Réparer un « air fryer » : mission quasi impossible

Jean-Luc Lavallée | 16 janvier 2025, 14h38

Une friteuse à air chaud (air fryer), croyez-moi, c’est incompatible avec un rond de poêle encore chaud. Gare au feu !

Je vous entends déjà dire, un brin moqueur : « Tout le monde sait ça. Ça t’apprendra à déposer ta friteuse sur ta cuisinière ! » Vous avez raison. C’est l’évidence même. Je le sais. Ma copine le sait aussi. C’est écrit noir sur blanc dans le manuel d’instructions, comme si c’était absolument essentiel de préciser que l’eau est mouillée et que le feu peut brûler. Et pourtant, un accident d’air fryer est si vite arrivé.

Si notre mésaventure peut faire œuvre utile et prévenir d’autres malheurs, tant mieux ! Nous ne sommes pas les premiers — si je me fie aux nombreux réparateurs que j’ai contactés — et nous ne serons pas les derniers. Une simple recherche Google et vous trouverez en quelques clics des photos de friteuses abîmées, déformées ou calcinées.

Certains adeptes de la friture sans huile — ou si peu — omettent de laisser un dégagement suffisant autour de l’appareil, qui finit par surchauffer ; d’autres s’en éloignent trop longtemps durant la cuisson. Quelques modèles de friteuses, jugés dangereux, ont aussi été à l’origine d’incendies et ont fait l’objet de rappels.

Un bête oubli, le soir de Noël

Dans notre cas, l’erreur est humaine et la faute est partagée. L’appareil lui-même, que j’appréciais beaucoup par ailleurs après avoir résisté pendant des années à cette « mode » qui ne s’essouffle pas, n’est nullement en cause. Suffit d’une banale distraction ou plutôt d’un manque de coordination dans une cuisine aux comptoirs exigus, un soir de Noël, et pouf ! Fini la Ninja à deux paniers… ou presque, j’y reviendrai.

Dans l’agitation du service, j’ai oublié d’éteindre un rond de poêle servant de réchaud pour une sauce. Sans se rendre compte qu’il était encore allumé au minimum, ma copine a, par la suite, déposé la friteuse à air chaud sur la cuisinière pour libérer de l’espace sur le comptoir.

Je vous ai dit qu’un accident est vite arrivé ? En réalité, ça a pris plus de deux heures avant qu’une odeur de brûlé parvienne à mes narines. Nos convives ont eu le temps de manger, de boire, de festoyer et même de jouer à des jeux à la table avant que la base de l’appareil — qui n’était pas en contact direct avec la plaque de vitrocéramique — se mette à fondre.

Heureusement, il n’y a pas eu d’incendie. Que du plastique fondu. Et puis, ça nous a coûté une nouvelle friteuse. Le véritable scandale, il est là.

Des pièces de rechange inexistantes

Car, malheureusement, la plupart des fabricants de petits électroménagers n’ont aucun intérêt à vous faciliter la vie pour que vous puissiez vous-même réparer votre friteuse, votre robot culinaire, votre grille-pain ou votre cafetière endommagée. Ils veulent que vous achetiez du neuf. C’est tellement plus simple. Pas besoin d’entreposer un surplus d’articles, ni d’employés pour gérer le stock.

Ma friteuse à convection — achetée il y a huit mois — était toujours fonctionnelle. Seule sa base était kaput. Mais voilà; avec son trou béant (voir la photo), je n’osais plus l’utiliser. J’ai réussi à démanteler la base avec un simple tournevis et un peu d’huile de coude, croyant, naïvement, pouvoir la remplacer.

Mes efforts ont été vains car la compagnie américaine SharkNinja, dont le siège social est au Massachusetts, n’offre aucune pièce de rechange, à l’exception des paniers et des grilles amovibles à un coût prohibitif. Au téléphone, on m’a seulement proposé d’acheter un appareil quasi complet — sans paniers — à 140 $ (!) transport inclus, soit 10 $ de moins que le prix de détail d’un neuf en magasin.

« C’est une Ninja ? Bonne chance… », m’a répondu le premier réparateur que j’ai contacté. Le verdict fut le même partout où j’ai appelé, tant à Montréal qu’à Québec ou ailleurs. Je vous invite par ailleurs à consulter notre carte interactive des réparateurs pour en trouver un dans votre région, mais soyez prévenu : rares sont ceux qui disent être en mesure de réparer un air fryer.

« Ninja, c’est bien beau et bien populaire, mais comme plusieurs compagnies, ils n’offrent pas de pièces », m’a confirmé Robin Tanguay, propriétaire de Réparation chez Robin, à Saint-Hyacinthe. Une poignée de fabricants seulement, par exemple T-Fal et DeLonghi, sortent du lot en favorisant la réparabilité, mais ce n’est pas le cas de la majorité.

« Jusqu’ici, m’a-t-il dit, ce que j’ai réussi à changer sur un air fryer, c’est une "micro switch" qui permet la connexion quand tu insères ton [panier], un fusible thermique et un [fusible] électronique. Je n’ai jamais été capable de rien réparer d’autre. » C’est un « combat de tous les jours pour nous. Il y a de moins en moins de produits qui sont réparables », a déploré, de son côté, Christian Massicotte, gérant au Centre de Pièces et Services DB, à Montréal.

Le fameux « droit à la réparation »

En 2023, le Québec a adopté la Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens. De nouvelles dispositions renforçant le « droit à la réparation » entreront en vigueur cette année, en octobre 2025. Une bonne nouvelle, en théorie. Mais les obstacles sont encore nombreux, comme l’illustrait notre collègue Lilian Largier, l’été dernier.

Dans la pratique et dans un cas de figure comme le mien, est-ce que les choses vont réellement changer ? Est-ce qu’un géant comme Ninja aura l’obligation de mettre à la disposition de ses clients un éventail de pièces pouvant être « installées à l’aide d’outils couramment disponibles » ainsi qu’un guide clair en français sur la façon d’effectuer une réparation ? C’est peu probable.

Les petits électroménagers font partie des « grands oubliés » du projet de loi 29 adopté par l’Assemblée nationale, selon Frédéric Boudreault, qui a participé à la rédaction du mémoire de la Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ). « C’est un premier pas intéressant, a-t-il admis, mais c’est sûr que ça ne force pas assez le fabricant à produire des biens réparables. »

Une loi qui manque de mordant

Un air fryer ne se qualifiera probablement pas, aux fins de l’article 39 de la Loi sur la protection du consommateur (LPC), comme un objet « de nature à nécessiter un travail d’entretien », ce qui aurait pu favoriser l’accès à des pièces de rechange.

Et même si c'était le cas, il y aura toujours une « échappatoire », rappelle M. Boudreault. La LPC permettra (encore) aux commerçants et aux fabricants de se décharger de leur obligation. Ils n’auront qu’à aviser le consommateur par écrit de l’absence de disponibilité de pièces de rechange, avant la conclusion d’une vente.

Et si l’un d’eux omettait de le faire ? Vous pourriez toujours vous adresser à la Cour des petites créances, mais il vous faudra payer des frais d’au moins 118 $, sans compter les frais liés à l’envoi d’une mise en demeure par courrier recommandé. Vous risquez aussi de perdre une journée de travail, le jour de l’audience.

Personne n’a envie d’entreprendre de telles démarches — avec de longs délais — pour un appareil défectueux dont la valeur est souvent inférieure au montant des frais judiciaires. Le jeu n’en vaut pas la chandelle.

Résultat : on achète, on jette et on rachète. Bref, on surconsomme. Ainsi va la vie. « L’irréparabilité et la trop courte durée de vie de la majorité des produits aboutissent à une exploitation abusive de nos ressources naturelles et donc à une pollution grandissante de la planète », rappelait à juste titre la CACQ en 2023.

Obliger les fabricants à adopter un « indice » ou une cote de réparabilité, ça, ça aurait pu faire une réelle différence en éclairant le consommateur en amont. Cette suggestion d’Équiterre et d’autres groupes n’a toutefois pas été retenue par le législateur.

Est-ce une fatalité ?

En attendant que les fabricants soient mis au pas, un jour peut-être, il y a bien quelques gestes à poser. Battez-vous et protestez lorsqu’un fabricant d’un petit électroménager vous dit qu’il n’y a rien à faire. Ça peut parfois porter fruit.

Ninja a fini par m’offrir un rabais de 50 % sur une unité neuve (sans paniers). Ce n’est pas ce que j’espérais et cela ne règle en rien le problème de fond sur la réparabilité, mais au moins, j’ai pu m’exprimer sur l’absurdité de la situation. À force de se le faire répéter, ils finiront peut-être par entendre raison.

Avant d’abdiquer, consultez des tutoriels sur YouTube pour apprendre à réparer vous-même un appareil si la pièce est en stock. Tournez-vous vers un « café réparation » ou encore l’impression 3D, si possible. Des plans gratuits de nombreuses pièces sont accessibles en ligne. Encore faut-il connaître un patenteux qui possède une telle imprimante — assez grande pour les plus grosses pièces — et qui détient l’expertise nécessaire pour les fabriquer et vous les vendre à un coût raisonnable. Ça n’a pas été une solution pour moi, mais ça pourrait l’être pour vous.

Enfin, faites comme moi et affichez vos appareils endommagés sur des sites de petites annonces pour que d’autres, en quête de pièces, puissent les acheter au rabais. C’est ce que j’ai fait avec ma machine. J’ai vendu quelques pièces, lesquelles auront une deuxième vie au lieu d’aboutir prématurément à l’écocentre. Chaque petit geste compte.

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