Car les petits extras proposés sur la chaise, sans crier gare, alourdissent la facture…
Il m’arrive souvent de sortir du salon de coiffure avec le sentiment d’avoir été flouée. Neuf fois sur dix, la facture est plus élevée que prévu, et je me retrouve à la caisse devant le fait accompli.
La plupart du temps, je suis un peu contrariée, mais je n’en fais pas de cas. L’anecdote que je vais vous raconter m’a toutefois donné envie de hausser le ton. C’était l’été dernier, lors d’un rendez-vous pour une coloration racine (la repousse, dans le jargon). Je m’attendais à payer 75 $ pour ce service, comme il est indiqué sur le site du salon. Pas donné, mais j’étais prête à payer un peu plus que d’habitude pour un service de bonne qualité, l’endroit m’ayant été chaudement recommandé par une nièce.
Alors que la coiffeuse appliquait la couleur dans mes cheveux, je lui dis tout bonnement que mes mèches blondes avaient tendance à jaunir durant la saison estivale. « C’est à cause du soleil, me répond-elle, je vais t’ajouter un nuanceur, ça va aider. » Ce qu’elle a omis de me dire, c’est que ça allait me coûter 63 $ de plus, excluant les taxes ! Je l’ai appris en passant à la caisse : ma facture s’élevait à… 162,50 $ ! J’étais évidemment estomaquée, mais je n’ai pas osé exprimer mon indignation. J’ai même laissé un pourboire de 15 $ !
Pourquoi ce malaise à protester ?
D’abord, il y a le contexte. J’ai passé une bonne demi-heure avec cette coiffeuse qui m’a traitée aux p’tits soins. Nous avons même échangé quelques confidences sur nos vies personnelles. À mon avis, ces conversations « amicales », qui sont souvent la norme au salon de coiffure, contribuent à créer une sorte de flou sur la nature (professionnelle/personnelle) de la relation coiffeur/client. C’est sûrement un peu parce que notre échange avait été fort sympathique que je n’ai pas osé casser l’ambiance en lui faisant un reproche, d’autant plus que j’étais très satisfaite de ses services. Pourtant, il était évident qu’elle m’avait manqué de respect en omettant de mentionner le prix du nuanceur.
Il faut dire que j’ai vécu cette expérience dans un salon chic, ayant pignon sur rue dans un magnifique édifice du Vieux-Montréal, avec vue sur le fleuve, et probablement fréquenté par des vedettes. Le genre de commerce glamour où on te traite comme une star et où il serait malvenu de faire de l’esclandre pour une facture trop élevée. L’argent est tabou. Avoir l’air cheap, c’est toujours gênant, et ça l’est encore plus dans un établissement fancy.
Une pratique répandue
Il semble que cette pratique ne soit pas exclusive aux salons haut de gamme. Ça m’est aussi arrivé, à moindre coût toutefois, dans un salon qui affiche sur son site web : « Nous nous engageons à vous communiquer le prix de vos services AVANT de débuter afin d’éviter toute incompréhension. » Pourtant, il y a quelques semaines, un coiffeur de ce salon m’a proposé un « brushing express » pour mieux voir le résultat de la couleur sur mes cheveux secs. Surprise à la caisse : 22 $ pour ce petit extra non désiré!
Vérification faite auprès de mon entourage, plusieurs de mes amies ont vécu des expériences similaires. Et, comme moi, elles n’ont pas osé manifester leur mécontentement, par crainte d’avoir l’air chiches.
À qui la faute ?
À moi d’abord, qui devrais mieux m’affirmer. Mais pas seulement. Selon Gervais Bisson, de l’Association professionnelle des employeurs de la coiffure du Québec, certains patrons exercent une pression sur leurs coiffeurs pour qu’ils fassent grimper la facture afin d’augmenter le chiffre d’affaires de leur commerce. Et les coiffeurs, dit-il, « sont mal formés pour la vente, ils sont mal à l’aise de mentionner ouvertement le coût additionnel d’un traitement qu’ils jugent nécessaire ». Alors, ils le font en catimini. Stéphane Roy, de l’Association coiffure Québec, abonde dans le même sens. À son avis, « ce n’est pas dans l’ADN des coiffeurs de surfacturer. Ce sont des artistes, ils ne sont pas à l’argent », affirme-t-il.
Le mode de rémunération des coiffeurs
Selon les données de l’analyse sous-sectorielle de la main-d’œuvre du secteur de la coiffure – 2022, le type de rémunération le plus répandu chez les coiffeurs est le salaire horaire, avec des commissions sur les services et les produits. Les commissions représenteraient en moyenne 34 % de leur revenu total.
Quant aux coiffeurs ayant un statut de travailleur autonome (comme ceux, de plus en plus nombreux, qui louent une chaise dans un salon), il va de soi que leurs revenus sont proportionnels à leurs chiffres de vente. Il y aurait parmi eux beaucoup de « gens peu scrupuleux qui ne déclarent qu’une infime partie de leurs ventes » et fraudent ainsi le fisc, déplore Gervais Bisson. Même son de cloche de la part de Stéphane Roy. Un problème qui ne date pas d’hier, selon les deux professionnels de la coiffure, et pour lequel le gouvernement ne fait rien, malgré des demandes répétées.
Chose certaine, les propriétaires de salon comme les coiffeurs, salariés ou travailleurs autonomes, doivent vendre des traitements, des services et des produits pour gagner leur vie. Leur métier est difficile et exigeant. Ils passent de longues heures d’affilée debout, mangent sur le coin d’une table quand ils ont cinq minutes, et bon nombre d’entre eux développent des problèmes de santé musculosquelettiques. On peut comprendre que certains poussent un peu (en cachette) sur la vente pour mieux gagner leur vie. Mais ces méthodes sournoises sont irrespectueuses et méprisantes pour les clients.
Par ailleurs, je ne me souviens pas avoir vu dans un salon une liste de prix clairement affichée. La plupart des établissements la publient uniquement en ligne. Ils ne sont pas dans l’illégalité, mais il s’agit là d’un manque flagrant de transparence auquel les propriétaires pourraient facilement remédier.
Pour ma part, j’en ai assez de me faire… plumer ! Lors de mes prochains rendez-vous, je vais oser demander « Combien ça coûte ? » et ainsi adopter le comportement suggéré par Thomas D’Ansembourg dans son livre à succès Cessez d’être gentil, soyez vrai ! Après tout, l’effrontée, dans ces situations, ce n’est pas moi !