Je me fais rarement livrer des repas. Mais, lorsque je le fais, c’est toujours de la pizza. C’est ainsi qu’après avoir travaillé toute la journée sur un article pour notre guide Autos 2023, j’ai décidé d’en commander une.
Le livreur se présente à la porte. Il sort la machine de paiement, inscrit le montant de la transaction et, tenez-vous bien, indique lui-même le pourcentage de pourboire : « 15 % de pourboire, ça va être correct ? », demande-t-il en me tendant le terminal.
Euh... pardon ? Un livreur qui choisit le pourcentage… et qui l’inscrit lui-même ? Quelle sera la prochaine étape : prendre ma sacoche et sortir l’argent à ma place ? Évidemment, je lui ai dit d’effacer le pourboire et de me laisser l’indiquer moi-même.
En temps normal, j’aurais contacté l’entreprise pour exprimer mon désaccord. Mais le resto est à quelques minutes de chez moi, le livreur connaît mon nom, mon adresse, mon numéro de téléphone… Sans être parano, ce soir-là, j’ai acheté la paix et j’ai décidé de ne rien faire (on choisit ses combats).
Moment inconfortable
Puis, je me suis souvenu du processus de paiement lors de mon expérience précédente, avec le même resto. Cette fois-là, j’avais rempli un formulaire en ligne, sur son site web, afin qu’il me prépare une commande « pour emporter ». Avant de conclure la transaction, un message m’avait demandé : « Voulez-vous laisser un pourboire à notre équipe ? ». Laisser un pourboire... d’avance ? Sur une commande que je viens chercher moi-même ? Non, merci.
À mi-chemin entre la rémunération et le geste de remerciement, le pourboire soulève de multiples enjeux, notamment dans les domaines où les employés sont peu rémunérés. Le client qui décide – à tort ou à raison – de ne pas donner autant que ce qu’on lui demande se retrouve, par ricochet, à diminuer un salaire déjà peu élevé.
L’an dernier, j’ai publié un billet à propos des terminaux de paiement qui affichent un pourcentage prédéterminé plutôt que d’inviter le client à l’inscrire lui-même. J’expliquais qu’en agissant de la sorte, les commerçants profitent du sentiment de culpabilité ressenti par les clients qui n’osent pas appuyer sur les boutons permettant de choisir un pourcentage différent. Ne serait-ce que pour éviter de prolonger de quelques secondes le moment où l’employé pose son regard sur la machine pour voir combien il reçoit, il est plus facile de simplement abdiquer.
Voici ce que vous me donnerez
Mais, avec mon livreur de pizza, cette fois, nous sommes à un autre niveau. Nous passons de la catégorie « pourcentage prédéterminé qu’on peut modifier » à « employé qui choisit lui-même ce pourcentage et l’inscrit sur le terminal ». Qui plus est, en écrivant 15 % sur l’appareil, le livreur s’offre plutôt 17 %, car la plupart des terminaux calculent le montant en incluant les taxes alors que la norme sociale veut qu’elles soient exclues du calcul.
Certes, ma petite aventure est anecdotique. N’empêche ! Elle s’inscrit dans un contexte où la pandémie et la montée en flèche du paiement sans contact ont définitivement modifié la culture du pourboire : service au volant qui suggère d’en ajouter, garagiste qui en demande lui aussi, pourboire sollicité avant qu’on soit servi, pourboire demandé à un comptoir « pour emporter », boulangerie qui suggère son ajout à l’achat d’une baguette, pourcentages prédéterminés (15, 18, 20, 25 %) qui donnent l’impression qu’on serait « cheap » de laisser le traditionnel 15 %…
Les gens qui veulent choisir eux-mêmes le montant qu’ils vont laisser peuvent encore le faire, mais la pression qui s’exerce sur eux est plus présente qu’autrefois.
Pour ma part, j’ai bien profité de ma pizza. Tout en sachant que, la prochaine fois, je la commanderai ailleurs.
>> À lire aussi : Laissez-vous plus (ou moins) de pourboire que la moyenne des gens? et Le pourboire au Québec: à qui devrait-on en laisser... ou pas?