Moi-même observatrice du domaine financier depuis un certain moment par le biais de mon métier, j’ai poussé un «oh!» bien senti lorsque la notification est apparue sur mon cellulaire. Et je ne suis pas la seule: Unsal Ozdilek, professeur et directeur de programme en Immobilier de l'UQAM, relate avoir été aussi surpris quand il a appris que le Mouvement Desjardins avait acquis les actions de DuProprio et de Purplebricks Canada pour la somme de 60,5 millions de dollars.
Or, ce n’est pas une transaction tout à fait champ gauche de la part de Desjardins. Au début de l’année, la coopérative s’est aventurée à l’extérieur du spectre financier de la propriété en devenant actionnaire majoritaire du site de soumission en rénovation RénoAssistance.
Ces deux acquisitions ne sont pas le fruit du hasard, mais plutôt l’exécution d’une stratégie de diversification, m’a confié Martin Brunelle, vice-président, croissance, acquisition et développement chez Desjardins. «Nous avons sondé nos membres pour savoir ce qui les préoccupe dans leur vie de tous les jours, et le milieu de vie a été l’une des réponses les plus fréquentes. Ils nous ont dit que c’est compliqué d’avoir une propriété; il y a beaucoup d’intervenants. Nous voulons rendre tout ce processus plus simple pour eux.»
Et les consommateurs dans tout ça?
Tout cela soulève évidemment des questions, notamment en ce qui concerne les conséquences sur les consommateurs. Quel sera le rôle de Desjardins lorsqu’un acheteur et un vendeur concluent une transaction immobilière? Devront-ils absolument faire affaire avec Desjardins pour leur financement et leur assurance?
Martin Brunelle m’assure que non. «Ce sera toujours au choix du consommateur», dit-il. Il affirme que la coopérative n’a pas non plus l’intention d’offrir des incitatifs aux clients de DuProprio pour choisir leurs produits financiers, qu’elle mise plutôt sur la facilité pour les attirer.
Et même si les activités de DuProprio et de Desjardins demeurent indépendantes les unes des autres, il n’est pas farfelu de penser que les deux entreprises voudront s’entraider. Un employé de DuProprio pourrait suggérer fortement à un client de faire affaire avec Desjardins pour son financement, par exemple. En téléconférence, Guy Cormier, président et chef de la direction de Desjardins, a affirmé que tout se ferait dans les règles de l’art, conformément à la réglementation en matière de référencement de client. Malgré tout, le professeur en immobilier croit que cela laisse place à la possibilité de conflits d’intérêts.
Une poussée dans le dos de DuProprio
Pour vous donner un portrait de chacune des parties en cause, quelques chiffres: DuProprio prétend représenter 20 % des transactions immobilières, alors que Desjardins détient 38 % du portefeuille hypothécaire au Québec.
Maintenant, avec un géant dans le dos, DuProprio pourrait bien accroître ses parts de marché, estime Unsal Ozdilek. «Quand le marché immobilier est en santé, tous les joueurs y trouvent leur compte. C’est lorsqu’il va moins bien, que la concurrence est forte et que les prix des propriétés baissent que les consommateurs deviennent moins enclins à payer une commission sur leur propriété. Les courtiers ne voient pas cette acquisition d’un bon œil.»
Malgré cela, Guy Cormier soutient que Desjardins ne veut pas rivaliser avec les courtiers immobiliers, «qu’il y a de la place pour tout le monde». C’est que l’institution financière détient de nombreuses ententes avec des firmes immobilières qu’elle entend honorer.
Pour l’instant, il est encore difficile d’évaluer à quel point la transaction va bouleverser le marché immobilier. Et les experts ne voient pas que cela changera beaucoup les choses pour les consommateurs. Cependant, une chose est certaine: le grand gagnant de cette transaction, c’est Desjardins.