Je paye tout avec ma carte de crédit. Tout ! Qu’il s’agisse d’une épicerie à 150 $ ou d’une pinte de lait à 3,50 $, j’aime régler l’addition avec ma carte. Et je ne suis pas la seule. La pandémie a popularisé les paiements sans contact « paypass », notamment pour les petits achats qui étaient auparavant payés en argent comptant.
Conséquence ? Dans les commerces sans service aux tables où l’on commande debout (une boulangerie, par exemple), le consommateur, qui était autrefois libre de laisser un pourboire dans le petit pot à monnaie, se sent désormais « obligé » de laisser un remerciement monétaire.
La raison est simple : à plusieurs endroits, le terminal de paiement offrant l’option « paypass » ne permet pas de simplement taper l’appareil avec une carte ou un téléphone. Pour conclure la transaction, il faut d’abord sélectionner sur l’écran un pourcentage prédéterminé de pourboire à laisser. Un pourboire ? Dans une boulangerie où on attend en ligne pour commander une baguette debout, au comptoir, sans service aux tables ? Eh bien, oui.
Forcer la main du client
Certes, le consommateur peut sélectionner l’option « Aucun pourboire ». Mais lorsqu’un terminal affiche des pourcentages prédéterminés écrits en gros chiffres, je sens qu’on me force la main. Tout à coup, le pourboire « à ma discrétion » devient un remerciement « fortement suggéré ». D’autant plus que l’écran affiche parfois des pourcentages accompagnés de qualificatifs, par exemple 15 % (bon), 18 % (très bon), 20 % (super), 30 % (génial).
Vous réussissez à vous sentir bien dans une telle situation ? Attendez d’avoir affaire à une machine qui n’affiche aucun pourcentage, mais qui vous oblige à inscrire vous-même un montant. Si vous ne désirez pas laisser de pourboire, vous devrez obligatoirement écrire « 0 % » ou «0 $ » sur l’appareil. Personnellement, j’éprouve un gros malaise à devoir poser une action quand je désire « ne pas » laisser de pourboire.
Parenthèse, ici. Les terminaux de paiement calculent le pourcentage en incluant les taxes, alors que la norme sociale veut que le montant soit déterminé sans les inclure. Lorsqu’un terminal indique 15 %, le montant représente en réalité 17 % du prix de ce que vous avez commandé. C’est donc dire que si on veut véritablement laisser 15 %, on devrait sélectionner 13 % sur le terminal, ou encore écrire soi-même un montant d’argent. (En passant : pour savoir à combien de dollars équivaut un pourboire de 15 %, multipliez par trois le montant de la TPS.)
Pas des salariés à pourboire
Les employés qui offrent un service aux tables s’attendent à recevoir en pourboire l’équivalent de 15 % du montant de l’addition avant taxes. Normal : leur salaire horaire minimum est de 10,80 $, tandis que celui des autres travailleurs s’élève à 13,50 $. De plus, lorsqu’ils font leur déclaration de revenus, les serveurs doivent déclarer au fisc des pourboires correspondant à au moins 8 % de leurs ventes.
Or, selon la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), les gens qui travaillent dans un endroit où l’on commande et paie au comptoir avant de manger (boulangerie, restauration rapide, etc.) ne sont pas des salariés à pourboire.
Même chose pour le caissier qui remet des commandes pour emporter. Pour être considéré comme un salarié à pourboire, il faut qu’il travaille dans un restaurant de type traditionnel et qu’il reçoive généralement des pourboires à la suite de services rendus. Il existe bien sûr certains cas particuliers, mais les exemples ci-dessus résument bien l’ensemble du portrait.
À cet égard, l’Association des restaurateurs du Québec concède que la norme sociale concernant le pourboire pour le service au comptoir n’est pas tout à fait définie. « Avec la pandémie, on a remarqué que de plus en plus les clients désirent en laisser, dit le responsable des communications et affaires publiques de l’association, Martin Vézina. Je ne crois pas que ce choix soit en lien avec le salaire minimum, mais plutôt que les clients désirent réellement donner un coup de pouce aux employés de la restauration éprouvés par la pandémie. »
Sentez-vous bien à l’aise
« L’affichage de montants prédéterminés est commode pour certains clients, mais d’autres trouvent cela très irritant », croit pour sa part la consultante en étiquette professionnelle et optimisation du service client, Danielle Roberge. Selon elle, les terminaux situés dans les commerces sans service aux tables ne devraient pas afficher d’emblée un pourcentage à laisser. « C’est comme si l’employé vous demandait de vive voix “Voulez-vous me laisser un pourboire ?” », illustre-t-elle. Dans ce genre de contexte, ça doit rester à la discrétion du client. Bref, si vous désirez laisser un remerciement monétaire au moment de payer votre croissant au fromage, faites-le ! Mais cette gratification demeure à votre discrétion.
>> À lire sur notre site : Le pourboire au Québec : à qui devrait-on en laisser... ou pas ? et Laissez-vous plus (ou moins) de pourboire que la moyenne des gens ?