Plus on compte d’autos électriques sur la route, meilleure est la qualité de l’air. Assez logique, non? C’est une bonne nouvelle, mais pas encore pour tous : actuellement, ce sont surtout les résidents des quartiers les plus riches qui en profitent en premier. Les autres peuvent attendre.
C’est ce qu’on pourrait appeler de « l’éco-embourgeoisement ».
Je vais emprunter une expression au libéralisme, qui a développé la théorie du ruissellement. Selon cette vision économique, la richesse produite pour les possédants est censée couler du haut vers le bas de la société. De la même manière, avec l’électrification des transports, plusieurs pensent qu’on va assister à un « ruissellement » des bienfaits liés au changement de mode d’énergie, du haut vers le bas de l’échelle sociale.
Ce mouvement se fait encore attendre.
Le décalage dans les bienfaits de l’électrification du transport est une des critiques entendues à Montréal ou à Québec à propos de l’implantation de nouveaux systèmes de transports collectifs et électrifiés. Les projets qui avancent privilégient des quartiers où les salaires moyens sont plus élevés et où les solutions de rechange à la voiture solo à moteur thermique sont plus facilement accessibles qu’ailleurs.
À Montréal, le contraste semble évident. Le Réseau express métropolitain (REM) connectera la ville de Brossard, sur la Rive-Sud, au centre-ville de Montréal et éventuellement à l’ouest de l’île. Toutes des régions métropolitaines relativement cossues. À l’inverse, le projet du « REM de l’Est » prend plus de temps à voir le jour. L’Est de l’île est généralement présenté comme une zone métropolitaine moins riche et moins développée économiquement. Qui plus est, le prochain REM dans l’Est ne déposerait pas ses usagers (venant de quartiers moins nantis) au centre-ville, mais quelque part à l’Est de l’ile à une station de métro, s’il faut en croire les échos concernant le futur tracé (les détails seront probablement connus en juin).
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Électrique et propre
Un des objectifs de l’électrification des transports est de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Assez logiquement, des chercheurs de l’Université de Californie à Berkeley disent que l’air va très rapidement devenir plus respirable là où la voiture électrique s’impose.
Ces chercheurs américains ont d'ailleurs découvert un lien entre la présence accrue de véhicules électriques dans une zone urbaine donnée et la réduction de maladies respiratoires ou d’allergies dans cette même zone.
En utilisant des statistiques liées à l’immatriculation de véhicules entre 2010 et 2021 en fonction des codes postaux, puis en les combinant aux données provenant du réseau de la santé, les experts ont remarqué une amélioration rapide de la santé de la population, là où il y a plus de véhicules électrifiés.
Les véhicules électriques, qui remplacent des véhicules à essence ou au diesel, contribuent à réduire sur-le-champ la présence dans l’air ambiant de particules fines, de gaz carbonique, d’oxyde d’azote et d’autres gaz qui affectent plus directement la santé humaine.
Inégalités climatiques
L’équipe de Berkeley a toutefois découvert autre chose : l’électrification des véhicules ne signifie pas pour autant que l’amélioration de la qualité de l’air soit égale dans tous les quartiers. En fait, elle progresse plus lentement dans les quartiers plus pauvres. Trois phénomènes seraient en cause.
D’abord, les quartiers moins nantis sont souvent situés près des plus grandes autoroutes, où le trafic émet d’autres types de pollution provenant de l’usure des pneus, des freins ou de la route elle-même. Dans ces quartiers, ce n’est pas seulement l’énergie utilisée par les véhicules mais aussi leur nombre qui a un impact sur la qualité de l’air. Tant qu’il restera beaucoup de véhicules sur les grands axes proches des quartiers résidentiels, les polluants autres que les GES continueront d’être très présents.
Les chercheurs ajoutent que la demande accrue en électricité entraîne une hausse de production dans des centrales électriques, qui sont pour la plupart très polluantes. Or, là aussi, ces centrales sont situées à proximité de quartiers moins cossus. Ces quartiers ne voient donc pas les mêmes bienfaits à l’électrification que leurs voisins plus éloignés des lieux de production.
Enfin, concluent les spécialistes, il ne faut pas oublier le prix élevé des véhicules électriques neufs. Les ménages qui ont des revenus inférieurs n’ont pas nécessairement les moyens de troquer leur voiture à essence pour un modèle électrique. L’électrification de leur parc automobile va donc aller à une cadence plus lente que dans des quartiers plus cossus.
Évidemment, l’électrification des transports n’en est qu’à ses débuts. Certains en ressentent déjà les avantages. Mais s’il n’est pas fait adéquatement, ce virage électrique pourrait accentuer des inégalités entre les zones urbaines plus riches et plus pauvres des villes.
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