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Encadrement du travail des jeunes : une loi ou un cocktail de mesures ?

Par Jean-François Gazaille
travail-jeunes Jacob Lund/Shutterstock.com

S’ils admettent que le gouvernement doit mieux encadrer le travail des jeunes, les employeurs hésitent encore à exprimer publiquement leurs attentes. Même les organismes au premier plan de la lutte au décrochage scolaire sont perplexes.

Le ministre du Travail, Jean Boulet, déposera en février 2023 un projet de loi « s’inspirant » du rapport que vient de lui remettre le Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM).

Le ministre ne s’engage toutefois pas à ce que sa future loi réponde à tous les vœux du CCTM, lequel recommande de fixer à 14 ans l’âge minimal d’employabilité et d’interdire aux jeunes de moins de 16 ans de travailler plus de 17 heures par semaine pendant l’année scolaire – et pas plus de 10 heures du lundi au vendredi.

Plus de la moitié des Québécois de 15 à 19 ans (53 %) occupent un emploi pendant l’année scolaire – comparativement à 41,7 % à l’échelle canadienne – et y consacrent en moyenne près de 20 heures par semaine, selon l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire 2016-2017.

« Nous n’avons pas encore de position officielle, nous sommes en discussion, mais je pense qu’il faut définir ce qui est acceptable », affirme Charles Milliard, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec.

Même son de cloche du côté de l’Association restauration Québec. « Nous préservons nos arguments en vue d’éventuelles consultations publiques », résume Dominique Tremblay, directrice aux affaires publiques et gouvernementales.

Le Conseil québécois du commerce de détail a refusé notre demande d’entretien.

Les secteurs de la restauration et du commerce de détail sont, avec celui de l’hébergement, les principaux recruteurs de jeune personnel.

Persévérance scolaire

Maintes études tendent à démontrer que le fait de travailler de 10 à 15 heures par semaine permet d’acquérir des compétences et de développer son autonomie et son sens des responsabilités.

Au-delà, la persévérance scolaire s’essoufflerait. Selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), la proportion d’élèves à risque de décrocher est de 30,7 % chez ceux qui travaillent 16 heures et plus ; dans ce dernier groupe, la propension à l’abandon est nettement plus élevée chez les garçons (38,1 %) que chez les filles (20,7 %).

L’ISQ a récemment amorcé une nouvelle consultation auprès des élèves de niveau secondaire. Les résultats de cet exercice sexennal ne seront pas connus avant l’automne 2024.

Le taux d’abandon scolaire moyen s’élevait à 14 % au terme de l’année 2019-2020.

La concertation d’abord

« Sur la question du nombre d’heures consacrées au travail, chaque jeune est unique. Chacun est apte à s’organiser et à cumuler les activités, croit Audrey McKinnon, directrice générale du Réseau québécois pour la réussite éducative. Mais il faut que la société, les parents, le gouvernement, les employeurs s’assurent que la première activité de chaque jeune reste l’école. »

L’organisation, qui regroupe 18 organismes régionaux collaborant avec les carrefours jeunesse-emploi, le milieu scolaire et les chambres de commerce, ne préconise donc pas forcément un resserrement du cadre actuel. « On ne connaît pas encore l’ampleur du problème, poursuit Mme McKinnon. Il faut d’abord comprendre la situation et ensuite évaluer ce qu’on peut faire. On a déjà des lois qui protègent les jeunes. »

Par ailleurs, de nombreuses initiatives ont été mises en place, au fil des ans, pour favoriser un équilibre entre le travail et les études.

Certaines ont une portée panquébécoise, comme le programme de sensibilisation Employeurs engagés ou le concours Mon boss, c’est le meilleur! D’autres ont une vocation régionale ; c’est le cas du site Je choisis mon employeur, qui s’adresse à la fois aux entreprises et aux jeunes travailleurs de l’Estrie, ou encore de C’est mon choix, un répertoire d’employeurs en Beauce.

En février 2022, la Fédération des chambres de commerce du Québec a lancé sa Charte des employeurs pour la persévérance scolaire, laquelle invite notamment ses membres à offrir un horaire adapté et à encourager l’obtention du diplôme visé. Environ 200 grandes et petites entreprises y ont adhéré, d’après Charles Milliard.

La Commission des normes de l’équité de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) s’efforce, elle aussi, d’informer les jeunes travailleurs de plusieurs manières : campagne publicitaire à la radio et sur les réseaux sociaux, concours vidéo, site web Jeunes au travail.com et, l’été dernier, escouade de prévention auprès des jeunes travailleurs estivaux.

Mais quelles sont les retombées de toutes ces initiatives ? « On n’a pas les chiffres qui permettent de mesurer l’impact de la Charte des employeurs, mais c’est la somme de toutes ces petites mesures qui peuvent faire une différence », soutient M. Milliard.

Il n’est par ailleurs pas facile de trouver la bonne manière d’atteindre la jeune clientèle. Si l’on se fie aux conclusions d’un rapport d’évaluation publié en 2015, il s’est avéré que moins de la moitié des quelque 7 000 élèves sondés connaissait le programme Conciliation études-travail (CÉ-T) sur la persévérance scolaire et la réussite éducative des élèves en Estrie et accordait de l’importance au fait que l’employeur soit certifié CÉ-T.

La majorité des élèves en emploi ne savait même pas si leur employeur détenait cette certification, et très peu avaient entendu parler du programme par leur employeur.

La sécurité d’abord

Conciliation études-travail ou pas, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) craint que l’on ne soit en train de compromettre la sécurité et le développement des enfants.

« On voit une progression constante du travail des jeunes de première, deuxième et troisième secondaire que l’on ne voyait pas il y a 20 ans, s’inquiète Daniel Ducharme, chercheur à la CDPDJ. C’est en train de se systématiser. »

Entre les années scolaires 2010-2011 et 2016-2017, la proportion des jeunes au travail a bondi de 8 % en première secondaire, de 11 %, en deuxième secondaire et de 12 % en troisième secondaire !

La CDPDJ demande des « balises plus strictes » – sans les préciser – en termes d’âge minimal et de durée quotidienne ou hebdomadaire du travail, pour clarifier la notion de « travail disproportionné par rapport à ses capacités », utilisée dans la Loi sur la protection de la jeunesse et la Loi sur les normes du travail.

Une seule demande claire semble émerger dans ce débat : celle de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (OCRHA), qui réclame un maximum de 12 heures de boulot par semaine pendant l’année scolaire, et seulement pour les élèves de moins de 16 ans.

L’Ordre s’inquiète des risques de décrochage, mais également de la hausse du nombre d’accidents de travail chez les jeunes salariés.

En 2021, la CNESST a traité 3 198 dossiers concernant des jeunes de 19 ans ou moins victimes d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle. C’est 11 % de plus que l’année précédente. Chez les seuls salariés de moins de 16 ans, les cas rapportés à la CNESST ont plus que doublé entre 2018 et 2021, passant de 85 à 203. On déplore même un décès.

« Certains jeunes sont… trop jeunes pour réagir face aux risques, affirme Manon Poirier, directrice générale de l’OCRHA. Un adolescent de 12 ou 13 ans n’a pas la même maturité, la même capacité de compréhension qu’un autre de 16 ans. »

Pas étonnant que son organisation souhaite en plus que l’on interdise en tout temps l’attribution, à des jeunes de moins de 14 ans, de tâches comportant des risques élevés pour leur intégrité physique et psychologique.

Retour vers le futur?

En matière d’encadrement du travail des jeunes, le Québec se distingue des autres provinces canadiennes, lesquelles ont toutes fixé un âge légal minimal d’employabilité et un nombre maximal d’heures hebdomadaires de travail pour les enfants.

Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Avant l’abrogation de la Loi sur les établissements industriels et commerciaux, remplacée par la Loi sur les normes du travail en 1980, l’embauche d’un enfant de moins de 16 ans en pleine année scolaire était interdite. En 1999, Québec a ajouté certaines exigences toujours en vigueur, comme le consentement parental pour les jeunes de moins de 14 ans, l’interdiction de tâches disproportionnées et celle du travail de nuit.

Avant de se tourner systématiquement vers du personnel de plus en plus jeune, les employeurs pourraient examiner d’autres solutions, selon Manon Poirier, de l’OCRHA. Malgré un taux de chômage exceptionnellement bas, certains groupes au sein de la population active sont, en effet, sous-représentés dans les entreprises.

« Le jour où l’on aura une juste représentation des personnes en situation de handicap, des autochtones, de certaines minorités visibles, et qu’il ne restera que le bassin des plus jeunes où recruter, là on pourra dire qu’on a fait tout ce qu’il fallait pour combler les postes », conclut-elle.

>> À lire aussi : Devez-vous autoriser votre enfant à travailler ?

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  • Par Gaetan Sauvageau
    13 décembre 2022

    Encore un concert autour de l'enfant en oubliant ici qu'il s'agit d'adolescents qui travaillent. Les enfants jouent, les adolescents jouent aussi mais ils savent travailler. Et en plus ils aiment cela.