J’ai moi-même vécu l’expérience au lendemain de ma visite dans un centre de vaccination. Après avoir évoqué les légers symptômes que je ressentais quelques heures après avoir levé ma manche, un voisin m’a confié qu’il préférait attendre avant de se faire injecter l’un des vaccins contre la COVID-19. Jusque-là, ça allait. Ça s’est gâté quand il a parlé des travaux du très controversé médecin français, Didier Raoult, et des cas de personnes vaccinées qui attrapaient le virus, en laissant entendre qu’elles l’avaient contracté à cause du vaccin.
Ayant suivi de près tous les développements de cette pandémie, je me suis permis – respectueusement – d’argumenter. Non, le vaccin à ARN-Messager ne contient pas le virus. Et, même vacciné, on peut attraper la maladie et la transmettre, mais généralement dans une moindre mesure que si on n’est pas vacciné. Et je n’ai pas sorti ces informations d’un chapeau. Des organisations fiables l’indiquent ici, ici, ici, ici et ici.
J’ai rapidement arrêté. Après tout, comme le répète régulièrement le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, il faut donner un « consentement libre et éclairé » pour recevoir un vaccin.
Un sujet polarisant
Cette discussion de trottoir m’a quand même fait réfléchir sur ce sujet polarisant qu’est la vaccination et des disputes qui pourraient survenir dans les réunions de famille, mais aussi entre collègues de travail autour de la machine à café. Alors que le déconfinement progresse dans tout le Québec, les entreprises s’apprêtent à rappeler leurs employés au bureau. Après avoir géré les conflits virtuels, comment peuvent-elles prévenir ceux qui touchent la vaccination ? Les employés peuvent-ils demander à leurs collègues s’ils ont été vaccinés ?
La question a été posée au chroniqueur d’éthique du New York Times, Kwame Anthony Appiah. Un lecteur rapportait que la direction de l’université pour laquelle il travaille demandait à ses employés de ne pas questionner leurs collègues sur la vaccination contre la COVID-19.
« Les directives [des Centers for Disease Control and Prevention (CDC)] varient selon le statut vaccinal des gens. Si quelqu’un peut augmenter votre risque de maladie, vous avez le droit de le savoir. Et si vous avez le droit de savoir, vous avez le droit de demander », tranchait de façon très pragmatique M. Appiah.
Il ajoutait que si vous demandez à votre collègue de travail s’il est vacciné, vous démontrez en quelque sorte du respect à son égard. S’il ne l’est pas, il est davantage vulnérable et vous voudrez prendre les moyens nécessaires pour ne pas lui transmettre le virus, si jamais vous devenez une nouvelle victime de la COVID-19. Et vous voudrez vous protéger si c’est lui qui en est atteint.
Le Conseil du patronat du Québec prône la même transparence. « C’est important d’en parler pour que les points de vue différents puissent être entendus et qu’une forme de respect s’installe », avance son président et chef de la direction, Karl Blackburn.
Me Marianne Plamondon, avocate spécialisée en droit du travail au cabinet Langlois Avocats, suggère plutôt d’éviter de discuter de la vaccination dans les milieux de travail. Elle souligne de prime abord que la décision de se faire vacciner ou non appartient à chacun, en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, et que le statut vaccinal fait partie des informations médicales confidentielles.
« Un employeur peut rappeler à ses employés que cela [le statut vaccinal] fait partie de la sphère privée et qu’il s’attend à ce que ce droit soit respecté. Si les gens en parlent d’eux-mêmes, c’est autre chose, [mais] un employé n’a pas à tenter de savoir qui est vacciné et qui ne l’est pas. C’est inapproprié », insiste-t-elle.
La juriste mentionne que le problème risque de se régler de lui-même d’ici la fin de l’été, lorsque 75 % des Québécois seront vaccinés et que l’immunité collective sera atteinte, si tout se passe comme prévu. La transmission du virus sera alors beaucoup plus faible.
Il reste à voir si des variants ne viendront pas contrecarrer la stratégie vaccinale, auquel cas le débat demeurerait entier.
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