Santé des femmes: ces douleurs tout sauf imaginaires

Sommaire de l&rsquo;article Douleurs pelviennes : m&eacute;connues, mais r&eacute;panduesDouleurs pelviennes : des diagnostics difficilesDouleur chez les femmes : ce n&rsquo;est pas dans la t&ecirc;teViolences obst&eacute;tricales et gyn&eacute;cologiquesEn finir avec la honte Sylvie est atteinte de lichen scl&eacute;reux depuis plus de 20 ans, une maladie auto-immune qui touche environ 1 &agrave; 2 % des femmes. Chez cette retrait&eacute;e au d&eacute;but de la soixantaine, l&rsquo;affection prend une forme particuli&egrave;rement agressive.Au fil des ann&eacute;es, toute la r&eacute;gion g&eacute;nitale et du p&eacute;rin&eacute;e a &eacute;t&eacute; atteinte : peau qui blanchit, se craque et se fissure, formation de plaies et d&rsquo;ulc&egrave;res, etc. &laquo; Je me suis d&eacute;j&agrave; retrouv&eacute;e &agrave; l&rsquo;h&ocirc;pital avec tellement d&rsquo;ulc&egrave;res qu&rsquo;ils m&rsquo;ont install&eacute; une sonde, parce que je n&rsquo;&eacute;tais m&ecirc;me plus capable d&rsquo;uriner tellement &ccedil;a faisait mal &raquo;, raconte-t-elle.La vulve de Sylvie a &eacute;t&eacute; transform&eacute;e par la maladie. &laquo; Je n&rsquo;ai plus de petites l&egrave;vres : elles ont &eacute;t&eacute; &ldquo;mang&eacute;es&rdquo; par le lichen. Je n&rsquo;ai plus de capuchon de clitoris [le gland, la partie externe], on oublie &ccedil;a, explique-t-elle. Et &ccedil;a a fait beaucoup de dommages &agrave; l&rsquo;entr&eacute;e du vagin. &raquo;Sylvie doit entre autres utiliser un m&eacute;dicament sous forme de cr&egrave;me et faire attention &agrave; son niveau de stress. Sa vie sexuelle avec son conjoint et son propre plaisir ont &eacute;videmment &eacute;t&eacute; affect&eacute;s.Puisque la maladie &eacute;tait avanc&eacute;e lors de sa premi&egrave;re consultation, en 2002, le diagnostic a &eacute;t&eacute; rapide, mais les traitements, pas ad&eacute;quats pour autant. &laquo; Si j&rsquo;avais eu les bons soins d&egrave;s le d&eacute;part, je serais peut-&ecirc;tre moins &ldquo;magan&eacute;e&rdquo; aujourd&rsquo;hui &raquo;, analyse Sylvie, en soulignant les multiples et tr&egrave;s douloureuses biopsies qu&rsquo;elle a subies.Depuis quelques ann&eacute;es, heureusement, elle est prise en charge par une sp&eacute;cialiste &ndash; au priv&eacute; &ndash;, et c&rsquo;est le jour et la nuit. Ce suivi est essentiel pour pr&eacute;server sa qualit&eacute; de vie et surveiller la progression de la maladie, consid&eacute;r&eacute;e comme un &eacute;tat pr&eacute;canc&eacute;reux. Une physioth&eacute;rapeute en r&eacute;&eacute;ducation p&eacute;rin&eacute;ale et pelvienne l&rsquo;a aussi beaucoup aid&eacute;e.Sylvie n&rsquo;est pas la seule &agrave; souffrir des lacunes en sant&eacute; g&eacute;nitopelvienne. L&rsquo;autrice Val&eacute;rie Bid&eacute;gar&eacute; raconte, dans son livre C&rsquo;est dans ta t&ecirc;te, publi&eacute; en 2023, sa longue et difficile qu&ecirc;te pour arriver &agrave; son diagnostic d&rsquo;endom&eacute;triose.Elle tente en outre, &agrave; travers les t&eacute;moignages d&rsquo;autres femmes et les propos d&rsquo;experts, de comprendre ce corps tant n&eacute;glig&eacute;. &laquo; Un ut&eacute;rus, un vagin ou des ovaires sont des parties du corps au m&ecirc;me titre qu&rsquo;une gorge, des oreilles ou un bras &raquo;, &eacute;crit-elle dans son essai, d&eacute;courag&eacute;e de constater les retards en la mati&egrave;re. &laquo; J&rsquo;en ai entendu des histoires d&rsquo;horreur quand j&rsquo;ai fait les entrevues pour le livre, et j&rsquo;en entends encore &raquo;, soutient-elle.Douleurs pelviennes : m&eacute;connues, mais r&eacute;panduesLes douleurs pelviennes chroniques touchent jusqu&rsquo;&agrave; 25 % des femmes, selon M&eacute;lanie Morin, professeure titulaire &agrave; l&rsquo;&Eacute;cole de r&eacute;adaptation de l&rsquo;Universit&eacute; de Sherbrooke et directrice du Laboratoire de recherche en sant&eacute; pelvienne.&laquo; C&rsquo;est plus important sur le plan de la pr&eacute;valence que les douleurs au dos chroniques, rench&eacute;rit sa cons&oelig;ur Marie-&Egrave;ve Prince, physioth&eacute;rapeute en r&eacute;&eacute;ducation p&eacute;rin&eacute;ale et pelvienne. Malheureusement, c&rsquo;est encore tr&egrave;s tabou. &raquo;Parmi les causes de ces douleurs r&eacute;currentes, pensons &agrave; l&rsquo;endom&eacute;triose, au lichen scl&eacute;reux et au syndrome de congestion pelvienne, pour n&rsquo;en citer que quelques-unes.&laquo; L&rsquo;endom&eacute;triose touche une femme sur dix &raquo;, indique la Dre Sarah Maheux-Lacroix, gyn&eacute;cologue et clinicienne-chercheuse au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Qu&eacute;bec. Une pr&eacute;valence comparable &agrave; celle du diab&egrave;te, souligne-t-elle. En revanche, &laquo; l&rsquo;endom&eacute;triose a vraiment &eacute;t&eacute; n&eacute;glig&eacute;e. &raquo; Il reste beaucoup &agrave; faire pour mieux comprendre la maladie.Les douleurs vulvaires sans cause &eacute;vidente sous-jacente qui durent depuis au moins trois mois sont quant &agrave; elles rassembl&eacute;es sous le grand chapeau de la vulvodynie. En fonction des &eacute;tudes, elles affectent de 8 &agrave; 17 % des femmes, d&rsquo;apr&egrave;s M&eacute;lanie Morin. &laquo; Le simple toucher peut provoquer une douleur alors que tout a l&rsquo;air sain au niveau du tissu &raquo;, ajoute la Dre Maheux-Lacroix. Les diff&eacute;rentes formes de vulvodynie sont g&eacute;n&eacute;ralement associ&eacute;es aux douleurs sexuelles. La vestibulodynie provoqu&eacute;e, qui se traduit par des douleurs vives &agrave; l&rsquo;entr&eacute;e du vagin lors de la p&eacute;n&eacute;tration ou l&rsquo;insertion d&rsquo;un objet comme un tampon, serait la plus r&eacute;pandue.Douleurs pelviennes : des diagnostics difficilesPlusieurs de ces pathologies sont toujours difficiles &agrave; diagnostiquer ou m&ecirc;me &agrave; expliquer, selon la Dre Maheux-Lacroix, malgr&eacute; les avanc&eacute;es des derni&egrave;res ann&eacute;es. Autre hic&thinsp;? L&rsquo;accessibilit&eacute; restreinte.&laquo; On sait que l&rsquo;acc&egrave;s &agrave; la r&eacute;sonance magn&eacute;tique, par exemple, est difficile &raquo;, dit-elle. De son c&ocirc;t&eacute;, l&rsquo;&eacute;chographie sp&eacute;cialis&eacute;e avanc&eacute;e en endom&eacute;triose permet de mieux voir les l&eacute;sions, mais elle n&rsquo;est accessible que dans certains centres. Et il y a de longs d&eacute;lais d&rsquo;attente. Pour ces raisons, et en fonction de la pr&eacute;sence ou non de sp&eacute;cialistes, les soins re&ccedil;us varient en fonction de votre lieu de r&eacute;sidence.La gyn&eacute;cologue souligne aussi le sous-financement en sant&eacute; de la femme. Elle remarque seulement depuis peu des concours offrant des subventions autres que celles destin&eacute;es &agrave; la recherche en obst&eacute;trique ou en infertilit&eacute;, et dit avoir &eacute;t&eacute; souvent p&eacute;nalis&eacute;e par les choix limit&eacute;s : &laquo; soit il n&rsquo;y avait aucune possibilit&eacute; de financement, soit je postulais &agrave; un concours pas vraiment adapt&eacute; &agrave; moi, et &ccedil;a m&rsquo;enlevait des chances d&rsquo;avoir des fonds &raquo;.&laquo; Je sens qu&rsquo;il y a peut-&ecirc;tre un vent de changement qui s&rsquo;en vient, mais on n&rsquo;est pas encore rendu l&agrave; &raquo;, r&eacute;sume-t-elle.Douleurs chez les femmes : ce n&rsquo;est pas dans la t&ecirc;teSi vous avez des douleurs pelviennes chroniques, mais qu&rsquo;aucune cause pr&eacute;cise n&rsquo;est d&eacute;termin&eacute;e, cela ne signifie pas que c&rsquo;est le fruit de votre imagination, s&rsquo;entendent toutes les expertes consult&eacute;es.Les douleurs menstruelles, en particulier, ont tendance &agrave; &ecirc;tre banalis&eacute;es, soul&egrave;ve la Dre Maheux-Lacroix. Pourtant une douleur invalidante, contre laquelle la prise d&rsquo;analg&eacute;siques est insuffisante, n&rsquo;est pas normale.Cela dit, &laquo; les m&eacute;decins doivent proc&eacute;der par diagnostics d&rsquo;exclusion, fait remarquer Marie-&Egrave;ve Prince, donc &ccedil;a prend plusieurs &eacute;tapes et tests pour r&eacute;ussir &agrave; &eacute;liminer toutes les possibilit&eacute;s &raquo;. Ce qui peut s&rsquo;&eacute;chelonner sur des ann&eacute;es. Et vous pourriez devoir visiter de nombreux m&eacute;decins et sp&eacute;cialistes avant d&rsquo;en trouver un qui connait bien ces pathologies et leurs traitements. Des d&eacute;marches souvent lourdes, d&eacute;plorent les femmes avec lesquelles nous avons discut&eacute;.En attendant, pour soigner la plupart des douleurs pelviennes chroniques, une approche multidisciplinaire en physioth&eacute;rapie, avec une sp&eacute;cialiste en r&eacute;&eacute;ducation p&eacute;rin&eacute;ale et pelvienne, et en th&eacute;rapie cognitivo-comportementale est recommand&eacute;e et a prouv&eacute; son efficacit&eacute;.Sophie Bergeron, professeure au D&eacute;partement de psychologie de l&rsquo;Universit&eacute; de Montr&eacute;al et directrice du Laboratoire d&rsquo;&eacute;tude de la sant&eacute; sexuelle, souligne cependant l&rsquo;importance de consulter un professionnel sp&eacute;cialis&eacute; en douleur g&eacute;nitopelvienne. &laquo; Un psychologue ou un sexologue qui ignorent la douleur physique puis qui cherchent des causes, par exemple, dans l&rsquo;enfance de la personne, &ccedil;a peut &ecirc;tre tr&egrave;s invalidant &eacute;motionnellement et dommageable &raquo;, illustre l&rsquo;experte.Violences obst&eacute;tricales et gyn&eacute;cologiques&laquo; Il y a encore beaucoup de myst&egrave;re rattach&eacute; aux douleurs pelviennes et aux pathologies &raquo;, souligne la Dre Maheux-Lacroix. Elle donne l&rsquo;exemple de l&rsquo;endom&eacute;triose, dont des l&eacute;sions superficielles peuvent causer &eacute;norm&eacute;ment de douleur chez certaines femmes, alors que des l&eacute;sions profondes, tr&egrave;s impressionnantes &agrave; l&rsquo;&oelig;il, n&rsquo;en engendrent aucune chez d&rsquo;autres. Cela d&eacute;montre, selon la gyn&eacute;cologue, que les syst&egrave;mes de signaux de la douleur peuvent diff&eacute;rer significativement en fonction des patientes.Dans les soins gyn&eacute;cologiques, pourtant, la banalisation de la douleur est frappante, d&rsquo;apr&egrave;s Audrey Ferron Parayre, professeure agr&eacute;g&eacute;e &agrave; la Facult&eacute; de droit de l&rsquo;Universit&eacute; d&rsquo;Ottawa, dont les recherches portent sur les violences obst&eacute;tricales et gyn&eacute;cologiques (VOG). &laquo; On pense que la femme exag&egrave;re, ou elle va dire qu&rsquo;elle a mal, et on va juste compl&egrave;tement l&rsquo;ignorer. C&rsquo;est quelque chose qui est beaucoup rapport&eacute; dans nos enqu&ecirc;tes&thinsp;; c&rsquo;est troublant. &raquo;Environ 25 &agrave; 30 % des femmes vont vivre de la VOG, mentionne l&rsquo;experte. Des chiffres qu&rsquo;elle qualifie en outre de prudents. M&ecirc;me s&rsquo;il est difficile d&rsquo;obtenir des donn&eacute;es exactes, souligne-t-elle, les femmes autochtones ou racis&eacute;es en sont plus souvent victimes, puisqu&rsquo;aux biais sexistes et de genre s&rsquo;ajoutent les pr&eacute;jug&eacute;s discriminatoires et le racisme syst&eacute;mique.La st&eacute;rilisation impos&eacute;e de femmes des Premi&egrave;res Nations et d&rsquo;Inuites &ndash; dont le plus r&eacute;cent cas document&eacute; date de 2019 &ndash; est le plus scandaleux exemple des VOG au pays. Mais cela peut aussi consister en des touchers vaginaux non consentis ou en l&rsquo;installation d&rsquo;un st&eacute;rilet sans m&eacute;nagement, par exemple.Audrey Ferron Parayre souligne que l&rsquo;enjeu des VOG est particuli&egrave;rement complexe, car il repose sur un syst&egrave;me insidieux. Un syst&egrave;me ancr&eacute; dans de vieux r&eacute;flexes paternalistes, et o&ugrave; les imp&eacute;ratifs en mati&egrave;re de temps, de gestion des ressources et d&rsquo;optimisation de l&rsquo;utilisation des salles d&rsquo;accouchement ou d&rsquo;examen prennent le dessus. &laquo; &Agrave; part dans des cas vraiment exceptionnels, le personnel m&eacute;dical ne le fait pas avec une intention d&rsquo;&ecirc;tre malveillant ou de nuire &raquo;, observe-t-elle.De l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute; de la lorgnette&thinsp;? &laquo; &Ccedil;a demeure subjectif pour la personne qui vit le soin &raquo;, souligne l&rsquo;experte, qui remarque que plus le sujet est abord&eacute; et d&eacute;mystifi&eacute;, plus les t&eacute;moignages s&rsquo;accumulent. &laquo; Mais, finalement, r&eacute;sume-t-elle, &ccedil;a nous ram&egrave;ne &agrave; quelque chose de super simple : la communication, c&rsquo;est-&agrave;-dire informer les patientes de ce qui se d&eacute;roule et obtenir le consentement avant de poser des gestes. &raquo;Des propos qui rejoignent ceux de la DreMaheux-Lacroix, pour qui faire preuve d&rsquo;empathie et de compr&eacute;hension, notamment envers les femmes ayant des traumas ou des craintes, constitue la base. Avant une biopsie, par exemple, &laquo; minimalement, il faut avertir, pr&eacute;parer, en discuter &raquo;, dit-elle.Dans ce cas, entre autres, certaines choses peuvent &ecirc;tre faites en amont, comme recommander la prise pr&eacute;alable d&rsquo;antidouleurs. Or, le besoin d&rsquo;effectuer ce pr&eacute;l&egrave;vement se pr&eacute;sente souvent sur le moment, d&rsquo;apr&egrave;s la gyn&eacute;cologue. &laquo; En g&eacute;n&eacute;ral, chez 95 % des gens, la biopsie dure quelques secondes, &ccedil;a crampe un peu, comme une douleur menstruelle, puis c&rsquo;est termin&eacute; &raquo;, rassure-t-elle. Mais, bien s&ucirc;r, chaque personne est diff&eacute;rente. &laquo; Moi, je leur dis tout le temps : si &ccedil;a ne va pas, vous me le dites, et on arr&ecirc;te. &raquo;En finir avec la honteSi Sylvie a d&eacute;cid&eacute; de parler de sa maladie et des cons&eacute;quences intimes de celle-ci dans cet article, elle en discute &eacute;galement avec les femmes de son entourage, afin de briser le tabou. &laquo; Il faut arr&ecirc;ter d&rsquo;avoir honte, on n&rsquo;a rien fait de mal &raquo;, ass&egrave;ne-t-elle. De cette fa&ccedil;on, elle esp&egrave;re permettre &agrave; d&rsquo;autres femmes d&rsquo;&ecirc;tre plus &agrave; l&rsquo;&eacute;coute de leur corps (de l&rsquo;observer&thinsp;!) et de ne pas attendre aussi longtemps qu&rsquo;elle pour agir.Val&eacute;rie Bid&eacute;gar&eacute; va plus loin : &laquo; Dans le cabinet du m&eacute;decin, si vous ne vous sentez pas &eacute;cout&eacute;e, insistez, vraiment. Il faut aller au bout de cette bataille. &raquo;Pour en savoir plus :Laboratoire de recherche en sant&eacute; pelvienneLaboratoire d&rsquo;&eacute;tude de la sant&eacute; sexuelleProjet de recherche Justice VOG &Agrave; lire aussi : Sant&eacute; des femmes: au-del&agrave; des seins et des organes sexuels, Sant&eacute; des femmes : les in&eacute;galit&eacute;s persistent et Souffrez-vous d&rsquo;endom&eacute;triose&thinsp;?

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