Récemment, le syndic autorisé en insolvabilité Pierre Fortin et président de Jean Fortin & Associés m’expliquait en entrevue que ses bureaux font face à un phénomène inédit. Parmi ses clients, plusieurs qui n’ont jamais eu de problème d’argent jusqu’ici se retrouvent du jour au lendemain en situation d’endettement. « Il ne s’agit pourtant pas de personnes qui se sont montrées imprudentes financièrement, constate Pierre Fortin. Il n’y a pas eu de changement dans leur situation et elles continuent à toucher un salaire confortable, mais elles doivent faire face à une nouvelle réalité. »
La faute à quoi ? Notamment à l’augmentation rapide des taux d’intérêt hypothécaires qui a littéralement fait exploser leurs paiements mensuels. Même chose pour les prêts-auto qui sont désormais plus gourmands en intérêts. Les automobiles coûtent aussi plus cher, avec des hausses de prix de 25 % pour les véhicules neufs et de 35 % pour les véhicules usagés. Résultat, leur ratio d’endettement qui tournait autour de 31 % s’est retrouvé propulsé à 42 %, et le niveau de leurs dettes relativement bas est dès lors devenu ingérable.
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Pas en récession… pour le moment
Ce portrait illustre à quel point les interventions de la Banque du Canada sur le taux directeur ont un impact sur la population et sur la situation économique en général. Dans les médias, en particulier au Canada anglais et aux États-Unis, un terme revient d’ailleurs régulièrement ces derniers mois, celui de richcession. Ce mot-valise, contraction de riche et récession, a été utilisé pour la première fois par le Wall Street Journal. Selon les journalistes économiques, en raison de ce phénomène, la classe aisée serait davantage frappée par la récession que les moins bien nantis. La raison invoquée : les multiples pertes d’emplois dans le secteur des technologies, segment dans lequel les salaires sont traditionnellement assez élevés.
De leur côté, les travailleurs qui œuvrent dans des domaines moins bien rémunérés, comme la restauration et l’hôtellerie, sont encore très recherchés sur le marché du travail, d’après les mêmes journalistes.
Pour sa part, Pascal Bédard, maître d’enseignement au Département d’économie appliquée de HEC Montréal, demeure dubitatif par rapport à une éventuelle richcession. « Il faut d’abord savoir qu’au Canada, il n’y a pas de définition officielle de ce qu’est une récession, dit-il. Mais on s’entend en général pour dire qu’il s’agit de deux trimestres consécutifs de contraction de l’économie. »
Il ajoute qu’en se fiant aux indicateurs actuels, même si on observe un ralentissement de l’activité, le pays n’est pas officiellement en récession. Et si la récession survient, bien souvent, on ne l’apprend que plus tard, car les données sont colligées par Statistique Canada qui les publie avec un certain délai.
Pascal Bédard apporte une autre nuance. « L’impact des hausses du taux directeur, même s’il commence à se concrétiser, n’est pas encore totalement passé dans le système, analyse-t-il. Cela peut prendre un certain temps, notamment lorsque le gros des hypothèques sera renouvelé. Le choc risque d’être brutal, de même que pour les entreprises qui ont beaucoup emprunté et devront rembourser leurs dettes au cours des prochaines années. » Selon lui, un ralentissement plus costaud devrait se concrétiser plutôt vers 2024 ou début de 2025.
Revoir ses habitudes de consommation
Pierre Fortin recommande à tous, même ceux qui n’éprouvent pas de difficultés financières en ce moment, de revoir leur façon de consommer et de se montrer plus prudents sur le plan budgétaire. « Avant, emprunter de l’argent ne coûtait pas cher, mentionne-t-il. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et ça vient changer la donne. Cette nouvelle réalité va rattraper de nombreuses personnes. »
Si vous êtes propriétaire et que vous n’avez pas encore renouvelé votre hypothèque, M. Fortin recommande de faire des simulations et d’inclure d’ores et déjà l’augmentation à venir dans votre budget.
De plus, en calculant votre ratio d’endettement avec cet outil, par exemple, vous aurez également l’heure juste sur votre situation. Sachez que, si vous obtenez un résultat compris entre 36 % et 40 %, votre ratio est passable. Il est mauvais au-delà de 40 % et devrait vous inciter à agir au plus vite.
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