VUS : En avez-vous vraiment besoin?
Si vous croyez qu’un véhicule utilitaire sport (VUS) est plus sécuritaire, pas vraiment plus coûteux ni beaucoup plus polluant qu’une voiture ordinaire, notre tour d’horizon de ces modèles populaires vous surprendra.
Fini, les petites autos?
Sécuritaire : oui... et non
Le danger, c’est pour les autres
Le surcoût des VUS
Tout est dans la dépréciation
En vert et contre tous?
Le secret est dans la borne
Fini, les petites autos?
Comme partout ailleurs sur la planète, le Québec n’échappe pas au grand virage vers les véhicules utilitaires sport (VUS). L’an dernier, les acheteurs de véhicules neufs ont opté une fois sur deux (52 %) pour un modèle utilitaire, une désignation fourre-tout pour les multisegments (crossovers en anglais) et les VUS.
L’autre moitié des acheteurs a choisi comme suit : 17 % des camionnettes, 4 % des fourgons et fourgonnettes et seulement 27 % des voitures. La popularité de ces dernières est d'ailleurs à un creux historique.
Pourquoi donc pareil engouement pour les VUS? Karine Jacquard, infirmière de la banlieue montréalaise, a troqué sa petite Volkswagen Golf contre le Buick Encore GX au nom de la sécurité de la traction intégrale. De leur côté, les retraités Nicole et Grégoire Caron ont remplacé leur petite Nissan Micra par le VUS Nissan Kicks, pour l’espace de chargement.
Et la tendance n’ira qu’en s’accentuant : les petites voitures sont en voie d’extinction. Ford n’offre plus de berlines depuis deux ans; la Honda Fit, la Hyundai Accent et la Nissan Micra sont disparues cette année de chez leurs concessionnaires; et la Toyota Yaris ainsi que la Volkswagen Golf feront de même l’an prochain.
Les constructeurs affirment que la demande pour les petites voitures est au point mort, mais peut-être est-ce parce qu’ils incitent les consommateurs à se tourner vers les plus gros modèles, dont la vente est nettement plus profitable pour eux.
Comment? Par des stratégies marketing « mettant de l’avant des modalités de financement attrayantes », et en « représentant les camions dans des environnements naturels, dépeints comme pouvant être dominés et contrôlés par le véhicule », condamne Équiterre dans sa récente étude Sans limite – La publicité automobile au Canada.
Or ce marketing fonctionne, comme le fait remarquer le chroniqueur Ron Corbett, de l’Association pour la protection des automobilistes (APA) : « Les consommateurs paient plusieurs milliers de dollars de plus pour passer d’une voiture à un VUS… qui héberge souvent les mêmes composants mécaniques! »
Sécuritaire : oui... et non
Pour démontrer comment se comporte un véhicule en situation réelle de collisions, l’Insurance Institute for Highway Safety (IIHS), aux États-Unis, se base notamment sur le taux de mortalité des conducteurs. Son plus récent bilan (2019) fait état de 24 conducteurs morts par million de VUS immatriculés par an. C’est deux fois moins que pour les automobiles ordinaires (48 morts).
Cela dit, et comme le montre notre tableau, si ce ratio augmente à mesure que la taille du véhicule diminue – les petits utilitaires n’échappent pas à la tendance –, il devient aussi plus élevé pour les très grands formats. Tom Vanderbilt, auteur du livre Traffic – Why We Drive the Way We Do (and What It Says About Us), explique : « Bon nombre de conducteurs choisissent des VUS pour les avantages qu'ils perçoivent en matière de sécurité, mais il est prouvé que ces conducteurs échangent ces avantages contre une conduite plus agressive; notamment en roulant plus vite. »
Taux de décès par catégorie et format de véhicules*
* Nombre de conducteurs morts par million de véhicules de promenade immatriculés par an aux États-Unis. Source : IIHS, 2019. 2 RM : deux roues motrices. 4 RM : quatre roues motrices. S.o. : sans objet.
On note par ailleurs, dans ce tableau, l’incidence de la traction intégrale (4 x 4) : les VUS qui en sont équipés présentent alors le plus faible ratio de morts de conducteurs, devant les fourgonnettes. Toutefois, contrairement à la croyance, la traction intégrale n’est guère utile en situation d’urgence. « Elle n’aide pas au freinage, indique Sylvain Légaré, analyste automobile à CAA-Québec.
Et elle ne donne rien lors d’une perte de contrôle à 100 km/h sur l’autoroute. » Cet ancien pilote de course sur glace estime d’ailleurs que les « quatre roues motrices » donnent un faux sentiment de sécurité : « Ce qui sauve la situation, c’est plutôt une conduite prudente adaptée aux conditions routières… et de bons pneus. »
Le danger, c’est pour les autres
Au tournant du millénaire, les VUS avaient la fâcheuse réputation de capoter et de tuer leurs occupants. Aujourd’hui, la plupart sont assemblés sur des plateformes d’autos, plus basses. C'est sans compter qu'ils profitent tous de la stabilité électronique, devenue obligatoire en 2012.
Ce dispositif, qui aide à rectifier la trajectoire s’il détecte que les roues et le volant ne vont pas dans la même direction, est si efficace qu’il sauve, selon la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) des États-Unis, près des deux tiers des pertes de contrôle (59 %) du côté des camions.
Avides de bien faire aux tests officiels d’antiretournement (rollover en anglais), les constructeurs ont aussi renforcé les châssis de leurs VUS, notamment avec des montants plus imposants. Sauf que cette protection accrue pour les passagers entrave la vue du conducteur... Les grands perdants sont les piétons, de plus en plus nombreux à « disparaître » dans l’angle mort d'un véhicule lorsqu’il tourne à gauche, a découvert un comité d’experts mandaté en 2019 par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).
« Les conducteurs nous disaient ne pas avoir vu le piéton. Après des reconstitutions de scènes, nous nous sommes rendu compte qu'ils ne mentaient pas : les victimes étaient dissimulées par le montant », rapporte le directeur de la Fondation CAA-Québec, Marco Harrison. Soulignons que lorsque ces piétons sont heurtés par un VUS, ils le sont à la hauteur du torse ou de la tête, et non aux jambes, comme par une voiture.
Le surcoût des VUS
Des paiements hebdomadaires plutôt que mensuels, des taux d’intérêt qui s’élèvent au rythme des emprunts amortis sur huit ans… tous les trucs sont bons pour dissimuler la réalité : une voiture, ça coûte cher, comme le souligne le planificateur financier Éric Brassard, auteur du livre Finance au volant. Et un utilitaire, ça coûte encore plus cher.
À l’achat, les 10 VUS compacts les plus populaires au Québec coûtent en moyenne 9 700 $ de plus que leur pendant automobile. L’écart atteint même 15 000 $ pour les versions super équipées de ces véhicules, pourtant dérivés des berlines et des voitures à hayon. Ensuite, un VUS coûte plus cher à faire rouler qu'une voiture standard : après cinq ans, le fait d’avoir pu transporter un madrier ou faire une razzia au Ikea aura coûté en moyenne 3 315 $ de plus.
Pour comparer les coûts d’utilisation annuels des 10 voitures et des 10 VUS les plus populaires au Québec (plus du tiers de toutes les transactions de véhicules neufs l’an dernier), nous avons utilisé l’outil de CAA-Québec. La conclusion? Les VUS coûtent non seulement plus cher à l’achat, mais aussi à l’usage : 10 % de plus minimalement; une surprime de 0,03 $ à chaque kilomètre.
Coûts d’utilisation annuels – Autos et VUS*
* Prennent en compte les versions de base des véhicules (avec transmission manuelle lorsqu'elle est offerte) et à traction intégrale (4 x 4) dans le cas des VUS, en supposant un kilométrage de 20 000 km/an, dont 55 % en ville et 45 % sur l’autoroute, et un prix à la pompe de 1,25 $/L.
Entretien : un VUS est-il plus coûteux à entretenir et à réparer qu’une auto? Le calculateur de CAA-Québec montre un désavantage annuel d’à peine 110 $ pour les modèles utilitaires compacts retenus pour notre comparaison. Il indique aussi que plus les dimensions et l’équipement des véhicules augmentent, plus ces derniers coûtent cher à réparer, et ce, qu’il s’agisse d’une voiture ou d’un camion.
Assurances : selon le calculateur, les primes annuelles seraient en moyenne 50 $ moins chères pour les VUS, des véhicules qui sont pourtant très prisés par les voleurs. Les gens interviewés à ce sujet se sont montrés aussi surpris que nous. Leur hypothèse : des dommages moindres aux VUS lorsqu’ils sont impliqués dans un accident entraîneraient les primes à la baisse.
Essence : ce qu’ils épargnent (peut-être) en assurances, les conducteurs de VUS le dépensent rapidement en essence. Ainsi, le montant supplémentaire entre un utilitaire et une voiture se veut en moyenne de 309 $ tous les 20 000 km. L’écart se creuse si vous roulez davantage en ville.
Tout est dans la dépréciation
Plus que l’essence, l’entretien et les assurances, ce qui coûte le plus cher, c’est la dépréciation. Selon le consensus établi, un véhicule perd la moitié de sa valeur après quatre ans, et c’est vrai pour les voitures: selon le Canadian Black Book, ce guide réputé comme étant la source impartiale la plus fiable dans l’industrie automobile canadienne, celles qui ont été vendues neuves en 2017 ont déjà perdu 47 %.
Populaires comme ils le sont, les VUS déprécient certes moins vite – 41 % en quatre ans –, mais comme leur prix de détail est plus élevé, la perte en dollars absolus l’est aussi. Ainsi, après quatre ans, une auto de 20 000 $ aura perdu 9 400 $ de sa valeur, mais un VUS de 30 000 $ en aura perdu 12 300 $.
En vert et contre tous?
Dans son dernier bilan des tendances automobiles depuis 1975, l’Environmental Protection Agency (EPA) des États-Unis qualifie d’« impressionnantes » les améliorations écoénergétiques apportées aux véhicules. Deux fois plus puissantes que dans les années 1980, les voitures modernes sont en effet 36 % moins polluantes. Et les VUS émettent aujourd’hui un tiers moins de gaz à effet de serre (GES) qu’au début du millénaire.
Sauf que, même avec leurs émissions moyennes de dioxyde de carbone (CO2) réduites à 235 g/km, les utilitaires continuent de polluer plus que les voitures, lesquelles dégagent en moyenne 177 g/km de CO2.
L’Agence internationale de l’énergie estime à 200 millions le nombre de VUS qui roulent sur la planète, ce qui correspond à six fois plus qu’il y a 10 ans. Conséquence : « Les VUS sont les seconds contributeurs à l’accroissement des émissions de CO2 enregistrées depuis 2010, après le secteur de l’énergie, mais devant l’industrie lourde, le transport de marchandises et l’aviation », dit l’organisme intergouvernemental.
Certes, les 10 VUS les plus prisés par les Québécois sont des compacts; n’empêche, ces petits utilitaires polluent 22 % plus que leur pendant automobile.
Après neuf ans – période moyenne durant laquelle les Québécois gardent leur véhicule, selon la firme DesRosiers Automotive Consultants –, les 75 560 acheteurs de VUS compacts l’an dernier auront émis près d’un demi-million de tonnes de CO2 de plus que s’ils avaient choisi une voiture compacte.
Le secret est dans la borne
Rappelons que le Plan pour une économie verte 2030 vise une réduction des GES à 54 millions de tonnes par année, soit 6,4 tonnes par habitant. Pour l’heure, chaque Québécois est annuellement « responsable » de 9,6 tonnes (le plus faible taux par habitant au Canada).
Cette politique prévoit par ailleurs que 1,5 million de véhicules électriques circuleront sur nos routes d’ici 2030, soit 15 fois plus qu’à l'heure actuelle. Le gouvernement du Québec a même annoncé l’interdiction de la vente, à partir de 2035, de véhicules uniquement à essence.
Par rapport à son équivalent à essence, un Toyota RAV4 hybride, par exemple, vous permettra de réduire vos émissions du quart (23 %), et un hybride rechargeable RAV4 Prime, des trois quarts (76 %). Toutefois, pour réduire encore plus vos émissions, vous devrez vous tourner vers un véhicule 100 % électrique. Mieux encore : troquez l’auto pour le transport en commun, la marche et le vélo!
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