Il n’y a rien comme s’acheter une maison à la campagne pour voir les amis débarquer avec tout ce qu’ils possèdent en double ou en triple. Ça va de la vaisselle aux draps, de la cafetière à espresso aux ventilateurs, des chaises de terrasse aux braseros. Le chalet est la résidence pour aînés des objets utilitaires. Faites le tour de vos espaces de rangement – cagibi, casier, garage, cabanon, remise, grenier, garde-robe, sous-sol, voire minientrepôt –, vous en possédez peut-être assez pour faire le bonheur d’une famille d’immigrants qui emménage au pays du père Noël.
Lorsque j’ai revendu cette maison, une amie m’a conseillé de conserver mon aspirateur « au cas où », alors que j’en avais déjà un. Pourquoi deux? Contrairement aux baleines noires, l’aspirateur sur roues a des chances de nous survivre. L’espace pour garder cet appareil n’est jamais soupesé dans l’équation. Le pied carré coûte pourtant cher. Sans parler de la charge mentale... Pour la petite histoire, j’ai fini par tout donner à un centre pour réfugiés.
Il existe des coachs comme Marie Kondo ou Dominique Loreau pour vous dépoussiérer la culpabilité qui vient avec un trop grand nombre de bébelles. Ces spécialistes du désencombrement sont un mélange de nanny pour adulte déraisonnable et de maître zen du capitalisme. Elles constatent que certains clients enterrés sous leurs objets rachètent les mêmes, car ils les ont « perdus », se retrouvant dès lors avec plusieurs exemplaires de casques de vélo ou de sorbetières.
Je ne suis ni cigale, ni écureuil, ni fourmi, sauf pour le chocolat et les livres. Et je me sens assez confiante en mes compétences de campeuse sans avoir un grille-pain ou un presse-agrumes de rechange sous la main.
Je n’oublierai jamais cette ex-belle-mère anglaise, avec ses deux frigos et trois congélos bien garnis, qui avait connu la Seconde Guerre mondiale. Son traumatisme de jeunesse la hantait encore. Notre insécurité matérielle ou notre attachement émotif aux objets (y compris les vêtements) est-il si grand que nous puissions nous permettre de surconsommer en double? Il nous faudra davantage que 1,6 planète pour fournir les ressources…
J’ai une amie, propriétaire d’une grande maison avec sous-sol et garage, qui a déboursé la coquette somme de 10 000 $ sur huit ans pour conserver des cochonneries (elle l’avoue aujourd’hui, je n’oserais pas!) dans un minientrepôt chauffé. Ce secteur de l’économie a fait un boom, avec la rareté de l’immobilier et les délais retardés, la pénurie de matériaux de construction et les achats de matériel de plein air en pandémie.
Devant cette orgie, je ne peux m’empêcher de fredonner la merveilleuse chanson des Cowboys Fringants, L’Amérique pleure, en pensant « en as-tu vraiment (encore) besoin? » :
Moi je traîne dans ma remorque
Tous les excès d'mon époque
La surabondance surgelée
Shootée, suremballée (yeah!)
Pendant qu'les vœux pieux passent dans l'beurre
Que notre insouciance est repue
C'est dans le fond des containers
Que pourront pourrir les surplus.