Dans un an, on assistera à la mise en marché des premières camionnettes 100 % électriques. Et comme les premiers clients à pouvoir s’en procurer une seront ceux qui auront fait une précommande, plus tôt on aidera les acheteurs à amortir le coût d’achat élevé, plus vite on verra les bénéfices de l’électrification sur nos routes.
Le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, a tenu la semaine dernière une conférence de presse devant le Centre technique de General Motors à Brampton, en Ontario. L’invitation stipulait qu’il allait y être question des incitatifs à l’achat de véhicules électriques.
Vu le sujet annoncé, à peu près tous les experts de l’industrie canadienne du transport s’attendaient à ce que le ministre annonce une bonification de l’aide financière pour répondre à leurs récentes demandes. En gros : il serait temps d’élargir l’aide pour inclure les VUS, les camionnettes, ainsi que les véhicules usagés électriques.
Le moment choisi pour une telle annonce aurait été parfait : deux jours plus tôt, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), affilié à l’ONU, publiait un compte rendu accablant sur l’état du climat mondial. Son constat : il faut peser sur l’accélérateur de la transition électrique si on veut à tout le moins éviter le pire en matière de changement climatique.
Mais ce n’est pas ce qu’a fait le ministre. Il s’est félicité (et on peut le faire nous aussi) du fait que 100 000 automobilistes ont profité de l’aide fédérale existante pouvant atteindre 5 000 $ à l’achat d’une voiture électrique pour changer de véhicule. Du coup, ce sont les émissions polluantes équivalant à celles de 900 000 foyers canadiens qui sont évitées.
C’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Après tout, cette aide se limite à des véhicules électriques coûtant au maximum 45 000 $, ou 55 000 $ dans le cas d’un véhicule à sept places, excluant les options.
La carotte au lieu du bâton
Concernant le transport, le Canada vise deux cibles : interdire la vente de véhicules à moteur thermique en 2035 et atteindre la carboneutralité en 2050. Au rythme actuel, le pays va rater les deux. Sans surprise. À ce jour, le Canada n’a jamais – jamais ! – réussi à respecter l’une de ses cibles environnementales.
On peut blâmer le gouvernement pour son inaction. On doit aussi pointer du doigt les consommateurs qui achètent des véhicules toujours plus gros, plus lourds et plus gourmands. Comme il est moins cher à l’achat d’opter pour un VUS coréen à moteur à essence que de choisir une petite japonaise électrique, la situation s’explique aisément.
Avant la pandémie, bien des spécialistes suggéraient d’augmenter, voire de doubler le prix de l’essence en haussant les taxes sur le carburant pour accélérer la transition vers l’électrique.
Aujourd’hui, la pensée a évolué et l’idée d’aider les gens à acheter un véhicule électrique rallie plus d’adeptes. Et ça marche. Le ministre l’a confirmé la semaine dernière.
Mais ça ne suffit pas. Les automobilistes préfèrent les VUS pour leur confort et leur utilité ou les camionnettes parce que leur boulot l’exige. Pour eux, une Chevrolet Bolt est tout sauf un choix logique. Et dépenser 120 000 $ pour une camionnette Hummer EV complètement déjantée n’est pas plus raisonnable. Ça se comprend tout à fait ! Même électrique, le Hummer est tout aussi absurdement irrationnel que sa version originale à essence du début des années 2000…
Réduire de quelques milliers de dollars le prix d’achat d’une camionnette électrique d’entrée de gamme qui coûterait entre 50 000 et 60 000 $ pourrait être une option à considérer. C’est du moins ce que suggère l’organisme Mobilité électrique Canada.
Agir plus vite
Imaginons un instant qu’Ottawa et Québec retranchent 13 000 $ sur le prix d’achat d’une camionnette de 55 000 $. À 42 000 $, on avoisine le prix moyen payé en ce moment au Canada pour un véhicule neuf (selon le site Auto Hebdo, il est légèrement supérieur à 40 000 $ à l’heure actuelle).
Il est plus facile pour l’acheteur d’amortir ensuite la surprime payée par rapport à une camionnette à essence d’entrée de gamme avec les économies réalisées quotidiennement en évitant d’aller à la pompe. Il y a aussi un avantage collectif majeur : les camionnettes sont les véhicules légers les plus polluants sur la route. Les retirer plus tôt aura un bénéfice environnemental plus important que de remplacer une Nissan Versa par une Nissan Leaf…
Évidemment, le gouvernement pourrait attendre que les premiers modèles de camionnettes électriques arrivent chez les commerçants pour offrir son aide. Mais ce serait perdre un temps précieux. Déjà, 1,25 million de personnes en Amérique du Nord sont inscrites sur la liste d’attente pour acquérir un Cybertruck de Tesla.
Les camionnettes électriques que Ford et Chevrolet prévoient vendre plus tard, en 2023 ou 2024, sont tout autant convoitées. Mais la production ne suffira pas à satisfaire toute la demande dès la première année. Ni même la seconde. Avec la pénurie de composants électroniques et électriques qu’on connaît ces jours-ci, plusieurs craignent que les cibles d’électrification fixées pour 2030 (la moitié du parc automobile !) ne soient pas atteintes.
Bref, aider les acheteurs canadiens plus tôt que tard leur conférerait un avantage par rapport aux acheteurs d’autres marchés. C’est important puisque les constructeurs vont distribuer leurs produits en premier là où la demande sera plus forte. Ils le font déjà en réservant leurs modèles électriques au Québec et à la Colombie-Britannique. C’est là où l’aide à l’achat et la demande sont les plus élevées.
Que le gouvernement fasse preuve d’un peu de vision dans l’électrification du transport pour s’assurer d’atteindre ses objectifs climatiques est probablement l’effort le moins difficile qu’il aura à faire au cours des 30 prochaines années.
Évidemment, on risque d’en entendre parler sous forme d’une promesse électorale dans les cinq prochaines semaines, vu le scrutin fédéral qui s’en vient le 20 septembre.
Rappelons tout de même que, comme les promesses climatiques du Canada, les promesses électorales ont la fâcheuse manie de ne pas toutes se réaliser. Voilà une tendance qu’il serait intéressant de renverser…
Photo: Ford.ca
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