L’incipit de mon premier roman (Iphigénie en Haute-Ville, L’instant même, 2006) se lit comme suit: «Certaines idées, bien qu’excellentes dans leurs énoncés, échouent de façon spectaculaire au test de la réalité.» J’enchaînais avec une (trop) longue digression sur ces institutions, manies, coutumes et produits auxquels on s’accroche malgré leur flagrante inefficacité.
Les produits qui ne fonctionnent pas me fascinent particulièrement. Je ne parle pas de ces gadgets qui disparaissent des étalages aussitôt que les consommateurs constatent leur inutilité ou leur potentiel récréatif limité (salutation aux propriétaires de la toupie de main [fidget spinner] et de Google Glass) ni de ces franches arnaques – comme les lunettes à rayon X ou les agrandisseurs de pénis – ; je parle plutôt de ces produits d’usage courant qui échouent à remplir leurs promesses sans que cela affecte leur popularité.
Dans mon roman, je donnais l’exemple du sirop antitussif, faisant remarquer que personne ne s’est jamais débarrassé d’une toux tenace grâce à une cuillère à soupe de Dimetapp aux raisins. J’aurais aussi bien pu parler des produits antimoustiques. Cela n’a jamais fonctionné et cela ne fonctionnera jamais, mais les gens gardent la foi. Moi-même, au début de l’été, j’ai eu l’idée folle d’aller lire dehors à la brunante en faisant brûler l’un de ces trucs à la citronnelle en forme de rond de poêle.
Évidemment, j’ai dû rentrer au bout de 10 minutes, après que les moustiques m’eurent vidé de la moitié de mon sang. Malgré leur inefficacité absolue, ces machins à la citronnelle se vendent encore dans toutes les bonnes quincailleries. Les dentifrices blanchissants ne fonctionnent pas plus, vous l’avez sans doute constaté avec le temps.
Bref, des tas d’entreprises mettent sur le marché des produits inefficaces sans que cela affecte leur rentabilité, et sans que cela provoque notre indignation. Disons plutôt que notre indignation est à géométrie variable. Nos attentes sont très élevées envers certaines industries – si un fabricant d’automobiles mettait sur le marché une voiture qui ne fonctionne pas, il croulerait sous les actions collectives et ferait faillite en quelques jours –, tandis que certains secteurs jouissent d’une immunité presque totale.
Nous sommes, par exemple, d’une complaisance sans borne pour les fabricants de produits informatiques. Mon antivirus est-il efficace? Il faut croire que oui, mais au fond, je n’en sais rien, puisque je n’ai jamais osé le désactiver pour voir ce qui se passerait.
Par contre, je sais que cette application censée débarrasser mon ordinateur des fichiers inutiles et d’en augmenter la performance ne mise que sur l’effet placebo. Je sais également que le logiciel de traduction le plus populaire sur le marché est incapable de traduire correctement un texte, et qu’un certain logiciel de correction grammaticale vendu à 129,95 $ en sait à peine plus long sur la grammaire que le type qui fait mon changement d’huile.
Pourquoi cette complaisance envers certaines industries? Et pourquoi cet acharnement collectif à utiliser des produits qui ne fonctionnent pas? Difficile à dire. Quelqu’un a écrit que la folie consistait à refaire sans cesse la même chose, mais en espérant un résultat différent. J’espère que c’est faux, parce qu’il est écrit dans le ciel que l’été prochain, j’irai m’installer sur la galerie avec un bon livre en faisant brûler un machin à la citronnelle en forme de rond de poêle, convaincu que les moustiques vont me laisser en paix.