Depuis la pandémie, il n’est pas rare d’apercevoir des affiches indiquant qu’un commerce refuse carrément l’argent comptant ou qu’il privilégie les paiements par carte. Et je ne suis pas la seule à l’avoir remarqué : une enquête de la Banque du Canada sur les modes de paiement utilisés au temps de la COVID-19 révèle que c’est aussi le cas de 36 % des Canadiens. Au moment de payer, 12 % des répondants se sont fait refuser les espèces.
Une mort (déjà) annoncée
La crise de la COVID-19 va-t-elle accélérer la disparition de l’argent comptant? Peut-être, si l’on en croit toujours le sondage de la Banque du Canada réalisé durant la pandémie. Ses résultats confirment que les habitudes des consommateurs face à l’usage de ce mode de paiement ont changé à cause de la COVID-19. En effet, 35 % des répondants disent avoir diminué leur utilisation de l’argent comptant durant la période.
La Banque du Canada parlait déjà d’un « délaissement graduel » de l’utilisation de l’argent comptant en 2015, exacerbé par l’avènement du paiement par carte de crédit sans contact (paypass et autres du genre).
La Banque du Canada promet de mener une enquête sur les modes de paiement jusqu’au premier semestre de 2021 pour mesurer les effets de la pandémie sur ceux-ci. On pourra alors brosser un meilleur portrait des nouvelles habitudes de paiement.
Qui écope?
Cette nouvelle réalité a des conséquences bien réelles pour plusieurs, particulièrement les personnes plus vulnérables. Une étude d’Option consommateurs publiée en janvier dernier établit un lien clair entre la situation économique d’une personne et son utilisation de l’argent comptant. « […] Plus une personne est défavorisée économiquement, plus elle est susceptible d’utiliser couramment l’argent comptant », écrit l’organisme, qui se base entre autres sur des données de la Banque du Canada.
Ainsi, les personnes en situation d’itinérance – qui assurent leur subsistance avec l’argent comptant –, celles qui reçoivent des prestations d’assistance sociale et les travailleurs à faibles revenus ont davantage recours aux espèces, notamment parce qu’elles ont un accès limité aux services financiers. Le Réseau FADOQ souligne également que les personnes âgées entre 55 et 75 ans utilisent l’argent comptant plus que les jeunes parce que leur adoption et adaptation aux modes de paiement numériques sont plus longues.
La facture aux consommateurs
N’allez pas croire qu’elles seront les seules à subir les conséquences de cette mort annoncée. Les entreprises paient entre 1 à 5 % de frais sur chacune des transactions faites par carte ou en ligne aux Visa, MasterCard et autres entreprises de paiement. Qui alors devra compenser cette hausse des frais d’exploitation des commerçants? Vous l’aurez deviné : les consommateurs.
Mais pas seulement. Si les grandes entreprises peuvent se permettre de refiler la facture à leur clientèle, les petites entreprises ne disposent pas toutes de ce luxe. Quelques-unes le feront, certes, mais d’autres pigeront dans leur marge de profit, selon Gopinath Jeyabalaratnam, analyste principal des politiques à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante.
En temps normal, les marges de profit des petites entreprises sont d’environ 3 %, note-t-il. Si on en soustrait les « coûts COVID-19 » et les frais plus importants de paiements par carte, en plus d’une baisse d’achalandage, que reste-t-il de cette maigre marge? Pour certaines, il n’est pas impossible qu’elle se trouve sous la barre de zéro.
Pour l’heure, la plupart des Canadiens (74 %) ne semblent pas vouloir se débarrasser de l’argent comptant de sitôt, dixit la Banque du Canada. Quoi qu’il en soit, c’est tout de même une baisse par rapport à l’enquête sur les modes de paiement de 2019, alors que cette même proportion était de 82 %.
Et ça, c’est une bonne nouvelle, car s'il disparaissait, il faudrait prendre ses propres décisions plutôt que de s’en remettre à « pile ou face » et la Fée des dents devrait opter pour les virements Interac en échange du butin sous l’oreiller des enfants.