Le Québec est le champion canadien, et même mondial de l’union libre. Chez nous, 50 % des couples de moins de 50 ans sont conjoints de fait. C’est aussi la seule province au pays où aucun encadrement juridique n’est prévu à cet égard. Espérons que la réforme du droit de la famille, prévue pour l’automne, viendra combler ce vide. En attendant, les constats ne sont guère encourageants et confirment que les mères en union libre sont encore et toujours les grandes perdantes en cas de séparation.
Bien sûr, prévoir un contrat de vie commune règle une partie des difficultés, mais c’est loin d’être la panacée. Car il s’avère que la façon de gérer l’argent au sein du couple contribue à fragiliser les femmes, en particulier du côté de l’épargne. Mesdames, sommes-nous en train de nous tirer dans le pied?
À court et à long terme
Dans le cadre de ses travaux, la sociologue et professeure à l’Institut national de la recherche scientifique, Hélène Belleau, s’est beaucoup intéressée à la question. Elle a pu constater que seuls 37 % des couples gèrent leur épargne ensemble, une proportion qui chute à 26 % chez les conjoints de fait.
Le discours traditionnel tend à laisser croire que les femmes ne sont pas à l’aise lorsque vient le temps de gérer l’épargne, ou encore qu’elles manquent de littératie financière. C’est pourquoi elles préféreraient laisser leur compagnon s’en charger. Or, la chercheuse avance une explication bien différente.
Elle remarque d’abord qu’au sein du couple, il existe un partage des tâches dans la gestion de l’argent. Les femmes s’occupent du quotidien (paiement des factures, tenue du budget, etc.), alors que leurs conjoints prennent en charge les économies, les placements et la planification de la retraite. Et puisque l’argent destiné à l’épargne provient du surplus du revenu familial – généralement issu du salaire de l’homme –, les femmes ne se sentent pas en droit de choisir ce qui sera fait de ce montant. Rappelons qu’au Québec, les pères ont un revenu médian deux fois plus élevé que celui des mères.
Résultat: parce qu’elles considèrent que cet argent ne leur appartient pas, les femmes ne participent pas aux décisions le concernant. En cas de séparation et en dehors des liens du mariage, elles peuvent donc dire adieu à leur plan de retraite parce que les REER seront au nom de leurs conjoints.
Inégalités régionales
Vous n’êtes pas convaincu? Un coup d’œil sur cette carte illustrant les écarts salariaux et les unions libres vous éclairera. Les données concernant les régions où les écarts rendent la séparation plus risquée pour les mères en union libre sont particulièrement troublantes. À ce chapitre, l’Abitibi-Témiscamingue et la Côte-Nord sont en tête de peloton, suivies du Saguenay–Lac-Saint-Jean.
Selon Hélène Belleau, cela peut s’expliquer par le fait que, dans ces régions, une bonne partie des emplois se trouvent dans l’exploitation des ressources naturelles (foresterie, mine, hydroélectricité, etc.) et sont essentiellement occupés par des hommes. Leurs salaires sont plus élevés que ceux de leurs conjointes, souvent reléguées au secteur des services (restauration, commerce de détail, etc.). Et pourtant, dans ces régions, plus de 50 % des couples optent pour l’union libre.
Certes, un contrat de vie commune contribue à protéger les intérêts des conjoints de fait, mais il n’a été adopté que par 5 % d’entre eux. De l’avis d’Hélène Belleau, c’est aussi un outil relativement complexe et il peut constituer une source de conflits parce qu’il va à l’encontre de la «logique amoureuse». Enfin, de nombreux couples pensent à tort qu’ils sont automatiquement mariés aux yeux de la loi au bout d’un certain temps de vie commune et qu’ils n’ont pas besoin d’en prévoir un.
Un REER cotisé au nom du conjoint peut toutefois rééquilibrer les choses. Pour sa part, Hélène Belleau estime que la solution de loin la plus simple est de se marier au début de la relation, avant même d’avoir des enfants. Mais un mariage fait émerger d’autres enjeux… Décidément, rien n’est simple lorsqu’il est question d’argent dans le couple.
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