Attention

Votre navigateur n'est plus à jour et il se peut que notre site ne s'affiche pas correctement sur celui-ci.

Pour une meilleure expérience web, nous vous invitons à mettre à jour votre navigateur.

Consommation au Panama: croissance et disparités sociales

Par Aude Marie Marcoux Mise en ligne : 04 octobre 2008 Aude Marie Marcoux

Consommation au Panama Aude Marie Marcoux

Le pays d'Amérique centrale souhaite doubler la capacité de passage de son célèbre canal. L'heure est à la croissance, mais les disparités sociales restent bien réelles. Hors frontières.

Depuis que les États-Unis ont remis les rênes du canal de Panama aux Panaméens, en 1999, le pays connaît un boom économique sans précédent. Les autorités s’attellent même à élargir le canal interocéanique, où transite actuellement près de 20 % du commerce maritime mondial, en vue de doubler sa capacité de passage. Au centre-ville de Panama, la capitale, la croissance saute aux yeux: de multiples immeubles résidentiels en construction semblent déborder sur la baie. Entre 2005 et 2007, le coût du mètre carré a presque triplé. Même le quartier colonial se refait une beauté, quantité de façades sont en restauration.

Mais en traversant la ville à bord des «Diables rouges» — de vieux autobus scolaires reconvertis en transports publics aux couleurs flamboyantes —, le voyageur est saisi par les disparités. On passe rapidement d’une agglomération de tours modernes où siègent plus d’une centaine de banques et centres financiers à des quartiers où s’entassent les moins nantis dans des immeubles décrépits.

Le Panaméen «moyen» était déjà malmené, mais les chiffres de croissance exponentiels, la vigueur du secteur immobilier et la promesse d’emplois qu’entraîne l’élargissement du canal provoquent des augmentations de prix. Et comme tout le monde veut sa part du gâteau...

Ainsi, pendant que certains promoteurs immobiliers multiplient les clauses abusives dans les contrats, des producteurs de riz — un aliment de base de la diète panaméenne — retiennent leurs récoltes afin d’en hausser la valeur marchande. Des supermarchés ont donc récemment manqué de riz, mais aussi de lait et de pain. Selon Me Giovani Fletcher, président de l’Instituto Panameño de Derecho de Consumidores y Usuarios, une ONG regroupant une dizaine d’avocats spécialisés en droit des consommateurs, la conséquence la plus préoccupante de cette spéculation est la montée en flèche du prix des produits de première nécessité.

Les «ventes mariées»: un fléau

C’est en 1996 que l’entité gouvernementale de protection des consommateurs est née et, avec elle, le droit des consommateurs panaméens ainsi que les tribunaux spécialisés en matière de consommation. Mais la loi reste inefficace. En 2006, l’Autoridad de Protección del Consumidor y Defensa de la Competencia prend la relève. L’Autorité s’avère plus éloignée des pouvoirs politiques que sa prédécesseure, mais est-elle vraiment indépendante des pouvoirs économiques? Selon l’avocat à la Cour suprême du Panama, Me Ivan Pierre Julia Alonso, «au Panama, le pouvoir économique est concentré entre les mains de quelques familles, ce qui rend difficile le travail de l’Autorité».

Celle-ci jouit toutefois de pouvoirs coercitifs plus grands et peut infliger des amendes plus sévères, jusqu’à concurrence de 25 000 balboas (équivalent du dollar US), notamment pour sanctionner le nouveau fléau commercial qui sévit au pays, la pratique des «ventes mariées».

«Par exemple, si vous voulez acheter du lait, certains commerçants vous disent "je te vends un litre de lait, mais seulement si tu achètes telle ou telle chose". Cela leur permet donc de vendre plus de produits, explique Me Dayra Vial, conseillère juridique de l’Autorité. Mais les ventes mariées ne se justifient pas commercialement; c’est donc une pratique qui ne peut plus se faire maintenant.» Le personnel de l’Autorité visite les supermarchés afin d’y comparer le prix des aliments, de s’assurer que des dates d’expiration y sont indiquées, que les lieux sont salubres et que le poids annoncé des produits est véridique.

Me Vial souligne que pour inciter les consommateurs à porter plainte, la loi stipule que toute personne ayant dénoncé une infraction commise par un commerçant reconnu coupable a droit à 25 % de l’amende imposée à celui-ci. Cette politique semble avoir porté fruit: en 2007, l’Autorité a résolu près de 3000 plaintes totalisant plus de 21 millions de balboas en faveur des consommateurs. La plupart de ces plaintes concernaient des ruptures de garanties, de contrats et de services, des encaissements illégaux, des informations manquantes, etc.

Des percées, des défis

Sur l’avenue Central, des centaines de stands improvisés jouent du coude pour vendre des billets de loterie, des gadgets, des vêtements, des fruits, mais surtout des téléphones cellulaires en quantité. L’usage du portable est en effet fort populaire chez les Panaméens. Mais certains fournisseurs exagèrent. C’est le cas de Cable & Wireless Panama qui, de 2003 à 2005, a facturé le tarif d’une minute pour chaque tranche de 40 secondes utilisée. Pour la première fois dans l’histoire du Panama, les tribunaux ont autorisé un recours collectif, et pour Me Fletcher, qui représente les plaignants, il s’agit là d’une grande victoire.

Mais selon l’avocat, les principaux défis demeurent la nécessité de faire connaître aux consommateurs leurs droits et de bâtir un système de protection qui implique tous les organismes publics tels que le ministère de la Santé et l’Autorité nationale des services publics.

Au quotidien

Si le Panama affiche une croissance record, cette effervescence économique ne se reflète pas dans la vie quotidienne du plus grand nombre. Dans ce petit pays d’un peu plus de trois millions d’habitants, 20 % de la population détient 60 % des richesses, et 66 % des travailleurs gagnent un salaire inférieur ou égal à 400 balboas par mois.

C’est donc dire que deux mondes se côtoient: un monde urbain plus ou moins prospère en bordure du canal, et un monde rural vivant dans l’extrême pauvreté, remarque Me Julia Alonso. «Même à l’intérieur du monde urbain, dit-elle, seule une petite partie de la population (8 %) a des revenus suf­fisants pour mener une vie décente et ne pas être endettée jusqu’au cou. Ce ne sont pas les pauvres paysans (30 %) ou les Indiens (10 %) de l’intérieur du pays qui iront se plaindre à l’Autorité, car ils sont bien contents que des commerçants fréquentent leurs bourgades pour y vendre des produits, même s’ils les vendent souvent à des prix exorbitants. De grands progrès restent à faire.»