La médecine de précision pourra-t-elle tout soigner?

La m&eacute;decine a toujours fond&eacute; beaucoup d&rsquo;espoir sur les avanc&eacute;es en mati&egrave;re de g&eacute;n&eacute;tique et encore plus depuis le d&eacute;cryptage du g&eacute;nome humain, annonc&eacute; en 2003. Les g&egrave;nes, fragments des mol&eacute;cules d&rsquo;acide d&eacute;soxyribonucl&eacute;ique (ADN) pr&eacute;sentes dans chacune de nos cellules, sont en effet une riche source d&rsquo;information pour les sp&eacute;cialistes de la m&eacute;decine de pr&eacute;cision, dit le chercheur Martin Sauvageau.Professeur adjoint &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de Montr&eacute;al et directeur de l&rsquo;Unit&eacute; de recherche en ARN et m&eacute;canismes non codants des maladies &agrave; l&rsquo;Institut de recherches cliniques de Montr&eacute;al (IRCM), M. Sauvageau nous explique en quoi cette discipline en plein essor promet des diagnostics plus rapides et l&rsquo;administration de soins personnalis&eacute;s pour traiter des maladies qui, jusqu&rsquo;ici, &eacute;taient moins bien comprises. Quelle est la diff&eacute;rence entre la m&eacute;decine de pr&eacute;cision et la m&eacute;decine personnalis&eacute;e ?C&rsquo;est essentiellement la m&ecirc;me chose. Auparavant, on parlait davantage de m&eacute;decine personnalis&eacute;e, un terme pouvant vouloir dire qu&rsquo;on cr&eacute;e des traitements sur mesure pour les patients, ce qui n&rsquo;est pas tout &agrave; fait le cas. Maintenant, on pr&eacute;conise le terme &laquo; m&eacute;decine de pr&eacute;cision &raquo; pour &eacute;viter toute confusion.Comment d&eacute;finir la m&eacute;decine de pr&eacute;cision ?Si on regarde l&rsquo;histoire de la m&eacute;decine dans son ensemble, l&rsquo;approche g&eacute;n&eacute;rale en mati&egrave;re de diagnostic et de traitement a toujours &eacute;t&eacute; plut&ocirc;t r&eacute;active. Quand la maladie apparait, on la traite, mais sans connaitre les facteurs g&eacute;n&eacute;tico-environnementaux &agrave; son origine.La m&eacute;decine de pr&eacute;cision s&rsquo;appuie sur plusieurs technologies de pointe, comme la g&eacute;nomique, l&rsquo;analyse des grands jeux de donn&eacute;es &ndash; le big data &ndash; et l&rsquo;intelligence artificielle, pour essayer de comprendre les concepts sous-jacents aux maladies &agrave; un niveau mol&eacute;culaire.En r&eacute;sum&eacute;, la m&eacute;decine de pr&eacute;cision consiste &agrave; utiliser des informations d&eacute;taill&eacute;es sur le profil g&eacute;n&eacute;tique, sur l&rsquo;environnement et sur le mode de vie d&rsquo;un individu pour essayer de mieux guider les d&eacute;cisions cliniques, et de mieux pr&eacute;venir, diagnostiquer et traiter les maladies.On ne pourrait donc pas consid&eacute;rer qu&rsquo;un omnipraticien qui adapte des traitements aux besoins d&rsquo;un patient fait de la m&eacute;decine de pr&eacute;cision ?Non. Et c&rsquo;est aussi pourquoi le terme &laquo; m&eacute;decine personnalis&eacute;e &raquo; peut semer la confusion. Le m&eacute;decin va en effet adapter le traitement &agrave; son patient, ce qui s&rsquo;apparente &agrave; une certaine personnalisation, mais &ccedil;a peut prendre du temps et &ccedil;a demeure des essais-erreurs empiriques. La m&eacute;decine de pr&eacute;cision prend en consid&eacute;ration le g&eacute;nome du patient, et ces donn&eacute;es g&eacute;n&eacute;tiques permettent de confirmer la justesse du traitement avec davantage de certitude.C&rsquo;est la m&ecirc;me chose pour la mise au point de certains traitements. Traditionnellement, on se reposait sur des moyennes statistiques obtenues d&rsquo;&eacute;tudes cliniques men&eacute;es sur un large bassin de population pour d&eacute;terminer la dose ad&eacute;quate. En raison de diff&eacute;rences g&eacute;n&eacute;tiques au sein de la population, celle-ci pouvait changer d&rsquo;un individu &agrave; l&rsquo;autre, ce qui influen&ccedil;ait la r&eacute;action au traitement. C&rsquo;&eacute;tait une approche &laquo; universelle &raquo; qui pouvait &ecirc;tre efficace dans certains cas, mais qui pouvait aussi s&rsquo;av&eacute;rer impr&eacute;cise ou parfois carr&eacute;ment inefficace et sous-optimale. La m&eacute;decine de pr&eacute;cision permet donc de mieux cibler dans quelle situation il est plus appropri&eacute; d&rsquo;administrer un traitement ou une dose.Quel est le champ d&rsquo;application particulier de la m&eacute;decine de pr&eacute;cision ?Elle permet de soigner plusieurs affections, notamment les maladies monog&eacute;niques, c&rsquo;est-&agrave;-dire caus&eacute;es par l&rsquo;anomalie d&rsquo;un seul g&egrave;ne [comme la fibrose kystique et l&rsquo;amyotrophie spinale, par exemple]. Les th&eacute;rapies de pr&eacute;cision vont alors agir directement sur celui-ci. Il y a entre autres beaucoup d&rsquo;avanc&eacute;es dans le traitement de certaines maladies cardiovasculaires et neurod&eacute;g&eacute;n&eacute;ratives de m&ecirc;me qu&rsquo;en oncologie.Il existe, par exemple, diff&eacute;rents types de cancer du sein induits par des mutations sp&eacute;cifiques dans diff&eacute;rents g&egrave;nes. Lorsqu&rsquo;un diagnostic est pos&eacute;, l&rsquo;oncologue va tenter de d&eacute;terminer le type de cancer pour adapter le traitement. Plus la recherche va avancer en m&eacute;decine de pr&eacute;cision, plus il sera facile de le faire.La m&eacute;decine de pr&eacute;cision est aussi un grand atout pour traiter les maladies rares. Les personnes atteintes doivent souvent affronter un parcours du combattant : elles passent &agrave; travers une tonne de tests et, parfois, de mauvais diagnostics. Souvent, c&rsquo;est d&ucirc; &agrave; une m&eacute;connaissance de la maladie ou de la mutation g&eacute;n&eacute;tique qui la cause. Les avanc&eacute;es dans la connaissance du g&eacute;nome de ces patients acc&eacute;l&egrave;rent &agrave; la fois le diagnostic et l&rsquo;amorce du traitement.Quelles th&eacute;rapies et technologies sont associ&eacute;es &agrave; la m&eacute;decine de pr&eacute;cision ?Il y a &eacute;videmment le s&eacute;quen&ccedil;age du g&eacute;nome et les analyses de biomarqueurs que l&rsquo;on peut faire &agrave; partir de diff&eacute;rents tissus ou de fluides, comme l&rsquo;urine, le sang, la salive. Ces tests permettent d&rsquo;&eacute;tudier le g&eacute;nome et l&rsquo;information biologique propres au patient. On fait aussi appel &agrave; la pharmacog&eacute;nomique, qui &eacute;tudie la mani&egrave;re dont le profil g&eacute;n&eacute;tique d&rsquo;un individu va affecter sa r&eacute;action aux m&eacute;dicaments et comment il va les m&eacute;taboliser, afin de choisir la bonne classe de m&eacute;dicaments &agrave; prescrire et de d&eacute;terminer s&rsquo;il faut adapter la dose.Pour ce qui est des traitements &agrave; proprement parler, on peut notamment utiliser les anticorps monoclonaux [fabriqu&eacute;s par des cellules en laboratoire] pour traiter certaines maladies m&eacute;taboliques. On le fait dans le cas de l&rsquo;hypercholest&eacute;rol&eacute;mie, un trouble du m&eacute;tabolisme lipidique qui fait augmenter le taux de cholest&eacute;rol dans le sang et qui est caus&eacute; en partie par une mutation dans une prot&eacute;ine qu&rsquo;on appelle PCSK9. Elle peut &ecirc;tre trait&eacute;e entre autres par un anticorps monoclonal, pour bloquer la prot&eacute;ine en cause, et cela fonctionne tr&egrave;s bien.Il y a &eacute;galement des essais cliniques tr&egrave;s prometteurs portant sur des approches d&rsquo;&eacute;dition g&eacute;nomique par la technologie CRISPR : on injecte une mol&eacute;cule qui agit comme des &laquo; ciseaux mol&eacute;culaires &raquo; permettant de corriger de fa&ccedil;on pr&eacute;cise la mutation dans les cellules ayant caus&eacute; la maladie. Les th&eacute;rapies par ARN [voir tableau], &eacute;tudi&eacute;es depuis les ann&eacute;es 1980, font aussi partie de l&rsquo;arsenal de la m&eacute;decine de pr&eacute;cision. Pr&eacute;sentes dans chaque cellule, les mol&eacute;cules d&rsquo;ARN d&eacute;codent l&rsquo;information contenue dans l&rsquo;ADN pour qu&rsquo;elle soit traduite en prot&eacute;ines.Comment les th&eacute;rapies par ARN fonctionnent-elles ? Disons qu&rsquo;on a une maladie caus&eacute;e par le manque d&rsquo;un g&egrave;ne, donc une mutation g&eacute;n&eacute;tique : cela veut dire qu&rsquo;une prot&eacute;ine est absente ou d&eacute;fectueuse. Pour corriger cette lacune, on peut alors injecter au patient l&rsquo;ARN manquant associ&eacute; &agrave; la prot&eacute;ine dont la mutation est &agrave; l&rsquo;origine de la maladie. Il existe d&rsquo;autres types de th&eacute;rapies par ARN qui utilisent des oligonucl&eacute;otides, de toutes petites s&eacute;quences d&rsquo;ARN ou d&rsquo;ADN qui vont cibler un ARN particulier pour le d&eacute;grader ou pour le corriger s&rsquo;il y a un d&eacute;faut dans le g&eacute;nome du patient. Il y a par exemple un traitement de ce genre pour l&rsquo;amyotrophie spinale, le Spinraza, qui vient corriger le d&eacute;faut de l&rsquo;ARN. Gr&acirc;ce &agrave; ce m&eacute;dicament, les patients arrivent parfois &agrave; marcher de nouveau, et l&rsquo;esp&eacute;rance de vie est allong&eacute;e.Les succ&egrave;s des th&eacute;rapies par ARN sont r&eacute;cents, mais plusieurs de ces traitements pourraient &ecirc;tre mis sur le march&eacute; dans le futur. Comment la m&eacute;decine de pr&eacute;cision peut-elle changer la mani&egrave;re d&rsquo;administrer les m&eacute;dicaments ? Les m&eacute;dicaments sont souvent donn&eacute;s de fa&ccedil;on syst&eacute;mique, donc vont circuler &agrave; diff&eacute;rents endroits dans le corps. Parfois, &ccedil;a n&rsquo;a aucun effet n&eacute;gatif, mais, selon la mol&eacute;cule, cela peut aussi causer des r&eacute;actions ind&eacute;sirables. La mise au point de vecteurs permettrait d&rsquo;intervenir avec de plus petites doses seulement dans la r&eacute;gion affect&eacute;e. On peut y arriver au moyen de diff&eacute;rentes m&eacute;thodes d&rsquo;administration, comme par injection sous-cutan&eacute;e ou intramusculaire, ou encore par capsule orale ou par suppositoire. Ces vecteurs permettent entre autres de cibler un tissu ou un type de cellule d&eacute;fectueux. Ce serait une bonne avenue pour &eacute;viter certains traitements plus toxiques, comme la chimioth&eacute;rapie. Comme celle-ci est administr&eacute;e de fa&ccedil;on syst&eacute;mique, elle ne distingue pas les cellules canc&eacute;reuses des cellules saines ; c&rsquo;est pour cela que les patients vont en subir plusieurs effets ind&eacute;sirables, comme la perte de cheveux ou les troubles digestifs. Ces strat&eacute;gies restent limit&eacute;es sur le terrain, mais beaucoup de recherche se fait actuellement dans ce domaine.Y a-t-il des obstacles &agrave; l&rsquo;essor de la m&eacute;decine de pr&eacute;cision ?Les technologies et les processus associ&eacute;s &agrave; la m&eacute;decine de pr&eacute;cision sont tr&egrave;s couteux, m&ecirc;me si on esp&egrave;re qu&rsquo;ils r&eacute;duiront la facture des tests diagnostiques &agrave; long terme. Dans un syst&egrave;me de sant&eacute; publique comme le n&ocirc;tre, l&rsquo;implantation de technologies ch&egrave;res peut prendre beaucoup de temps. Elles restent donc encore inaccessibles &agrave; plusieurs patients. Heureusement, les couts diminuent avec les ann&eacute;es. Il y a aussi toute la notion de protection de la vie priv&eacute;e. Il existe toujours un risque d&rsquo;utilisation abusive des donn&eacute;es g&eacute;n&eacute;tiques de la part de certaines compagnies d&rsquo;assurance ou des employeurs, par exemple. Il est important que les diff&eacute;rents gouvernements r&egrave;glementent l&rsquo;utilisation des renseignements g&eacute;n&eacute;tiques propres &agrave; chacun.Est-ce, somme toute, la m&eacute;decine de l&rsquo;avenir ?Je crois sinc&egrave;rement que oui. Il faudra toutefois veiller &agrave; faire attention &agrave; la notion d&rsquo;acceptabilit&eacute; sociale. Nous avons eu un aper&ccedil;u d&rsquo;une division au sein de la population lorsque les vaccins &agrave; ARN messager contre la COVID-19 sont arriv&eacute;s sur le march&eacute;. Comme la m&eacute;decine de pr&eacute;cision peut &ecirc;tre compliqu&eacute;e &agrave; comprendre, il est possible que certains individus y soient r&eacute;fractaires. Les professionnels de la sant&eacute; devront accomplir un gros travail de vulgarisation aupr&egrave;s de la population pour apaiser les inqui&eacute;tudes.* L&rsquo;entretien a &eacute;t&eacute; &eacute;dit&eacute; par souci de clart&eacute; et de concision.ADN, g&egrave;ne, g&eacute;nome&hellip; comment les diff&eacute;rencier ?ADN (acide d&eacute;soxyribonucl&eacute;ique) : mol&eacute;cule qui est pr&eacute;sente dans les cellules de tout &ecirc;tre vivant et qui contient l&rsquo;information essentielle au d&eacute;veloppement et au fonctionnement de l&rsquo;organisme.ARN (acide ribonucl&eacute;ique) : mol&eacute;cule pr&eacute;sente dans les cellules qui permet de lire l&rsquo;information contenue dans l&rsquo;ADN pour produire les prot&eacute;ines qui r&eacute;gulent certaines fonctions cellulaires. G&egrave;ne : fragment d&rsquo;ADN renfermant une information g&eacute;n&eacute;tique essentielle &agrave; la production de prot&eacute;ines. Lorsqu&rsquo;un g&egrave;ne est manquant ou d&eacute;fectueux, les prot&eacute;ines concern&eacute;es sont alors mal ou pas du tout produites, ce qui peut entrainer certaines maladies g&eacute;n&eacute;tiques. G&eacute;nome humain : ensemble du mat&eacute;riel g&eacute;n&eacute;tique port&eacute; par l&rsquo;ADN et situ&eacute; sur les 23 paires de chromosomes transmis par les parents biologiques. G&eacute;nome Qu&eacute;bec compare le g&eacute;nome a un livre de recettes, et les g&egrave;nes aux recettes qui permettent de fabriquer un &eacute;l&eacute;ment cl&eacute; servant au fonctionnement de l&rsquo;organisme. &Agrave; lire aussi : Tests g&eacute;n&eacute;tiques pour connaitre ses pr&eacute;dispositions &agrave; certaines maladies : une bonne id&eacute;e ? et Faut-il craindre les nouveaux OGM ?

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