C’était une idée commerciale payante de tout privatiser, de posséder individuellement une auto, une tondeuse ou une souffleuse à feuilles… (Ah! Les souffleuses à feuilles! J’en ai eu plein mon “cass” : j’ai acheté des écouteurs antibruit à cause d’elles. Un irritant payant pour ceux qui les fabriquent).
Bref, disions-nous, chacun ses bébelles dans sa cour, et tout le monde heureux derrière son écran le soir venu. Seuls – au pluriel –, mais seuls quand même.
Quand je pense que mon grand-père gaspésien, aîné d’une trâlée de 12, partageait ses bottes d’hiver avec un de ses frères. Chacun son tour d’aller à l’école et aucun ne s’en plaignait. Il faut avouer que ça n’a pas dépassé la quatrième année… Je n’irais pas jusqu’à souhaiter pareil retour de la Grande Noirceur, mais lorsque j’ai appris que ma perceuse électrique héritée d’un ex – et dont je n’ai jamais su me servir (je parle de l’ex, bien sûr) – vrombirait en moyenne 12 minutes dans toute sa vie utile, j’ai eu un gel de cerveau. Sans me vanter, mon vibrateur est plus productif (et je sais comment m’en servir).
Peu importe l’objet ou presque (!), posséder est synonyme de richesse. Partager, pour mon grand-père, signifiait être pauvre. La honte n’était jamais loin du mot « emprunter » en ravalant sa fierté avec une gorgée de thé fort. Nous avons appris à être égoïstes, surtout.
Prêter son camion, c’est bon pour un enfant de 4 ans. En vieillissant, nous nous entichons de nos choses. Nous avons oublié les « communs » : la terre, les récoltes, les lieux, les objets; tout ce qui peut être utilisé par la communauté.
Avec la crise environnementale, des ressources, de l’énergie et de la main-d’œuvre, les « communs » reprennent du galon. J’apprécie que mon voisin Normand prête son pick-up au voisinage pour aller à l’écocentre; je lui laisse un pot de confitures sur le siège en guise de merci. Les communs, ce n’est pas seulement une idée marxiste qui refait surface avec le retour à la terre et l’inflation. Cela touche beaucoup moins les biens matériels que les liens de solidarité.
La « mise en commun » revient au goût du jour, que ce soit avec le prêt d’objets, les voitures partagées (cela se fait déjà dans certains édifices des centres-villes où les locataires les réservent) au moyen de Communauto, les colocations d’appartements, les achats de maison entre amis, l’entretien d’un jardin entre voisins, les achats groupés, le prêt d’outils…
Le temps glorieux de l’aspirateur pour une personne sera peut-être chose du passé. Je partage le mien avec une jeune étudiante mexicaine qui a pris la place de mon fils parti en appartement l’année dernière. Cette mise en commun avantage tout le monde sur le plan social, financier, culturel, intergénérationnel et écologique. Sur le plan mental aussi, car mon syndrome du nid vide s’est envolé. J’ai même une prof d’espagnol gratuite si je veux m’y remettre, ¡hombre! Je me sens moins seule et ma vie est plus riche en partageant ma perceuse… qui servira 24 minutes au lieu de 12!