Une chose est sûre, la politique « Vision Zéro » des villes comme Montréal, eh bien… c’est zéro ! Autrement dit, aucune chance d’atteindre dans les conditions actuelles la cible par ailleurs très noble du zéro décès et blessé grave chez les piétons frappés par un véhicule.
Une mauvaise politique, c’est commode pour les automobilistes qui se plaignent quand les piétons et les cyclistes ne respectent pas les règles sur la chaussée. C’est toujours plus facile de pointer du doigt les autorités gouvernementales que de se regarder dans le rétroviseur.
Ce qui est certain, c’est que, sans un sérieux coup de barre, rien n’y fera : les piétons blessés ou tués sur la voie publique seront sans cesse plus nombreux.
Ce n’est pas seulement ce que j’en pense : c’est la conclusion que tirait à la fin du mois de juin la Governors Highway Safety Association (GHSA), l’organisme sans but lucratif qui représente l’autorité routière des États et des grandes régions municipales de l’ensemble des États-Unis.
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En 13 ans, 77 % d’accidents mortels de plus chez les piétons
Depuis 2010, constate l’organisme américain, le nombre de décès de piétons aux États-Unis a connu une hausse ahurissante de 77 %, une croissance trois fois plus rapide que pour tout le reste des usagers de la route, pour qui les accidents mortels ont augmenté de « seulement » 25 % au cours de la même période.
La GHSA a aussi identifié une cause toute simple : les principales artères dans la plupart des grandes villes priorisent le passage des véhicules toujours plus rapides, toujours plus gros et donc toujours plus dangereux.
« En l’absence de gestes concrets et urgents pour compenser ces facteurs systémiques, on ne peut que demander aux conducteurs de ces véhicules d’être plus prudents », conclut la GHSA.
Pas mieux au Québec
Ses chiffres sont moins impressionnants, mais le Québec n’échappe pas à la tendance. Selon les plus récentes statistiques de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), le nombre de décès sur les routes de la province s’est élevé à 392 l’an dernier, dont 79 piétons. La hausse du nombre de décès par rapport à la moyenne annuelle de 2017 à 2021 est de 13 %, celle concernant uniquement les piétons est de 23 %.
C’est le pire bilan routier des 15 dernières années au Québec.
En présentant la hausse « inquiétante » de ces statistiques, la SAAQ se dit « préoccupée ». Le gouvernement provincial a promis qu’un plan d’action sera publié d’un jour à l’autre au début de l’été. Il serait temps. Québec s’est, jusqu’ici, montré bien plus en faveur de l’accroissement du parc automobile sur nos routes que d'un partage de la route plus équilibré entre les différents usagers.
Un peu plus loin dans les statistiques sur la sécurité routière, on observe une autre tendance qui aide à mieux comprendre pourquoi les piétons paient le prix fort des accidents de la route : les véhicules plus récents de plus grand format sont conçus pour mieux protéger leurs occupants, c’est tout. Ils ont l’effet inverse sur les piétons, cyclistes ou motocyclistes qu’ils renversent.
Ça cogne plus dur.
Un nouvel indice pour évaluer la protection des piétons
Aux États-Unis aussi, les organismes gouvernementaux commencent à perdre patience. Plus tôt ce printemps, la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) a décidé qu’elle contraindrait les constructeurs automobiles à tenir compte des piétons.
Dans ses tests, elle évaluera désormais les véhicules mis sur la route par les constructeurs pour déterminer à quel point la sécurité des piétons est prise en compte, surtout en ville, aux intersections.
L’organisme américain veut mettre en place pour tous les véhicules neufs un système de cote de sécurité concernant les piétons, comme il existe déjà des indices de sécurité en cas de collision frontale, latérale, etc., avec d’autres véhicules.
L’idée est que cet indice motive les constructeurs à trouver des solutions de sécurité active (celles qui préviennent les accidents) et de sécurité passive (celles qui en réduisent les dommages) pour mieux protéger les piétons en cas d’impact.
Une des premières solutions que la NHTSA songe à imposer aux constructeurs est d’intégrer obligatoirement un système de détection des piétons avec freinage automatique d’urgence. Déjà, on trouve à bord de nombreux véhicules des systèmes de freinage automatisés qui empêchent d’emboutir le véhicule devant soi lors d’un moment de distraction.
Ces systèmes ne tiennent pas nécessairement compte de la présence de piétons ou de cyclistes qui s’approchent latéralement et qui pourraient se trouver devant le véhicule quand celui-ci accélère.
Les organismes de défense des piétons et des cyclistes aux États-Unis accueillent plutôt favorablement cette décision de la NHTSA, même s’il faudra quelques années avant que son effet sur la sécurité routière ne se fasse réellement sentir.
Ces organismes déplorent également qu’on n’ait pas insisté davantage sur le déploiement de technologies comme des limiteurs électroniques de vitesse. Certains véhicules Ford, par exemple, sont dotés de ce système que le conducteur peut activer pour éviter d’atteindre des vitesses qui sont soit supérieures à la limite permise, soit dangereuses pour les autres usagers de la route.
Des mesures en attente au Québec
Au Québec, il faudra attendre le plan gouvernemental pour connaître les mesures que les autorités entendent mettre en place pour mieux protéger les piétons.
Montréal a mis à jour son plan Vision Zéro 2030 en septembre dernier et propose des solutions, comme une plus grande « analyse des déficiences de la signalisation » et un « appui aux efforts de prévention de la fatigue au volant ».
Ces mesures, il faut le dire, manquent d’ambition. La Ville de Montréal hésite depuis cinq ans à régler durablement le cas de la voie Camillien-Houde, qui divise en deux le Parc du Mont-Royal et où les cyclistes et les automobilistes peinent à cohabiter de façon civilisée. Et on est loin d’une solution durable dans les rues beaucoup plus affluentes du centre-ville…
Plus on attend, plus « Vision Zéro » est en train de devenir « zéro vision ».
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