Mais les amateurs d'euphémismes diront que j'ai eu des revenus « modestes » souvent dans les 20 dernières années.
Quand on vit de sa plume, comme je l'ai fait longtemps, on évite généralement de penser à la retraite. On se fait croire que c'est parce qu'on aime tellement son métier qu'on veut le pratiquer jusqu'à son dernier souffle. La vérité, c'est que l'argent qu'on a suffit souvent tout juste pour le présent, alors les REER, les CELI et les investissements pour l'avenir autres que d'acheter trois boîtes de céréales quand elles sont en spécial… ce sera pour un autre jour.
J'ai eu des années de vaches maigres, et aussi des années de vaches grasses, mais elles se sont alternées dans un chaos tel que ces pauvres bovins métaphoriques ont bien dû développer un trouble alimentaire. À travers ces fluctuations, j'ai quand même réussi à mettre de l'argent de côté. Je peux déclarer fièrement qu'après 10 ans à économiser, j'ai maintenant les moyens d'acheter une maison… il y a 10 ans.
Depuis quelque temps, j'ai finalement un salaire qui devrait me permettre de passer à autre chose. Plus tard. Mais pas tout de suite. Bientôt, peut-être. Mais pas encore.
Plutôt qu'un grand sentiment de libération, mon revenu décent me rappelle le grand retard que j'ai pris dans ma vie financière. Pour pouvoir arrêter de travailler avant mes 90 ans, je dois mettre doublement de l’argent de côté. Ou même triplement. L'inflation et les zucchinis à 8 $ de l'épicerie s'occupent de prendre ce qu’il reste de surplus.
Acheter une maison est toujours autant un rêve hors de portée qu'avant. J'arrive cinq ans trop tard dans la classe moyenne. J'ai des amis qui ont des maisons. J'en ai même qui ont des chalets! Je vois leurs photos de jardin passer sur Instagram en soupirant, parce que moi, je suis devant un mur. Un mur qui a sans doute été racheté par une firme d'investissement s’apprêtant à en monter le loyer.
J'ai toujours vécu selon mes moyens, mais maintenant que les moyens en question ne sont plus aussi moyens qu'ils l'ont déjà été, je dois continuer à vivre selon les moyens moyens d'avant que j'aie les moyens. Me suivez-vous? Moyen? Reprenons, cette fois-ci, avec l'exemple de Jade, mon amie qu'un problème de santé a lentement enterrée sous une dette qui donne le vertige.
Quand bien même elle se trouverait un de ces emplois super payants qui consistent à crier en faisant des signes de doigts à la bourse, elle ne quitterait pas instantanément son deux et demi mal éclairé. Tout irait d'abord à la dette, et ce, pour quelque temps. Quant à la retraite, son meilleur espoir restera toujours que la Terre devienne inhabitable avant qu'elle ait l'âge de la prendre. Souris, Jade : on semble sur la bonne voie.
Ce qu'on apprend, en arrêtant d'être pauvre, c'est qu'en fait, la pauvreté dure longtemps. Travailler plus fort, comme vont me le conseiller des gens sur Facebook quand ce texte y sera partagé, ça ne suffira pas. Je travaille déjà plus fort! Le problème, c'est que je travaille fort en 2023, et c'est impossiblement frustrant.