Entrevue: le ministre Boulet veut dépoussiérer la prévention et la sécurité au travail
Depuis qu’il est à la tête du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, le ministre Jean Boulet s’affaire à réformer les lois qui encadrent le marché du travail au Québec. Et ce n’est pas un luxe: certaines lois datent de plus de 35 ans! Protégez-Vous s’est entretenu en exclusivité avec lui.
Avant d’être assermenté comme ministre en 2018, Jean Boulet pratiquait comme avocat spécialisé en droit du travail. Il était donc aux premières loges pour constater la désuétude de certaines lois touchant des millions de travailleurs québécois, notamment la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST), adoptée en 1979, et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), en vigueur depuis 1985.
«Au Québec, 251 travailleurs par jour subissent un accident de travail, et le nombre de lésions professionnelles, notamment de nature psychologique, a augmenté de façon importante», explique le ministre. En effet, le nombre de lésions professionnelles est passé de près de 88 000 en 2015 à plus de 103 000 en 2018, une augmentation de 15 %, selon le ministère.
Le Québec en retard
«Il fallait dépoussiérer ces deux lois qui, pour moi, sont fondamentales, la première encadrant la prévention des accidents de travail et les maladies professionnelles, et la seconde visant l’indemnisation des travailleurs par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) (NDLR: anciennement la CSST), poursuit Jean Boulet. Lors de leur adoption, le Québec était à l’avant-garde, mais, aujourd’hui, on est vraiment en retard. Il faut donc s’ajuster, notamment en matière de prévention.»
C’est pourquoi, le 27 octobre 2020, le ministre déposait à l’Assemblée nationale le projet de loi no 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail.
Cette proposition de réforme, qui sera débattue à l’Assemblée nationale au cours des prochains mois, est basée sur quatre thèmes: la prévention des risques en milieu de travail; l’accès au régime d’indemnisation en cas de lésions professionnelles; le soutien apporté aux travailleuses et aux travailleurs ayant subi une lésion professionnelle ainsi qu’à leurs employeurs; et d’autres modalités de fonctionnement du régime de santé et de sécurité du travail.
Élargir la couverture
«Actuellement, 25 % des travailleurs sont couverts par des mécanismes de prévention en santé et en sécurité au travail, et le but du projet de loi 59 est de couvrir tous les secteurs d’activités et 94 % des travailleurs et travailleuses du Québec», poursuit le ministre.
Il faut savoir qu’à l’époque, ces lois avaient été conçues pour protéger surtout des groupes de travailleurs dont les tâches étaient très physiques, ce qui explique ce faible taux de personnes couvertes actuellement par ces lois. «Le projet de loi 59 prévoit plutôt des mécanismes de prévention en fonction de la nature et des niveaux de risques d’accident ou de la maladie, tout en tenant compte du nombre de salariés dans les entreprises», précise-t-il.
Dans la mesure où le projet de loi sera adopté tel quel, les 6 % de travailleurs qui ne seront pas couverts par le régime seront les employés des entreprises comptant moins de 20 salariés et où le risque pour la santé et la sécurité est faible.
Soutien aux personnes vulnérables
Jean Boulet croit que cette réforme comblera plusieurs lacunes présentes dans les lois actuelles.
Par exemple, le projet de loi prévoit protéger les travailleuses domestiques, «des personnes souvent vulnérables», souligne le ministre. À certaines conditions (heures de travail, notamment), elles pourront avoir droit aux indemnisations de la CNESST en cas d’accident de travail. De plus, un employeur qui soupçonne qu’une employée est victime de violence conjugale aura l’obligation d’aider cette personne. Il précise aussi que les troubles de stress post-traumatique seront reconnus comme maladies présumées, de même que de nouveaux types de cancer.
Enfin, la réforme vise à ce que les travailleurs qui sont blessés puissent avoir accès à des services de réadaptation plus rapidement afin de diminuer le risque que leurs lésions deviennent chroniques et de favoriser un retour au travail plus hâtif.
«On va s’assurer que le projet de loi réponde aux besoins du marché du travail, conclut le ministre. En contexte de pénurie de main-d’œuvre, on a besoin de travailleurs en santé. En 2018, on comptait près de 9 millions de jours d’absence liés à une lésion professionnelle, soit l’équivalent de près de 36 000 travailleurs à temps complet pendant un an, et des coûts directs et indirects estimés à plus de 4 milliards de dollars pour l’économie québécoise», rappelle Jean Boulet, qui espère que le projet de loi sera adopté rapidement, pour une entrée en vigueur dès 2022.
Rien de neuf pour le télétravail
Le ministre n’entend cependant pas réviser, du moins à court terme, les lois en matière de télétravail puisqu’elles sont adéquates, selon l’avis sur le télétravail du Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM) rendu public le 23 octobre 2020.
Au Québec, environ 40 % de la population active, qui totalisait 4,4 millions de personnes en mai 2020, a été mise en mode télétravail au début de la pandémie. Il s’agit d’un changement important et subit, considérant que dans le Québec pré-COVID-19, à peine 15 % des salariés travaillaient depuis leur résidence.
Le télétravail étant une modalité de travail, il est couvert par le cadre juridique applicable à tout contrat de travail ou convention collective entre salariés et employeurs. Il est notamment visé par les dispositions du Code civil du Québec, du Code du travail, de la Loi sur les normes du travail (LNT), de la LSST, de la LATMP, de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé ainsi que de la Charte des droits et libertés de la personne et les autres dispositions d’ordre public.
Le gouvernement encourage les milieux de travail à se doter d’une politique sur le télétravail ou à convenir d’une entente-cadre sur le télétravail afin d’en baliser les modalités. Il est important de susciter la discussion dans les milieux de travail, autant dans les milieux syndiqués que non syndiqués, sur cette question qui fait désormais partie de notre environnement de travail.
Rappel des nouveautés adoptées en 2019
Équité salariale
En vigueur depuis le 10 avril 2019, la Loi modifiant la Loi sur l’équité salariale (projet de loi 10) précise et améliore le processus d’évaluation du maintien de l’équité salariale. De plus, elle permet de corriger des écarts salariaux et de poursuivre la lutte contre la discrimination à l’égard des personnes occupant un emploi à prédominance féminine.
Services essentiels dans les domaines de la santé et de la sécurité publique
La Loi modifiant le Code du travail concernant le maintien des services essentiels dans les services publics et dans les secteurs public et parapublic (projet de loi 33) est entrée en vigueur le 30 octobre 2019. Cette loi impose notamment le maintien des services essentiels à la santé ou à la sécurité publique en cas de grève dans un établissement de santé et de services sociaux (plutôt que le maintien d’un pourcentage de salariés par quart de travail).
Source: Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale
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