Vous le savez (n’est-ce pas que vous le savez ?) : les véhicules électriques (VE) n’aiment pas le froid. Jusqu’à quel point perdent-ils de leur autonomie, comparativement aux cotes officielles publiées par les agences gouvernementales — dont Ressources naturelles Canada (RNCan) ? Impossible de le savoir : les constructeurs ne sont tenus de donner qu’une cote générale.
Le hic, c’est que lorsque le mercure chute, les VE ne voient pas tous leurs kilomètres dégringoler de la même manière. Malheureusement, ce n’est qu’en expérimentant un premier hiver que les propriétaires découvrent ce que leur nouveau VE peut faire… ou pas.
C’est avec cette aberration en tête que l’Association canadienne des automobilistes (CAA) a organisé sa première Virée électrique. Bon, vous me direz que le Québec a déjà été le théâtre de plusieurs essais de VE en hiver, mais celui qui a rallié Ottawa à Tremblant en plein mois de février était unique : l’objectif était de « mourir ».
Plus précisément, les participants conviés à l’expérience (dont votre chroniqueuse) devaient conduire des VE jusqu’à ce que leur batterie s’épuise et que leur moteur s’éteigne.

- La toute première Virée électrique de CAA avait un objectif unique : conduire des VE jusqu’à ce que leur batterie s’épuise et que leur moteur s’éteigne. Crédit : Photo courtoisie CAA Québec – Sébastien Durocher Photo
Reconnaissez-le : rien de mieux pour comparer l’autonomie annoncée avec celle qui a cours dans la froidure hivernale (jusqu’à -15 °C), selon des paramètres uniformisés (pas de régulateur de vitesse, pas de siège chauffant) et sur un parcours prédéterminé.
Batterie épuisée ? Tout n’est pas perdu !
Je n’ai donc pu résister à l’appel, d’autant qu’il mettait en scène les modèles parmi les plus vendus au pays. La cohorte allait des Kia Niro EV et Hyundai Ioniq 5 jusqu’aux camionnettes Ford F-150 Lightning et Chevrolet Silverado EV, en passant par les incontournables VUS et quelques berlines.
Pour les férus de chiffres, vous avez ici tous les résultats de la Virée électrique 2025 CAA. Pour ceux qui n’ont besoin que d’un résumé, le voici :
- En moyenne, les VE participants ont perdu 27 % de leur autonomie par rapport aux cotes officielles. Selon les modèles, la perte a varié de 14 % à 39 %.
- Les plus grandes pertes ont été enregistrées par le Volvo XC40 (39 %) et le Toyota bZ4X (37 %) ; les deux VE n’ont roulé que sur environ 250 kilomètres malgré leurs promesses respectives de 409 km et 406 km.
- Les Chevrolet Silverado EV et Polestar 2 sont les VE qui s’en sont le mieux tirés, avec une perte « minimale » de 14 % par rapport aux cotes promises. Avec un impressionnant 456 km, le Silverado peut donc se targuer de la plus longue course de l’exercice.
- Surprise : lorsque leur tableau de bord a indiqué 0 % d’autonomie, la plupart des VE ont continué de rouler — entre 4 et 19 km supplémentaires. Quatre modèles ont même poursuivi leur chemin sur un peu plus de 25 km : Chevrolet Silverado, Honda Prologue, Ford Mustang Mach-E et Tesla Model 3.
- À l’inverse, trois modèles sont tombés en panne dès l’indication de leur autonomie épuisée. Avec les Ford F-150 Lightning, Hyundai Ioniq 5 et Kia EV9, pas de risque à prendre : dès que les alertes commencent à résonner dans la cabine, il faut se trouver une borne de recharge à proximité !

- Surprise : à 0 % d’autonomie, la plupart des VE ont continué de rouler – certains, comme le Ford Mustang Mach-E (en avant-plan sur la photo), sur plus de 25 km. Crédit : Photo courtoisie CAA Québec – Sébastien Durocher Photo
Des indicateurs plus précis que d’autres
Un autre résultat intéressant se dégage de l’exercice : le kilométrage réellement parcouru par rapport à l’autonomie qu’indiquaient les ordinateurs de bord de nos VE, le matin du grand départ. Autrement dit : peut-on se fier à l’algorithme estimant la distance, en fonction des conditions, qu’un VE pourra parcourir ce jour-là ?
Là encore, la Virée électrique a montré d’importantes variations :
- Le VE le plus précis a été le Kia Niro EV. Après une nuit de (pleine) recharge, son indicateur promettait 288 km à parcourir, et c’est après 285 km que sa batterie s’est épuisée. Soit un tout petit décalage de 1 %. Le Kia EV9 a presque aussi bien fait, avec un décalage d’à peine 10 kilomètres (3 %), suivi de la Polestar 2 (4 %).
- À l’opposé, le cancre de l’estimation a été le Chevrolet Equinox EV. Le beau 513 km d’autonomie affiché après une nuit de recharge a mené, dans la froidure québécoise, à seulement 339 km. C’est un écart considérable de 33 %. Ditto pour la Tesla Model 3 et le Honda Prologue, qui ont respectivement parcouru 27 % et 24 % moins de kilomètres que ce qu’ils promettaient le matin du départ.
Un « guess-o-mètre » toléré… qui ne le devrait pas
Tout comme vous, j’imagine la déception des acheteurs de Toyota bZ4X ou de Volvo XC40 qui voient, par temps froid, les kilomètres dégringoler jusqu’à 50% plus vite que pour la moyenne des autres VE. Et j’imagine également l’inquiétude de ceux qui ont l’impression de jouer à la roulette russe avec l’indicateur d’autonomie restante hautement imprécis de leur Tesla Model 3 ou de leur Chevrolet Equinox EV.
Jusqu’à présent, cet exercice de « guess-o-mètre » est toléré, voire accepté dans l’univers des électromobilistes, selon Jesse Caron, expert automobile chez CAA-Québec. Mais ça ne devrait pas être le cas. Les VE sont commercialisés chez nous depuis déjà une décennie et demie, il serait temps que les consommateurs aient droit au même souci de transparence que pour les véhicules à carburant.

- En moyenne, les VE participants à la Virée électrique hivernale ont perdu 27 % de leur autonomie par rapport aux cotes officielles publiées par Ressources naturelles Canada. Crédit : Photo courtoisie CAA Québec – Sébastien Durocher Photo
Des cotes hivernales — pour davantage d’imputabilité
Cette situation n’est pas sans rappeler les actions collectives menées lors de la dernière décennie contre des constructeurs accusés de surestimer la consommation d’essence de certains véhicules. Au Québec, le « recours » contre les Ford C-Max, réglé en 2013, avait indemnisé les acheteurs jusqu’à la hauteur de 895 $. Celui contre les Mazda 3 2012 à 2014 est en attente d’un jugement de la Cour supérieure.
Ces écarts entre les cotes annoncées et la « vraie vie » ont motivé les législateurs nord-américains à imposer une procédure d’essais améliorée. Depuis 2015, les tests tiennent désormais compte de l’utilisation du climatiseur ou de la conduite par temps froid.
Pour ce dernier test, la cellule du laboratoire est refroidie à -7 °C. Il n’y a donc qu’un pas avant d’imposer pareil protocole aux VE. Au lieu d’annoncer des autonomies irréalistes, les constructeurs devront alors répondre de ce qu’ils promettent.
C’est au Canada d’agir
Déjà, des associations européennes requièrent que soit imposée la divulgation d’autonomie des VE par temps froid. Pour l’Amérique du Nord, il reviendra au Canada d’entreprendre une telle démarche. Et avec sa Virée électrique, CAA vient de placer un premier jalon : l’Association canadienne des automobilistes réclame un étiquetage « normalisé conçu au Canada qui inclurait aussi l’autonomie des VE en hiver, au lieu d’une seule moyenne générale », a déclaré son porte-parole, Ian Jack.
Il s’agit d’une occasion en or pour le Canada, qui souhaite interdire la vente de véhicules à essence à partir de 2035, de prendre les devants dans l’électrification des transports.
De fait, on ne pourra pas compter sur les États-Unis. D’une part, les États américains les plus populeux — la Californie, le Texas et la Floride — n’en ont que faire de l’autonomie réduite en hiver. Et face à la nouvelle administration américaine qui s’affaire à « déploguer » autant ses subventions que ses bornes électriques, qui ira brandir des pancartes devant la Maison-Blanche pour exiger des cotes VE plus réalistes ?
Photo principale : Courtoisie CAA Québec – Sébastien Durocher Photo