Troubles alimentaires: quand un proche souffre

Selon des donn&eacute;es de l&rsquo;Institut canadien d&rsquo;information sur la sant&eacute; (ICIS) datant de 2022, la pand&eacute;mie de COVID-19 et le confinement ont eu un effet d&eacute;vastateur sur la sant&eacute; mentale des enfants et des adolescents, et la pr&eacute;valence des troubles alimentaires est &agrave; la hausse. En effet, depuis mars 2020, les hospitalisations en raison de troubles alimentaires chez les filles &acirc;g&eacute;es de 10 &agrave; 17 ans auraient augment&eacute; de pr&egrave;s de 60 % au pays.Heureusement, des gestes clairs peuvent &ecirc;tre pos&eacute;s &agrave; la maison pour aider ses enfants avant de se rendre au point o&ugrave; l&rsquo;hospitalisation est n&eacute;cessaire. La Dre Holly Agostino, directrice du programme des troubles alimentaires de l&rsquo;H&ocirc;pital de Montr&eacute;al pour enfants, r&eacute;pond &agrave; nos questions et nous conseille sur la bonne fa&ccedil;on d&rsquo;aider un proche atteint d&rsquo;un trouble alimentaire pour &ecirc;tre en mesure d&rsquo;intervenir le plus rapidement possible. - Dre Holly Agostino, directrice du programme des troubles alimentaires de l&rsquo;H&ocirc;pital de Montr&eacute;al pour enfants. Photo : Jean-Fran&ccedil;ois HamelinQue consid&egrave;re-t-on comme un trouble alimentaire (TA)?Le diagnostic des TA n&rsquo;est pas noir ou blanc et peut &ecirc;tre complexe &agrave; poser. Contrairement &agrave; ce que l&rsquo;on pourrait penser, le poids sur la balance n&rsquo;y change rien. Le diagnostic se fait plut&ocirc;t autour des obsessions mentales par rapport au poids et &agrave; la nourriture. Une question que je pose &agrave; mes patients est : &agrave; quelle fr&eacute;quence dans la journ&eacute;e pensez-vous &agrave; la nourriture ou &agrave; votre poids ? Si c&rsquo;est toute la journ&eacute;e et que c&rsquo;est obsessif, c&rsquo;est souvent une indication de la pr&eacute;sence d&rsquo;un TA.Quels sont les troubles alimentaires les plus courants?Il y a les troubles avec une forme restrictive, comme l&rsquo;anorexie, o&ugrave; il y aura une perte de poids importante et une peur de prendre du poids. Le trouble d&rsquo;alimentation s&eacute;lective et/ou d&rsquo;&eacute;vitement, lui, est un trouble alimentaire qui n&rsquo;est pas reli&eacute; &agrave; l&rsquo;image corporelle, mais plut&ocirc;t &agrave; une forte anxi&eacute;t&eacute;. Le patient a peur de manger par crainte d&rsquo;&ecirc;tre malade, de s&rsquo;&eacute;touffer ou de faire une r&eacute;action allergique, par exemple.Finalement, dans les troubles alimentaires avec formes boulimiques, le patient aura des &eacute;pisodes de gavage de grande quantit&eacute; de nourriture sans contr&ocirc;le. Les personnes boulimiques alternent ces exc&egrave;s avec des m&eacute;thodes compensatoires comme des vomissements, des r&eacute;gimes draconiens ou des entrainements excessifs. Les personnes atteintes d&rsquo;hyperphagie boulimique, quant &agrave; elles, ne compenseront pas ces &eacute;pisodes de gavage par des m&eacute;thodes compensatoires et seront ainsi port&eacute;es &agrave; prendre du poids.Les formes boulimiques sont souvent moins diagnostiqu&eacute;es et passent davantage sous le radar que les formes restrictives, car elles ne pr&eacute;sentent pas toujours une perte de poids importante. La n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;intervenir d&rsquo;un point de vue m&eacute;dical est g&eacute;n&eacute;ralement moins urgente, mais &ccedil;a ne veut pas dire que ces personnes n&rsquo;ont pas besoin d&rsquo;aide.Quelle est la pr&eacute;valence des TA?C&rsquo;est la deuxi&egrave;me maladie chronique chez les adolescents apr&egrave;s l&rsquo;asthme. La litt&eacute;rature scientifique estime qu&rsquo;environ 4 % des jeunes adultes ont un trouble alimentaire, selon les crit&egrave;res de diagnostic les plus stricts. Il est aussi possible d&rsquo;&ecirc;tre atteint de formes partielles de TA, quand la s&eacute;v&eacute;rit&eacute; clinique des sympt&ocirc;mes ne r&eacute;pond pas &agrave; tous les crit&egrave;res de diagnostic. En incluant ces cas-l&agrave;, le taux de pr&eacute;valence peut tripler. Ces donn&eacute;es datent d&rsquo;avant la pand&eacute;mie de COVID-19. Depuis, le nombre de nouveaux diagnostics de TA chez les jeunes a doubl&eacute; dans les grands centres hospitaliers du pays.On entend souvent que seules les adolescentes souffrent de TA; or, les gar&ccedil;ons aussi sont touch&eacute;s. Ils ne chercheront pas n&eacute;cessairement &agrave; perdre du poids, mais voudront &ecirc;tre plus muscl&eacute;s, &eacute;limineront plusieurs &eacute;l&eacute;ments de leur alimentation et s&rsquo;entraineront de mani&egrave;re excessive. Environ 15 % de nos patients trait&eacute;s pour TA &agrave; l&rsquo;H&ocirc;pital de Montr&eacute;al pour enfants sont des gar&ccedil;ons.Comment d&eacute;tecter les premiers signes chez son enfant ou chez un proche?G&eacute;n&eacute;ralement, le TA apparait au milieu de l&rsquo;adolescence, vers l&rsquo;&acirc;ge de 14-16 ans, mais &ccedil;a ne veut pas dire qu&rsquo;il ne peut pas se d&eacute;velopper plus t&ocirc;t ou plus tard. Le premier signe clair est un changement des habitudes &agrave; la maison et une augmentation des comportements d&rsquo;obsession et de rigidit&eacute;. Par exemple, votre enfant refuse soudainement de manger un aliment qu&rsquo;il aimait auparavant, ou il a une r&eacute;action d&eacute;mesur&eacute;e s&rsquo;il manque un entrainement. &Agrave; lire aussi : Bien connaitre les diff&eacute;rents troubles alimentaires Quelle est la meilleure fa&ccedil;on d&rsquo;aborder le sujet avec un proche?La meilleure approche est d&rsquo;aborder le sujet avec honn&ecirc;tet&eacute;, d&egrave;s les premiers signes. Vous pourriez lui faire part des changements d&rsquo;habitudes que vous avez remarqu&eacute;s et lui dire que &ccedil;a vous inqui&egrave;te. &Eacute;vitez d&rsquo;aborder le sujet avec un ton accusateur, car la personne risque de ne pas s&rsquo;ouvrir &agrave; vous.Est-ce possible de d&eacute;terminer les causes d&rsquo;un TA?Pas n&eacute;cessairement. Lorsqu&rsquo;on traite un patient, on &eacute;vite de chercher la cause, car c&rsquo;est souvent multifactoriel. Certains ont v&eacute;cu de l&rsquo;intimidation &agrave; cause de leur poids&hellip; d&rsquo;autres ont commenc&eacute; par perdre du poids sainement et ont perdu le contr&ocirc;le.Est-ce que l&rsquo;attitude des parents face &agrave; la nourriture peut amener un enfant &agrave; d&eacute;velopper des troubles alimentaires ?Ce n&rsquo;est pas parce qu&rsquo;un des deux parents a eu un trouble alimentaire que l&rsquo;enfant est plus &agrave; risque d&rsquo;en d&eacute;velopper un. Par contre, si tout le monde &agrave; la maison parle de poids, du fait qu&rsquo;il faut &eacute;viter les calories, &ccedil;a peut avoir une influence sur les comportements de l&rsquo;enfant. Ce n&rsquo;est pas un facteur g&eacute;n&eacute;tique dans ce cas-ci, mais plut&ocirc;t un facteur environnemental.Pourquoi est-il important de consulter un professionnel de la sant&eacute;?Plus t&ocirc;t on intervient, meilleurs sont les r&eacute;sultats par rapport &agrave; la reprise de poids et du contr&ocirc;le des pens&eacute;es envahissantes. Les adolescents ont en g&eacute;n&eacute;ral de meilleurs taux de r&eacute;tablissement que les adultes, car la cl&eacute; est de briser les habitudes du TA le plus rapidement possible. Certains parents obligent leurs enfants &agrave; consulter et cela peut les sauver, car les troubles alimentaires peuvent &ecirc;tre fatals. C&rsquo;est pire avec les troubles restrictifs.Malheureusement, surtout depuis la COVID-19, les listes d&rsquo;attente pour voir un professionnel de la sant&eacute; sont tr&egrave;s longues au public. Les centres hospitaliers traitent en priorit&eacute; les cas les plus s&eacute;v&egrave;res, c&rsquo;est-&agrave;-dire ceux qui n&eacute;cessitent une hospitalisation et des soins m&eacute;dicaux. Plusieurs parents doivent donc se tourner vers les services priv&eacute;s pour obtenir de l&rsquo;aide qui n&rsquo;est pas urgente.Quels sont les risques associ&eacute;s aux TA?Les formes restrictives de la maladie sont les plus dangereuses. En r&eacute;duisant son poids, la personne peut non seulement souffrir de malnutrition, mais elle finit aussi par perdre du muscle. Comme le c&oelig;ur est un muscle, il devient de plus en plus faible et ralentit pour conserver de l&rsquo;&eacute;nergie. Cela cr&eacute;e un risque important d&rsquo;arythmies et d&rsquo;arr&ecirc;ts cardiaques, ce qui peut causer des d&eacute;c&egrave;s. Les m&eacute;decins vont hospitaliser un patient quand ses signes vitaux sont inqui&eacute;tants. Ils vont le connecter &agrave; un moniteur cardiaque et le nourrir ensuite pour acc&eacute;l&eacute;rer le rythme cardiaque. La bonne nouvelle, c&rsquo;est que la plupart des s&eacute;quelles physiques sont r&eacute;versibles.Les TA ont aussi un impact psychologique important. Environ un tiers des patients qui en souffrent ont aussi un autre probl&egrave;me de sant&eacute; mentale comme l&rsquo;anxi&eacute;t&eacute;, la d&eacute;pression ou un trouble obsessionnel compulsif. La malnutrition peut par ailleurs provoquer des sympt&ocirc;mes quasi identiques &agrave; ceux des troubles de l&rsquo;humeur. Par exemple, un patient peut avoir des sympt&ocirc;mes de d&eacute;pression qui vont disparaitre quand il va recommencer &agrave; se nourrir ad&eacute;quatement. Il vaut mieux donc attendre que le TA soit contr&ocirc;l&eacute; avant de poser tout autre diagnostic de sant&eacute; mentale.&Agrave; quoi peut-on s&rsquo;attendre lorsque notre enfant est hospitalis&eacute; pour un TA?La prise en charge est tr&egrave;s diff&eacute;rente d&rsquo;un h&ocirc;pital &agrave; l&rsquo;autre. &Agrave; l&rsquo;H&ocirc;pital de Montr&eacute;al pour enfants, on garde l&rsquo;enfant autour de deux &agrave; trois semaines et on se focalise sur le traitement m&eacute;dical : on lui donne de la nourriture jusqu&rsquo;&agrave; ce que la sant&eacute; de son c&oelig;ur s&rsquo;am&eacute;liore suffisamment pour qu&rsquo;il puisse retourner &agrave; la maison. Le suivi psychologique et les th&eacute;rapies se font par la suite en consultation externe.Que doivent faire les parents quand leur enfant re&ccedil;oit un diagnostic de TA?Il ne faut pas avoir peur de mettre des limites. Votre enfant ne contr&ocirc;le pas la situation, c&rsquo;est son trouble alimentaire qui a pris le dessus. Il n&rsquo;est pas en mesure de prendre de saines d&eacute;cisions; c&rsquo;est donc &agrave; vous de le faire pour lui jusqu&rsquo;&agrave; ce qu&rsquo;il aille mieux. Pr&eacute;parez-lui ses repas, asseyez-vous et mangez avec lui, et discutez pour le distraire des pens&eacute;es n&eacute;gatives qu&rsquo;il pourrait avoir concernant la nourriture. Vous devez insister pour qu&rsquo;il mange, m&ecirc;me si &ccedil;a prend deux heures. Vous pourriez aussi l&rsquo;autoriser &agrave; s&rsquo;entrainer &agrave; condition qu&rsquo;il prenne du poids, par exemple. Le but des programmes d&rsquo;aide est de soutenir les parents en leur donnant des solutions pratiques &agrave; implanter directement &agrave; la maison.Quels sont les gestes &agrave; &eacute;viter?Il ne faut pas faire de concessions sur tout ce qui touche &agrave; la nourriture. Vous pouvez soutenir votre enfant et &ecirc;tre pr&eacute;sent pour lui, mais s&rsquo;il refuse de manger, soyez cat&eacute;gorique. C&rsquo;est difficile, mais voyez la nourriture comme l&rsquo;&eacute;quivalent d&rsquo;un antibiotique pour traiter une infection. La nourriture est le m&eacute;dicament pour les troubles alimentaires. N&rsquo;oubliez pas : si la situation vous frustre, vous n&rsquo;&ecirc;tes pas en col&egrave;re contre votre enfant &ndash; vous &ecirc;tes en col&egrave;re contre son trouble alimentaire.Peut-on gu&eacute;rir d&rsquo;un TA?Absolument. La litt&eacute;rature scientifique d&eacute;montre que quand ils sont pris en charge, deux jeunes sur trois atteints d&rsquo;un TA en gu&eacute;rissent compl&egrave;tement, c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;ils finissent par manger normalement et parviennent &agrave; contr&ocirc;ler leurs pens&eacute;es. D&rsquo;autres peuvent faire des rechutes lors des moments de stress. Si c&rsquo;est le cas, les parents sont g&eacute;n&eacute;ralement outill&eacute;s pour en reconnaitre les premiers signes et intervenir rapidement. Malheureusement, les TA persistent apr&egrave;s l&rsquo;adolescence chez une minorit&eacute; de patients. &Agrave; l&rsquo;&acirc;ge adulte, on est responsable de sa sant&eacute; et on ne va pas n&eacute;cessairement chercher de l&rsquo;aide; cela rend le traitement plus compliqu&eacute;.Y a-t-il des mythes sur les TA?Oui, surtout avec l&rsquo;anorexie. On a souvent en t&ecirc;te l&rsquo;image d&rsquo;une personne avec la peau sur les os. La maladie existe &agrave; n&rsquo;importe quel poids. Une personne consid&eacute;r&eacute;e ob&egrave;se qui perd beaucoup de poids rapidement peut &ecirc;tre anorexique sans &ecirc;tre maigre. L&rsquo;autre gros mythe est que les gar&ccedil;ons ne sont pas touch&eacute;s par les TA, ce qui est totalement faux.Avez-vous un dernier message pour les parents?Vous &ecirc;tes la personne qui connaissez le mieux votre enfant, alors faites confiance &agrave; votre instinct. Si vous remarquez que quelque chose cloche ou si vous jugez que certains comportements ne sont pas raisonnables, n&rsquo;ayez pas peur de mettre vos limites. Et si la situation devient hors de contr&ocirc;le, allez chercher de l&rsquo;aide.Cet entretien a &eacute;t&eacute; &eacute;dit&eacute; par souci de clart&eacute; et de pr&eacute;cision. &Agrave; lire aussi : Ce qu'il faut savoir sur les troubles du comportement alimentaire

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