Vous m’excuserez de prendre congé, mais je ne « like » plus rien, du moins rien de ce qui me semble participer à l’économie de l’envie. Je ne brandis plus le pouce ou le cœur sous chacune des publicités gratuites qui me passent sous le nez : l’ami en vacances dans les Pouilles, en Italie; le collègue sur son nouveau vélo électrique; les rénos de l’animatrice ou de la comédienne en vue sur Instagram.
Non, je m’abstiens de participer à cette enflure dont nous sommes les agents libres et qui peut se résumer à cette phrase célèbre : « Dépenser de l’argent que tu n’as pas pour acheter des choses dont tu n’as pas besoin pour impressionner des gens qui ne t’aiment pas. »
Mais c’est une discipline exigeante que de s’extraire de ce mouvement jovialiste et contagieux relayé par des algorithmes indiscrets. Sans nous en apercevoir, nous participons tous à l’aventure fabuleuse du voisin gonflable qui consiste à toujours désirer davantage pour être enfin heureux. Plus que le voisin, en tout cas.
Déjà, il y a 30 ans, dans son désormais classique La simplicité volontaire – pré-réseaux sociaux –, Serge Mongeau expliquait que « la publicité encourage habilement cette attitude, car cet esprit de compétition fait augmenter la consommation; les gens ne veulent pas seulement avoir plus, mais avoir plus et mieux que les autres, ce qui conduit à une incessante surenchère ». Signe des temps? Le livre vient d’être réédité.
Nous sommes tous devenus des pubs ambulantes au service du grand idéal marchand, sachant que les réseaux sociaux empochent aussi de vrais revenus (300 milliards de dollars par année dès 2024) en étant le plus grand marché pour les publicitaires.
Et le jour n’est pas levé où cette publicité, la Vaseline du progrès, sera interdite.
Les algorithmes tout puissants se chargent de relayer l’objet de nos désirs et de les amplifier. Si je vois passer simultanément vos photos de vacances en Croatie et une publicité d’Air Tralala, bingo, je veux aller moi aussi ajouter 2,5 tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, que je peux heureusement compenser en plantant 60 $ de chicots d’arbres qui n’auront pas le temps de pousser d’ici aux prochains feux de forêt.
Sur une page Facebook de propriétaires d’autos électriques, j’ai remarqué qu’on vantait les vitres teintées. Pourquoi cette coquetterie? Ce serait notamment pour éviter d’avoir l’air d’un poisson dans un aquarium. Depuis, j’ai remarqué que tout mon quartier, que je croyais plutôt paisible, s’est converti au look mafieux motorisé. Je me suis sentie si seule à barboter dans mon petit aquarium aux vitres claires... On ne crée pas le mal de vivre autrement.
Si j’avais 20 ans aujourd’hui, je deviendrais désinfluenceuse; ces personnes commencent à voir le jour et à jouer au karaté avec les tendances. Je vais me contenter sagement de lever le pouce devant les vidéos du moine bouddhiste Matthieu Ricard, qui explique que ce ne sont pas les objets qui rendent les gens heureux, mais la qualité des liens. J’ai beau être poisson, je sais reconnaître la vertu quand elle passe.