Quand je dis que je vais marcher 20 minutes pour aller quelque part, je me fais toujours regarder comme si j'avais annoncé mon départ à la nage pour l'Europe. « Si je pars maintenant, j'arrive à temps pour le pastis! »
On me proposera alors immédiatement et à de multiples reprises un lift, pour être vraiment certain que j'ai vraiment l'intention de vraiment marcher. Oui, oui. Je VEUX marcher. Même que 20 minutes, c'est rien. Je me fais parfois aller le mollet pendant 60 ou 90 minutes. Ça vous semble excessif? Pourtant, je connais des milliers de personnes qui restent pognées deux heures dans le trafic chaque jour, et personne ne les trouve bizarres.
On parle souvent de l'impact du téléphone intelligent ou des réseaux sociaux sur notre cerveau. Je serais pour ma part curieux d'une étude sur l'impact de la voiture sur le cerveau humain. On dirait que la machine change radicalement notre manière de voir le monde, voire crée une dépendance.
Je me souviens du moment, en 2005, où l'essence s'est mise à coûter plus que 99 sous le litre. Dans les nouvelles, on parlait de la « barre psychologique du dollar ». Cette barre a été franchie et même oblitérée depuis. Alors? Comment se porte votre psychologie?
Ce « choc pétrolier » n'aura pas suffi à ce qu'on installe des trottoirs en banlieue, ou qu'on rende le transport en commun gratuit. Même que, le plus souvent, ce qui pourrait aider à s'émanciper du moteur est vu comme une « guerre à l'auto ». Le genre d'expression qui demande des cabrioles assez intenses aux neurones, parce que s'il y a vraiment une guerre à l'auto, le gagnant semble assez clair.
En 2001, il y avait 3,5 millions de véhicules automobiles au Québec, soit 476 bolides par 1 000 habitants. En 2021, on était rendus à presque 5 millions, pour un ratio de 580 bazous par 1 000 têtes de pipe. Cette tendance nous a permis de battre en 2023 le record du plus grand nombre de véhicules à essence sur les routes du Québec. Hourra?
On a beau présenter Montréal comme étant tombée aux mains des commandos cyclistes à la solde du puissant lobby de l'Internationale socialiste du guidon, la réalité est que 73,8 % de l'espace de voirie est consacrée à la voiture, contre… 1,3 % au vélo.
Dans la guerre à l'auto, la voiture est un tank (parfois littéralement, avec les véhicules toujours plus gros qu'on nous vend), et les autres moyens de transport sont des lance-pierres.
Ce n'est pas la première fois que je parle du sujet en public, alors je sais à quoi ressemblent les courriels courroucés qui s'écrivent en ce moment. J'ai même mis mon casque (de vélo) pour me protéger des roches qu'on va me lancer.
Oui, je sais : vous avez absolument besoin d'une voiture parce que vous avez huit enfants, qu'il n'y a pas d'autobus à Matagami et qu'en plus, vous prenez soin de votre vieille mère qui vient de se faire opérer à la hanche. Soit. La voiture est un besoin pour vous.
Mais vous savez ce qui serait bien? Qu'il y ait moins de monde sur les routes pour que VOUS, qui n'avez pas le choix, ne soyez plus pris dans le trafic. Pour que VOUS puissiez rouler sur des routes en meilleur état. Le mirage du « tout à l'auto » vous fait militer contre vos propres intérêts.
Quant aux autres qui ont l'impression qu'on s'en prend à eux personnellement quand on évoque le besoin de moins dépendre de l'automobile, puis-je leur proposer d'aller faire une marche? Rien de long. Une vingtaine de minutes, ça suffit à aérer l'esprit.