Il a commencé le secondaire en septembre dernier. Il est débarqué dans une nouvelle école, avec de nouveaux amis et de nouveaux enseignants. Je me disais que c’était beaucoup de nouveautés d’un coup et qu’il pouvait prendre le temps de s’adapter à sa nouvelle vie avant que je lui fournisse un téléphone.
Pendant toute la dernière année scolaire, il m’a répété inlassablement qu’il était le SEUL dans sa classe à ne pas posséder cet appareil désormais indispensable au quotidien des adolescents. Comble de son malheur: ce printemps, certains de ses enseignants permettaient aux élèves de jouer avec leur téléphone dans les dix dernières minutes du cours.
Cette consigne m’a profondément déplu, à tel point que j’ai écrit à la direction de l’école pour souligner ma désapprobation. Je voue un très grand respect aux enseignants, mais je pense qu’il y a de meilleurs moyens d’écouler les dernières minutes d’un cours qu’en laissant les jeunes jouer à Candy Crush ou défiler leur fil Instagram.
Un objet loin d’être banni
Cette histoire m’a amenée à m’interroger sur la présence des téléphones intelligents en classe. Doivent-ils être tolérés, avec tous les dérapages qui peuvent survenir? Ou doivent-ils être exclus? A priori, je me disais qu’ils devaient être bannis. Par souci d’équité pour les élèves dont les parents n’ont pas les moyens d’acheter cet appareil électronique. Et pour éviter que les profs doivent aussi gérer les jeunes qui ont de la difficulté à quitter un écran des yeux. Or, le milieu de l’éducation manifeste une certaine ouverture à cette technologie.
Au Centre de services scolaire (CSS) de la Capitale, chacun des établissements décide des technologies qui sont acceptées dans les classes. À l’école secondaire Roger-Comtois, par exemple, le code de conduite mentionne que «l’utilisation des appareils électroniques en classe doit se faire dans le respect des règles de l’école ou des consignes données lors de toutes activités scolaires».
«Toutefois, nous savons que certains enseignants autorisent l’utilisation du cellulaire pour des activités pédagogiques», indique la porte-parole du CSS, Marie-Claude Lavoie.
Même son de cloche au CSS de Montréal. «Les cellulaires peuvent être permis dans certaines conditions, par exemple pour certains projets pédagogiques qui ont lieu en classe», rapporte son porte-parole, Alain Perron. Mais jamais pendant les examens, précise-t-il.
La Fédération autonome de l’enseignement, qui représente quelque 50 000 enseignants, approuve aussi l’utilisation des téléphones intelligents en classe, pourvu que «l’autonomie professionnelle» de ses membres soit respectée.
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Un encadrement nécessaire
Si les téléphones intelligents sont acceptés dans le cadre d’activités pédagogiques, encore faut-il que leur intégration en classe soit planifiée. «Il faut prendre en compte ses forces et ses limites», note Simon Collin, professeur au département de didactique des langues de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et directeur de la Chaire de recherche du Canada sur l’équité numérique en éducation.
Selon lui, le téléphone intelligent peut être très utile pour une recherche d’information –dictionnaire ou calculatrice, notamment –, mais beaucoup moins pour rédiger un texte ou participer à une rencontre d’équipe en classe. «La pertinence pédagogique doit primer sur l’intégration du numérique», insiste M. Collin.
Les enseignants doivent cependant veiller à ne pas «exacerber les inégalités numériques», selon le professeur de l’UQAM. Cela signifie qu’ils doivent d’abord vérifier quels élèves possèdent un téléphone intelligent et adapter les activités en conséquence. Par exemple, en fournissant des tablettes à ceux qui n’en ont pas ou en autorisant le partage de ces outils numériques.
Mais comment éviter les dérapages? Simon Collin propose de faire signer aux élèves un contrat pédagogique, qui déterminerait les usages acceptés à l’école et qui inclurait des clauses pour prévenir la cyberintimidation. Il n’empêchera pas les jeunes de lire leurs messages sur Snapchat ou de filmer leurs amis en classe. «Mais ils sauraient que s’ils dépassent une ligne, il y a une sanction», dit le chercheur. Et ils apprendront de leurs erreurs. «Si on interdit complètement les technologies, on ne fait pas de l’éducation», ajoute M. Collin.
Fiston ne prendra pas une pause de ses moyens de pression pendant l’été. Il veut avoir un téléphone pour communiquer avec ses amis, jouer à des jeux et me contacter rapidement en cas de besoin. Quoique, pour ce dernier argument, il ait su se débrouiller cette année. À moi de voir si je cède à sa demande. Je peux profiter de quelques semaines de réflexion avant la prochaine rentrée scolaire.
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