Chaque printemps, le débat se polarise encore un peu plus entre les pro-vélos et les pro-autos. Les cyclistes s'emportent contre les automobilistes omniprésents, qui à leur tour pestent contre ceux qui considèrent les chemins de la province comme leur propre petit Tour de France. On s'indigne d'un côté d'un réseau routier qui néglige les vélos, alors que de l'autre, on déplore la perte de voies réservées ou d'espaces de stationnement. Une véritable guerre de tranchées!
Voici le même problème, vu sous un autre angle: et si nous souffrions, collectivement, d'un problème de poids?
Je serais prêt à avancer que, globalement, il existe une part égale de cyclistes dangereux, au Québec, que d'automobilistes. Ou de piétons. On a plus facilement tendance à blâmer les automobilistes parce que, naturellement, ils ont au-delà d'une tonne métrique d'acier à leur disposition pour amplifier la gravité de leurs gestes (ou de leur maladresse, peu importe).
La même logique vaut entre un cycliste et un piéton. Ce dernier sortira plus amoché d'un accrochage, car il a quelques dizaines de kilos d'acier, d'aluminium ou de graphite en moins.
Culture de gros
C'est culturel, nous percevons la taille des objets que nous possédons comme un signe de notoriété et d'importance: grosse maison, grosse télé, gros char, grosse bécane… grosse vie. Si on suit cette idée jusqu'au bout, les utilisateurs de la voie publique les plus imposants seront ceux qui, par conséquent, devraient avoir priorité. Ils sont big!
Est-ce que ça explique pourquoi certains VUS exécuteront un demi-tour à un endroit contre-indiqué? Ou pourquoi une dame garée en bordure de rue n'imagine pas qu'un vélo puisse surgir alors qu'elle ouvre sa portière, sans avoir jeté un coup d'œil préalable à son rétroviseur? Ou pourquoi, encore, un cycliste sur son vélo à pneus surdimensionnés fera tout en son possible pour effrayer les randonneurs devant lui, sur les sentiers d'un centre de plein air.
Aux plus petits de faire attention, c'est pas compliqué!
Imaginons plutôt l'approche inverse. Inculquons aux plus «gros» la responsabilité des plus «petits». Ça a l'air banal, mais ça devrait être la première chose qu'on apprend quand on prend le volant ou qu'on enfourche une bicyclette pour la première fois. Oui, dès le plus jeune âge.
Car à mesure que la mobilité s'éclate et que la voie publique devient multimodale, ce sera le seul moyen de réduire le nombre d'accrochages à leur plus petit nombre, voire de les éliminer complètement du portrait.
C'est faisable! Il faut juste y mettre l'effort. La preuve: à Montréal, où tous se côtoient de très près, la ville n'a comptabilisé aucun décès de cycliste causé par une voiture, l'an dernier. C'est la première fois, ça demeure anecdotique, à moins qu'elle amorce une tendance à venir. Mais durant cette même année 2019, on a aussi atteint un sommet de 10 ans du nombre de piétons tués par des véhicules, soit 24.
Du côté du vélo, même si le nombre d'accidents fluctue, il est en hausse régulière depuis une vingtaine d'années, au Canada. Ça s'explique de diverses façons: la saison de vélo est de plus en plus longue, davantage de gens se déplacent à vélo au quotidien, etc.
Un problème de poids
Les cyclistes ne sont pas les plus imposants usagers de la route, ce qui accroît leur exposition au risque. Sur l'asphalte, ils sont deux fois plus susceptibles d'avoir un accident que s'ils sont en sentier ou dans la montagne, selon des chiffres publiés l'an dernier par l'Institut américain de la santé.
Une fois en montagne, par contre, c'est le vélo qui domine. La présence soutenue de nombreux cyclistes sur les sentiers ces derniers mois (ceux qui n'étaient pas fermés en raison de la COVID-19) a provoqué une augmentation du nombre d'accrochages (et de plaintes) avec des piétons qui empruntent également ces voies publiques. Résultat: certaines municipalités comptent bannir les vélos de leurs sentiers.
Bref, aucun moyen de transport n'a le monopole du danger. Sans doute que si on dressait un modèle mathématique de la mobilité au sens large, on finirait avec une courbe de distribution à peu près comparable dans tous les cas: une petite part équivalente d'automobilistes, de cyclistes et des autres modes de déplacement se comporte de façon risquée. Mais tous n'ont pas le même poids.
À partir du moment où la taille relative du véhicule devient une responsabilité plutôt qu'un privilège, ça change la donne. Aborder la question sous cet ange, ça nous sort aussi de cette spirale sans fin qui polarise de plus en plus autos et vélos, mais qui ne résout rien.