Travail des enfants : Québec sonne la fin de la récréation
Il est désormais interdit d’embaucher des jeunes de moins de 14 ans au Québec et de les faire travailler plus de 17 heures par semaine en période scolaire. Il existe quelques exceptions, dont les entreprises familiales.
Le projet de loi 19, déposé par le ministre du Travail Jean Boulet, a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale, le 1er juin. Il modifie la Loi sur les normes du travail, la Loi sur la santé et la sécurité du travail, et le Règlement sur les normes du travail de sorte qu’un employeur ne pourra plus, sauf exception, confier quelque tâche que ce soit à un enfant de moins de 14 ans.
Dès le 1er septembre, tout enfant tenu de fréquenter l’école ne pourra travailler plus de 17 heures par semaine, et pas plus de 10 heures du lundi au vendredi en période scolaire. Il pourra le faire durant les congés de sept jours ou plus (par exemple aux temps des Fêtes ou durant les vacances d’été).
« Ça reprend essentiellement les conclusions du rapport unanime du Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM) remis au ministre en décembre dernier », se réjouit la députée libérale Madwa-Nika Cadet, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’emploi.
Le ministre Jean Boulet a prévu des exceptions à l’avantage de certains secteurs. Ainsi, les enfants de moins de 14 ans peuvent continuer de gagner des sous dans le secteur des arts et spectacles ainsi que dans les organismes sans but lucratif à vocation sociale, communautaire ou sportive (comme les colonies de vacances ou les clubs de gymnastique). Ils sont encore autorisés à faire du gardiennage et du tutorat.
« C’est une question de bon sens, commente Mme Cadet. Ce sont des activités qui ne menacent ni la santé ni la sécurité des jeunes. »
De son côté, toute entreprise familiale de moins de 10 salariés peut encore embaucher un jeune de moins de 14 ans s’il s’agit de l’enfant du propriétaire, de son conjoint ou de sa conjointe, de l’administrateur ou de l’associé.
Une fois la loi adoptée, les employeurs disposaient d’une période de 30 jours pour remettre un avis de cessation d’emploi à leurs salariés de moins de 14 ans, avec un préavis d’une à trois semaines selon son ancienneté.
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Quasi-consensus
Tout indiquait que l’adoption de ces nouvelles mesures destinées à favoriser la persévérance scolaire et à prévenir des accidents de travail graves se ferait sans heurts puisqu’elles répondent à plusieurs demandes exprimées par les partis d’opposition.
« Ce qui avait été déposé me plaît, parce que je m’attendais à pire », a expliqué le député de Québec solidaire Alexandre Leduc. Le porte-parole du deuxième groupe d’opposition officielle en matière d’emploi craignait que le ministre Boulet ne succombe entre autres aux fortes pressions du lobby de la restauration.
Les organisations patronales et syndicales qui constituent le CCTM ont évidemment toutes applaudi au projet de loi 19.
Le Réseau québécois pour la réussite éducative (RQRÉ) a aussi salué cette avancée.
Maintes études tendent à démontrer que travailler de 10 à 15 heures par semaine permet d’acquérir des compétences et de développer son autonomie ainsi que son sens des responsabilités, mais qu’au-delà, la persévérance scolaire s’essouffle.
Cependant, selon le RQRÉ, les nouvelles règles annoncées ne suffiront pas à créer les conditions favorables à une meilleure conciliation études-travail.
Il faudra continuer à offrir de l’accompagnement à celles et ceux qui choisissent de travailler tout en étudiant, en tenant compte de leurs réalités spécifiques, indique le RDRÉ, et à veiller à ce que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) mette en place des mesures efficaces, notamment un mécanisme de plaintes adapté aux jeunes.
Selon une enquête dévoilée en janvier par le CIUSSS de l’Estrie-CHUS, la proportion des adolescents qui occupent un emploi salarié pendant l’année scolaire varie entre 54 % (première secondaire) et 71 % (cinquième secondaire). Un sur cinq travaille plus de 15 heures par semaine.
Insatisfactions
Certains regroupements d’affaires ont toutefois émis des réserves. C’est le cas de la Chambre de commerce Bellechasse-Etchemins qui estime que « les enfants de 12 ans et plus peuvent et doivent travailler, pourvu que cela n’affecte pas leurs performances scolaires ».
Mais ce sont surtout les restaurateurs qui rongent leur frein. L’Association Restauration Québec (ARQ) aurait préféré que le gouvernement limite à 12 heures la semaine de travail pour les enfants âgés de moins de 14 ans, et à 20 heures celle des jeunes de 14 à 16 ans.
L’ARQ redoute l’impact que les nouvelles règles pourraient avoir sur l’industrie, notamment en région, où les 12-14 ans représentent un contingent non négligeable des travailleurs.
Or, la restauration est, avec l’hébergement et le commerce de détail, le secteur où l’on a, en dix ans, recensé le plus d’accidentés du travail chez les jeunes salariés. De 2012 à 2021, tous secteurs confondus, le nombre d’accidents rapportés par des employés de moins de 19 ans a grimpé en flèche. La hausse observée chez les 14 ans et moins est de 392 %, alors qu’elle se situe à 221 % chez les 15 ans, selon la CNESST.
Société distincte
« Il est temps que le Québec protège mieux ses enfants, dit Madwa-Nika Cadet. Le Québec est en retard sur les autres provinces ! »
Au Canada anglais, l’âge minimal d’employabilité est généralement fixé entre 14 et 16 ans – bien que chaque règle en vigueur comporte des exceptions.
Dans plusieurs provinces et territoires, selon leur âge ou l’emploi convoité, les jeunes travailleurs doivent détenir, en sus du consentement écrit de leurs parents, une autorisation formelle de l’organisme régissant les normes du travail, voire un « certificat de préparation des jeunes travailleurs ».
Travail clandestin
Certains employeurs pourraient être tentés de faire travailler au noir des jeunes de moins de 14 ans, d’après les deux députés. « Il y a quand même un risque que ça arrive », avance la députée libérale.
« Raison de plus, insiste M. Leduc, pour donner plus de moyens à la CNESST, qui devra veiller au respect des nouvelles règles. »
« Tout ça comporte des inconvénients, conclut-il, mais si on veut lutter contre les accidents de travail chez les 12-13 ans, il n’y a pas 150 solutions. »
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Version modifiée le 29 août 2023 pour l'entrée en vigueur de la Loi 19.
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