Il y a quelques années, l'idée d'un endroit qui vend des macaronis lousses dont on ne connaît pas la marque aurait été extrêmement suspecte. Aujourd'hui, j'y traîne mes pots Mason régulièrement pour faire le plein de lentilles, de farine et de savon à lessive, dont je verse une quantité « au feeling » dans chaque brassée.
Le vrac, c'est une bonne façon de diminuer la quantité de déchets qu'on génère. Et si je voulais aller plus loin encore et tenter le mode de vie zéro déchet, ce même commerce vend plusieurs choses qui pourraient m'y aider. Sacs à lunch recyclables, cure-oreilles en bambou, ensembles pour se raser comme dans les années 1940 : vraiment, c'est fou tout ce qu’on peut acheter pour réduire sa consommation!
On a tous été bouleversés par les images de ces pauvres tortues avec une paille coincée dans le nez. La solution pourrait être de boire sans paille, mais à quoi bon sauver la planète si c'est pour vivre aussi platement? Pour échapper à un monde d'ennui et de gorgées à même le verre, on se procure donc une paille réutilisable en métal, produit vedette du zéro déchet. Mais n'oublions pas aussi la minibrosse pour la nettoyer! Et, pourquoi pas, un petit étui pour ranger les deux ensemble? Ils ont pensé à tout!
D'autres produits donnent encore plus l'impression d'agir… tant qu'on n'y pense pas trop longtemps. Un exemple : la soie dentaire dans un petit contenant rechargeable en verre. On dit souvent qu'il n'y a pas de petits gestes, mais c'est faux : il y en a. En achetant le plus gros format de soie dentaire offert à la pharmacie, un couple à la routine buccale exemplaire place un maximum de trois petits contenants en plastique par année au recyclage. Certes, n’en mettre aucun, c'est mieux que d'en mettre deux, ou trois, ou six, mais soyons réalistes : ce n'est pas avec ça qu'on va contrebalancer la Fonderie Horne ou les vols en jet privé de Taylor Swift.
Ce qu'on nous vend là, ce sont souvent moins des solutions qu'une série d'illusions.
D'abord celle qu’on en est encore à l'étape des petits gestes individuels, comme autant de Band-Aid sur la plaie ouverte d'un accident de tronçonneuse. Il est pourtant clair qu'on aurait plutôt besoin de grandes déconstructions qui vont faire mal.
Mais l'illusion, aussi, que la consommation pourra nous aider à sortir du trou qu’on a creusé à grands coups de consommation. « Il est plus facile d'imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme », a-t-on déjà dit, et je ne serais pas surpris de voir un jour cette phrase brodée sur un coussin en vente à prix réduit au Winners. Ainsi va le capitalisme : le jour où ce sera payant de le faire, Elon Musk va investir dans une jeune pousse de guillotines.
D'ici là, rappelons ce principe de base : la meilleure façon de ne pas créer de déchets, c'est de ne pas acheter ce dont on n'a pas vraiment besoin.