Si la popularité est synonyme de qualité et de mérite, alors le client a toujours raison. Mais si le client a toujours raison, j’ai toujours tort.
Au lendemain du dernier Gala de l’ADISQ, Mario Pelchat exprimait son mécontentement selon lequel l’industrie préférait récompenser des artistes « inconnus du public », comme Klô Pelgag et Hubert Lenoir, au détriment d’artistes populaires tels Guylaine Tanguay, 2Frères et… Mario Pelchat.
« Les artistes populaires, on les tasse dans un coin, on est des ploucs, des quétaines… On nous tasse dans un coin pour ne faire place qu’aux marginaux », tempêtait l’interprète de Pleurs dans la pluie.
Selon lui, les gens qui vendent le plus de disques et qui remplissent les plus grosses salles devraient être ceux qui gagnent les récompenses. Si on réduit son propos à sa plus simple expression, on en arrive à ce fameux credo régissant le monde de la vente au détail : le client a toujours raison. Mais voilà, le client a-t-il réellement toujours raison ?
Avant d’aller plus loin avec cette épineuse question, j’ouvre une parenthèse pour dire que, dans le cas mentionné plus haut, M. Pelchat fait simplement fausse route en s’autoproclamant porte-parole du client. Il suppose que le client préfère Guylaine Tanguay à Klô Pelgag, sous prétexte que la première vend davantage de disques que la seconde.
Consommer la musique
Vrai, Mme Tanguay a vendu deux fois plus de disques que sa jeune consœur. Par contre, à l’heure où j’écris cette chronique, la chanson la plus populaire de Klô Pelgag a cumulé 867 000 écoutes sur Spotify, contre 63 000 pour le plus grand succès de Guylaine Tanguay.
Quand on sait que l’écoute en continu représente, de loin, la façon la plus répandue de consommer de la musique (66 %, contre 18 % pour les ventes d’albums numériques et 15 % pour la vente d’albums physiques), cela nous apprend seulement que Guylaine Tanguay et Klô Pelgag s’adressent à deux clientèles distinctes.
Les gens qui apprécient la musique de Guylaine Tanguay sont des gens plus conservateurs, attachés aux anciennes manières de faire. Et puis, bon, le Wi-Fi ne se rend pas toujours très bien dans les terrains de camping.
Mais revenons à cette vieille scie comme quoi le client serait roi. Suis-je d’accord avec cela ? Non, mais j’admets que je suis mauvais juge. En tant qu’employé d’entretien dans un centre commercial, le client est à mes yeux cette créature protéiforme qui cochonne mes toilettes, remplit mes poubelles, et que je dois contourner mille fois par jour en poussant mon bac roulant.
Mérite artistique
Disons que j’ai une relation amour-haine avec le client, mais sans la composante « amour ». (D’ailleurs, j’ai souvent fait valoir aux gens de l’administration que le centre commercial serait un lieu plus propre et plus agréable si on n’y admettait pas le client, mais on a refusé de m’entendre.)
Cela étant dit, ce n’est pas parce que le client est un être nuisible et malpropre qu’on ne peut pas se fier à son arbitrage pour évaluer le mérite artistique, hein ? Euh… prenons l’exemple du milieu littéraire. Si on laissait le client y distribuer les récompenses, E. L. James (auteure de Fifty Shades of Grey) et Dan Brown (auteur du Code Da Vinci) auraient déjà gagné le Nobel et, bon an mal an, le Goncourt se jouerait entre Marc Levy et Guillaume Musso.
En vérité, le client a presque toujours tort. Mais, comme je le disais plus haut : je suis mauvais juge. J’admets, à la rigueur, qu’il ne faut pas tous les mettre dans le même panier. Peut-être existe-t-il des clients brillants et sympathiques. Peut-être que ceux qui prennent plaisir à hanter les centres commerciaux sont les mêmes qui possèdent un album de Guylaine Tanguay ou un exemplaire de Fifty Shades of Grey.