14 ans va faire des bêtises et c’est normal », souligne-t-elle.
Par exemple, un adulte ne confierait jamais son adresse à un inconnu sur Internet. Un enfant, malheureusement, n’a peut-être pas le réflexe de se protéger de la sorte... Il importe donc que vous soyez présent pour l’aider dans ces apprentissages. Durant cette période de transition, un jeune ne devrait d’ailleurs pas utiliser le téléphone familial seul dans sa chambre.
Selon Kara Brisson-Boivin, d’HabiloMédias, c’est aussi un bon moment pour ouvrir les premiers comptes sur des réseaux sociaux avec votre enfant. « Vous pouvez, par exemple, créer un compte Instagram qui mettra en vedette le chien de la famille, et laisser le jeune s’en occuper. C’est une bonne façon de parler de plein de sujets liés aux réseaux sociaux », illustre-t-elle.
Si votre enfant veut prendre une photo de votre chat avec un membre de la famille, c’est le moment de lui expliquer qu’il doit obtenir le consentement de la personne, par exemple. À supposer qu’il ne suive que des influenceurs faisant part de trucs « beauté » à leurs abonnés, une discussion sur l’apparence peut s’imposer.
« Le plus important est de créer une relation de confiance, car quand l’enfant sera plus vieux et qu’il ne sera plus surveillé d’aussi près, vous voulez qu’il vienne vous voir s’il a un problème », fait remarquer Linda S. Pagani.
13 ans, minimum
La majorité des réseaux sociaux, comme YouTube et Instagram, exigent que l’internaute ait au minimum 13 ans pour se créer un compte. Certains offrent toutefois des applications adaptées pour les plus jeunes. Messenger Kids, par exemple, limite les personnes qui peuvent contacter votre enfant et vous permet d’interdire les communications la nuit.
Quel téléphone donner à votre enfant?
Plusieurs options s’offrent à vous. Le classique : lui refiler votre appareil au moment de vous en acheter un neuf. Si vous n’avez pas de vieux téléphone sous la main, optez pour un modèle usagé ou remis à neuf chez un détaillant spécialisé; attendez-vous à payer de 300 à 400 $ environ pour un iPhone lancé il y a cinq ans, par exemple. Certains commerçants, dont SecondCell.ca, offrent jusqu’à six mois de garantie, ce qui est à considérer si vous achetez un vieil appareil.
Pour ce qui est des forfaits, les stratégies varient. « Il aura un forfait de données quand il pourra se le payer lui-même; c’est une façon de se responsabiliser », fait valoir Geneviève Guilbault, dont le fils doit pour le moment se contenter du Wi-Fi. À noter : des applications (comme Fongo) permettent de passer des appels gratuitement avec un réseau Wi-Fi, et le service d’urgence 911 est accessible en tout temps, même sans forfait cellulaire.
Encadrer l’utilisation du téléphone
Certes, l’âge du premier téléphone varie d’un enfant à l’autre, mais la façon de le donner, elle, devrait être la même. « Il faut établir clairement des règles avec l’enfant. Vous pouvez même faire un contrat qui explique pour quelles raisons vous avez donné le téléphone et quelles sont les conditions de son utilisation », suggère Kara Brisson-Boivin.
Ces conditions peuvent varier. Les observateurs conseillent de ne pas permettre aux enfants l’usage du téléphone le soir après l’heure du coucher, par exemple. « Et il faut montrer l’exemple : s’ils n’ont pas le droit d’avoir leur téléphone à table, vous ne devriez pas avoir le vôtre non plus », ajoute la chercheuse.
Par ailleurs, les parents devraient-ils lire les conversations des enfants? La question est délicate. Chez les plus jeunes qui possèdent un téléphone de transition, la réponse est oui. En revanche, l’enfant qui a son propre appareil devrait en théorie être assez mûr pour avoir droit à son intimité.
« Une chose est certaine : les motifs qui vous pousseraient à violer la vie privée de l’enfant devraient être établis à l’avance », croit Kara Brisson-Boivin. Assouvir votre curiosité n’est pas une bonne raison; essayer de comprendre pourquoi l’adolescent se replie sur lui-même et va moins bien qu’auparavant à l’école, oui.
Le géolocaliser?
L’idée de géolocaliser les enfants avec des applications spécialisées ou les outils intégrés aux plateformes mobiles soulève elle aussi les passions, tant dans les familles que du côté des experts. « C’est une question difficile », avoue Kara Brisson-Boivin. Après tout, les anciennes générations ont survécu sans puces GPS. Néanmoins, nos parents auraient peut-être été ravis d’avoir accès à cette technologie…
Si cela peut vous rassurer, sachez que 74 % des jeunes sont d’avis que les membres de leur famille devraient être autorisés à utiliser des appareils ou des applications pour connaître l’endroit précis où ils se trouvent, selon l’étude Jeunes Canadiens dans un monde branché.
Des outils à prendre ou à laisser
Si vous optez pour une surveillance serrée, différents outils peuvent vous aider à encadrer vos enfants. En partageant vos comptes Apple avec le reste de la famille (Réglages > Votre nom > Partage familial), il y a moyen de restreindre l’accès aux sites pour adultes sur l’iPhone de votre enfant, d’interdire l’utilisation de certaines applications et de contrôler les heures pendant lesquelles le téléphone peut être utilisé. Ces différentes options sont offertes dans le menu Réglages > Temps d’écran.
Sur Android, ces fonctionnalités sont accessibles avec l’application Google Family Link. Celle-ci est aussi offerte sur iOS, pour contrôler le téléphone Android de votre enfant avec un iPhone.
De telles fonctionnalités ne sont toutefois pas une nécessité. « Une surveillance extrême peut nuire à la confiance », prévient Kara Brisson-Boivin. Elles ont aussi leurs limites : « Les enfants sont habiles. Une fois que le contrôle parental avait été désactivé par erreur, mon fils en avait profité pour installer TikTok en douce », se souvient Geneviève Guilbault.
Il ne faut d’ailleurs pas utiliser ces outils comme des béquilles. « C’est impossible de créer un environnement complètement sans risque, estime Kara Brisson-Boivin. Tout comme dans la vie hors ligne, il y a des dangers. Ce que nous devons faire comme parents, c’est de préparer nos enfants à les affronter et les aider à bâtir leur résilience ».
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