Tarifs douaniers : l’impact sur votre portefeuille en 7 questions
Tarifs douaniers, contre-tarifs… Vous entendez et lisez ces mots dans les médias depuis des mois. Mais savez-vous, concrètement, ce qu’ils changent dans votre vie, en tant que consommateur au Québec ?
Pas facile à suivre, cette guerre tarifaire déclenchée par le président des États-Unis, Donald Trump, avec le reste du monde, incluant le Canada.
Au-delà des enjeux politiques et économiques (pour les entreprises d’ici qui exportent chez nos voisins du Sud et celles qui importent des produits américains), avez-vous une idée de l’impact réel sur votre portefeuille ? L’épicerie coûte plus cher, certes, mais encore ?
Afin d’y voir plus clair, nous avons posé sept questions à une experte, Me Geneviève Gagné, pour démystifier la mécanique des tarifs et essayer d’évaluer les conséquences sur votre portefeuille.

- Geneviève Gagné est avocate à Québec en commerce international au cabinet TCJ (Therrien Couture Joli-Cœur). Elle est aussi membre du comité de veille TCJ sur les tarifs douaniers, en compagnie de plusieurs autres experts, dont l’ancien premier ministre Jean Charest. Photo : courtoisie
1. Le président américain Donald Trump a mis sa menace à exécution, le 1er août dernier, en faisant passer de 25 % à 35 % les droits de douane sur les produits canadiens qui ne sont pas assujettis à l’Accord Canada―États-Unis―Mexique. De quoi parle-t-on au juste ? Quelle est la proportion de produits visés, quels sont-ils et lesquels ne le sont pas ?
On parle des produits qui ne se qualifient pas comme étant d’origine nord-américaine selon l’ACEUM, l’accord de libre-échange qui unit le Canada, les États-Unis et le Mexique. Un tarif général de 35 % s’applique désormais. Certains produits comme l’acier, l’aluminium et les automobiles sont visés par des droits de douane spéciaux.
La grande majorité de nos exportations aux États-Unis, soit environ 95 %, peut techniquement traverser la frontière sans tarifs. En pratique cependant, il faut prouver par une certification d’origine que le produit est bel et bien canadien. Ce processus peut être complexe et coûteux, si bien qu’il était souvent plus rentable jusqu’à récemment de payer les tarifs relativement bas de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), applicables par défaut. Le U.S. Census Bureau indique ainsi qu’en 2024, seulement 38 % des biens importés du Canada l’ont été sous l’ACEUM. Aujourd’hui, on estime qu’environ 50 % des biens sont exportés avec la certification d’origine requise par l’ACEUM.
Les principales exportations canadiennes aux États-Unis sous l’ACEUM qui ne font pas l’objet de tarifs spéciaux incluent les produits agricoles, les métaux et minerais, la machinerie, etc. Pour ceux dont la chaîne d’approvisionnement est complexe et/ou mondiale, comme les secteurs aérospatial et pharmaceutique, il peut être difficile de se qualifier.
2. Le Canada avait imposé des mesures de rétorsion [contre-tarifs] l’hiver dernier en réaction aux premières annonces du président des États-Unis, mais la situation a évolué beaucoup depuis le mois de février. Qu’en est-il à l’heure actuelle ? Y’a-t-il toujours des contre-tarifs sur les produits américains qui entrent au Canada ?
Oui, sur les importations d’acier et d’aluminium. Les autres produits américains conformes à l’ACEUM sont exonérés à partir du 1er septembre 2025. Le premier ministre Mark Carney en a fait l’annonce le 22 août 2025. Cela soulagera d’autant les consommateurs canadiens. Car ce sont ces contre-tarifs qui les touchent le plus directement. Il ne faut pas oublier en effet que les tarifs décrétés par M. Trump concernent d’abord les consommateurs américains, car ils sont appliqués lors de l’importation aux États-Unis.
Au Canada, une surtaxe de 25 % était jusqu’à tout récemment perçue sur plusieurs importations américaines, dont certains produits alimentaires, appareils électroménagers, meubles, boissons alcoolisées, etc. Ces contre-tarifs s’appliquent sur les produits américains neufs ou usagés qui dépassent la limite d’exemption personnelle [entre 200 $ et 800 $ selon la durée d’absence du Canada] ainsi que sur la plupart des achats en ligne.
3. Selon l’Institut économique de Montréal [IEDM], les ménages canadiens auraient déjà assumé, en moyenne, un coût de 91,50 $ attribuable aux contre-tarifs pour les seuls mois d’avril et mai. Pourquoi imposer une telle mesure si elle nuit davantage aux consommateurs canadiens et québécois ?
Parce qu’une guerre commerciale n’est pas profitable aux consommateurs. Comme le rappelle souvent notre associé Jean Charest, membre du Conseil du premier ministre sur les relations canado-américaines, nous ne sommes pas dans un scénario de bonnes solutions, mais de moins pires. Le Canada a ainsi pris la position que le prix d’agir était moins élevé que celui de ne rien faire. Le but ultime est de créer des conditions de négociation favorables, qui permettront d’aborder les vrais enjeux et de convenir d’un cadre stable pour les relations commerciales.
L’annonce de l’abolition d’une partie des contre-tarifs par le Canada est, bien sûr, une excellente nouvelle en ce qu’une vaste gamme de biens de consommation en bénéficiera. Il faut encore attendre les détails de mise en oeuvre, qui ne sont pas connus au moment de publier ces lignes. L’évolution de la situation est également à surveiller. On ne peut pas exclure que des contre-tarifs soient de nouveau imposés si cela devait redevenir globalement plus avantageux pour le Canada.
Dans tous les cas, le consommateur canadien peut se consoler en se comparant. L’IEDM a effectué son calcul en répartissant l’augmentation des revenus de droits de douane, assimilés à des taxes, sur l’ensemble des ménages canadiens. Le Budget Lab de l’université de Yale a effectué un calcul similaire et estime que les ménages américains ont quant à eux été touchés à hauteur d’environ 3300 $ [2400 $ US].
Les consommateurs disposent aussi de certains moyens pour influencer leur situation, dont la reconsidération de leurs habitudes. Certains pourraient, par exemple, avoir passé du jus d’orange américain au jus de pomme canadien et s’en trouver autant satisfaits – au point, peut-être, de maintenir ce choix. Nous savons également qu’en achetant canadien, nous stimulons l’économie locale. C’est dans la somme des gestes posés dans l’exercice de leur pouvoir d’achat que les consommateurs font une différence.
4. Avez-vous des exemples précis de produits ou de secteurs de l’économie [comme celui de l’alimentation ou de l’automobile] affectés plus durement et pour lesquels la guerre tarifaire a conduit à une hausse des prix au Québec ?
L’automobile ressort comme premier exemple. Ceci non seulement à cause du poids de ce marché, mais aussi parce qu’il est doublement impacté avec les tarifs sur l’acier et l’aluminium, qui eux demeurent des deux côtés de la frontière. Il y a aussi le fait que les pièces composant le produit fini traversent plusieurs fois la frontière.
Les secteurs de l’alimentation, les vêtements et certains matériaux de construction sont également particulièrement touchés. La tension se relâchera toutefois avec l’abolition des contre-tarifs sur les produits américains conformes à l’ACEUM.
Il s’agit quand même d’une bonne occasion de se familiariser avec le concept d’origine des produits que nous consommons. Par exemple, une chemise portant la mention « fait en Italie », ne sera pas soumise à des droits de douane même si vous l’importez des États-Unis et que des contre-tarifs sont en vigueur.
5. La chaîne d’approvisionnement d’un produit est complexe et de nombreux facteurs peuvent influencer le prix affiché, au bout de ladite chaîne, par un marchand. Y a-t-il une façon, pour le consommateur, de connaître ou de calculer en cents ou en dollars l’impact réel de la guerre tarifaire sur le coût d’un produit acheté en ligne ou au magasin ?
Il existe des modélisations mathématiques permettant de calculer l’effet des politiques commerciales. Elles sont toutefois maîtrisées par des experts et dépendent de plusieurs variables.
On peut penser à la portion des coûts absorbée par la chaîne d’approvisionnement versus celle relayée au consommateur, les mouvements du dollar canadien, les réactions des banques centrales, les subventions gouvernementales, les contre-tarifs, etc. Cela est différent pour chaque catégorie de produits et il est donc difficile de généraliser.
6. Les entreprises canadiennes qui ont réduit leurs exportations aux États-Unis risquent de se tourner vers le marché local pour écouler leurs produits. Croyez-vous qu’elles maintiendront des prix très élevés, chez nous, afin de compenser les pertes subies au sud de la frontière? Autrement dit, le consommateur québécois est-il ou sera-t-il pénalisé quand même par des hausses de prix, même si Ottawa n’impose pas de contre-tarifs ?
On peut s’attendre à ce que les entreprises canadiennes fassent ce qui est possible pour réduire l’impact des tarifs sur leurs opérations. Cela inclut l’augmentation des prix sur le marché intérieur lorsque les conditions le permettent, sachant que cela a un impact sur la demande et peut ultimement s’avérer contre-productif. La diversification des marchés d’exportation reste une solution de choix.
Mais il faut quand même anticiper une hausse générale des prix au vu du contexte inflationniste. Le marché s’autorégule. Si les prix à l’importation sont plus élevés, les producteurs locaux augmentent les leurs, jusqu’à ce que l’effet des tarifs soit annulé et que l’importation redevienne rentable. Il y a aussi les effets indirects. Par exemple, si le prix des pièces automobiles augmente, cela aura un impact sur celui des réparations qui, à son tour, influencera à la hausse le coût des primes d’assurances.
Il y a aussi le fait que les objectifs nommés par Donald Trump avec les droits de douane se contredisent en partie. L’administration américaine veut à la fois augmenter ses revenus pour baisser les impôts et réindustrialiser les États-Unis. Or, les revenus de droits de douane nécessitent que les importations perdurent, ce qui en retour nuit à la réindustrialisation. Cela rend plus délicate la lecture de ce que veut vraiment M. Trump. L’économie enseigne pourtant qu’il y a un lien entre la prévisibilité et la croissance. Des études concluent qu’il y a plus de gains à réduire l’imprévisibilité dans les changements de tarifs que de réduire les tarifs eux-mêmes.
7. À quoi peut-on s’attendre dans les prochaines semaines et les prochains mois ?
À ce que l’incertitude règne encore quelque temps. Surtout que la relation commerciale entre le Canada et les États-Unis n’est qu’un élément dans le vaste rebrassage des cartes de la géopolitique auquel nous assistons actuellement. Notamment avec la Chine, passée du statut « d’usine du monde » à celui de « leader technologique » capable de rivaliser avec les États-Unis. Le Canada est, quant à lui, en train de redéfinir sa place sur l’échiquier mondial.
À plus long terme, l’électrochoc trumpiste s’avérera vraisemblablement salutaire pour le Canada. C’est également le temps d’améliorer la productivité et les conditions du commerce interprovincial. Des études démontrent que les obstacles non tarifaires à l’intérieur du Canada, tels les normes techniques, permis, monopoles provinciaux, etc., équivalent à des tarifs entre 7 % et 20 %.
Pour les consommateurs, l’important en ce moment est de demeurer vigilants. Quelques rappels à cet égard pour les achats en ligne, l’une des principales sources d’écueils pour eux :
- Le commerçant doit indiquer le prix final des produits avant de conclure la transaction. Cela inclut toutes les taxes, les frais de transport et une description de tous les frais supplémentaires qui pourraient être exigibles par un tiers (comme les droits de douane) et dont le montant ne peut être raisonnablement calculé avant l’arrivée du produit à la frontière. (voir l’article 54.4 f) de la Loi sur la protection du consommateur)
- La devise doit également être indiquée. Vérifiez vos relevés de carte de crédit pour vous assurer que vous n’avez pas acheté en dollars américains ce que vous croyiez être le prix en dollars canadiens.
- Conservez une copie de la facture et/ou faites une capture d’écran de ce qui est affiché lors de la finalisation de la transaction. Attention, les deux diffèrent parfois.
- Si des sommes supplémentaires sont facturées sans droit, les consommateurs ont accès au mécanisme de rétrofacturation pour les achats effectués par carte de crédit.
- Prenez le temps de vous informer raisonnablement. Le site internet et la ligne téléphonique de l’Office de la protection du consommateur (OPC) fournissent plusieurs réponses.
- Consultez un avocat ou les ressources d’accès à la justice du Barreau du Québec avant d’entreprendre tout recours. Les gestes posés (ou pas) en début de processus sont déterminants pour la suite.
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