Pendant des années, Tim Hortons était l'endroit où aller pour boire un café et manger un beigne à saveur de crémage un peu figé. Tim a bien eu quelques idées originales au fil du temps, comme le fameux bol en pain (ingénieuse façon d’éviter le lavage de vaisselle), mais le Timbits restait le noyau de son atome. C'est grâce à cette stabilité réconfortante que Tim Hortons est devenu une institution aussi profondément canadienne. Il suffit d'oublier qu'elle a été vendue à une firme d'investissement brésilienne en 2014 et Tim est canadien comme un castor dans le sirop d'érable qui joue au hockey.
Dans la dernière décennie, des paninis aux collaborations avec Justin Bieber, ça a pas mal dérapé. Si la tendance se maintient, on devrait bientôt pouvoir se commander un spaghetti bolognaise et une soupe tonkinoise chez Tim. Personne ne l'aura demandé, personne ne sera content du résultat, mais ainsi va la vie dans les entreprises cotées en bourse: il faut toujours ouvrir de nouveaux marchés, quitte à décevoir ceux qu'on a déjà. Avant d'ajouter de la pizza au menu comme ça a été le cas l’été dernier dans la région du Grand Toronto, ça ne vous dirait pas d'avoir plus que trois saveurs de Timbits à la fois dans le présentoir?
C'est comme Instagram. Au début, c'était un endroit où publier ses photos, sous un déluge de filtres servant à faire oublier que les appareils photo de 2011 n'étaient pas aussi bons que ceux de 2023. Puis, une décennie plus tard, on ouvre l'application et on cherche en vain les photos du nouveau bébé de sa cousine Sandra entre les publicités, les « vous aimerez peut-être cette vidéo médiocre d'un influenceur que vous ne connaissez pas » et d’autres invitations à voir tout, vraiment tout (vidéos courtes! Longues! Reels! Stories! Produits à acheter!), sauf les photos du bébé en question. Elles sont où, les photos du bébé, Instagram? QU'AS-TU FAIT DU BÉBÉ? C'est simple : le bébé a été jeté avec l'eau du bain, dans une série de changements visant à avoir toujours plus d'abonnés, qui restent toujours plus longtemps.
Un milliard d'utilisateurs, ce n'est pas assez. Deux milliards non plus. La mission originale du produit n'a aucune importance; seule la croissance infinie compte. S'il faut qu'Instagram devienne ultimement une appli de rencontres, un concessionnaire automobile ou un manufacturier de spatules pour continuer à croître, ainsi soit-il. Sa photo de bébé, Sandra n'a qu'à l'envoyer à tout le monde par la poste!
Combien de produits ont-ils été gâchés parce qu'un patron avait des ambitions de multinationale? Combien de commerces ont-ils vendu leur âme en échange d'une succursale ou deux de plus? Imaginez si Protégez-Vous essayait de vendre autant de copies que le magazine People et que, pour y arriver, on y présentait moins de tests de laveuses, et plus de potins sur Taylor Swift. Ça se vendrait… mais on y perdrait tous au change.
C'est pas compliqué : des fois, j'ai l'impression que les entreprises sont là d'abord pour l'argent, et pas pour me servir le meilleur beigne possible.