Bien sûr! C'est le tableau dans lequel une grande rousse nue flotte dans un coquillage.
À sa droite, un monsieur pogné dans un drap contour lui souffle dessus, pendant qu'à sa gauche, une femme s'apprête à la couvrir d'un manteau, l'air de dire : «Voir si ç’a du bon sens de se promener nue comme ça!» Derrière cette prude dame : des arbres. Des orangers, plus précisément, l'orange étant le fruit fétiche de la famille de Médicis, qui a commandé le tableau et financé la carrière du grand peintre.
Parce que c'est ce qu'ont longtemps fait les riches et les puissants. Quand ils s'ennuyaient, un mardi, au fond de leur manoir, ils lançaient : «Hey! On se commande-tu un opéra?» Boum! Un Wagner, un Vivaldi ou un Haendel voyait son loyer payé pour le mois.
Aujourd'hui, si un riche investit dans une œuvre d'art, c'est généralement pour la stocker dans la section « hors taxes » d'un port de Genève, histoire de payer moins d'impôts ou de faire un coup d'argent dans quelques années. On dirait que j'invente ça pour la blague, mais c'est vrai : plus d'un million d’œuvres d'art, y compris un millier de Picasso, sont entreposées dans le plus gris des bâtiments en Suisse. Tu veux voir Garçon à la pipe, de Picasso? Fallait l'acheter dans un encan, le pauvre!
Vous allez me dire que ces riches donnent généralement à des organismes comme le Metropolitan Opera ou le Musée de la pomme de terre du Nouveau-Brunswick et c'est vrai. Mais moi, je vous parle d'un mécénat dans lequel on met de la conviction et de l'énergie. La même énergie, disons, que ces personnes mettent à s'acheter des yachts à 500 millions de dollars.
Et je vous parle d'art, mais je pourrais aussi parler plus largement de créer des espaces, physiques et virtuels, qui servent à tous, comme des parcs et des salles de concert. S'il le voulait, Mark Zuckerberg pourrait financer la construction d'une salle comme la Maison symphonique dans chaque État américain en dépensant moins de 5 % de sa fortune totale.
C'est important de juger les puissants pour ce qu'ils font. Ce l'est peut-être encore plus de les juger pour ce qu'ils ont les moyens de faire… mais ne font pas.
S'ils ne gardaient pas leur fortune pour eux, les milliardaires seraient en mesure de lancer l'humanité dans une «nouvelle Renaissance», et pas seulement artistique. On pourrait dire adieu à la tuberculose. Sortir des énergies fossiles. Peut-être même se promener en jet pack! À la place, on a Elon Musk. Pouet pouet.
Je ne veux pas romantiser les riches d'antan. Peu importe l'époque, amasser l'argent et le pouvoir comme un accumulateur compulsif qui aurait besoin d'une intervention n'était pas plus moral au temps des de Médicis qu'aujourd'hui. Mais si on parle encore de cette famille 700 ans plus tard, ce n'est pas pour ce qu'elle a gardé pour elle; c'est pour ce qu’elle a légué à l'humanité.
Or, le seul legs qui semble intéresser les riches de 2025, c'est la possibilité de dire un jour aux autres milliardaires : «Vous savez, c'est ma compagnie qui l'a conçue, cette fusée dans laquelle nous fuyons actuellement la Terre dévastée.