Pour en finir avec la surconsommation vestimentaire
Emmanuelle Gril | 09 avril 2024, 08h27
Si, comme moi, votre garde-robe déborde, mais que vous n’avez jamais rien à vous mettre, il est peut-être temps d’y réfléchir...
Récemment, j’ai fait un peu de ménage dans mon placard afin de donner les vêtements que je ne porte plus depuis des lustres, mais que je conservais « au cas où ». Je ne me berce pas d’illusions, car la nature a horreur du vide, et je sais fort bien que l’espace dégagé dans mes tiroirs se remplira rapidement. Ça tombe bien, voilà le printemps qui nous donne des envies de renouveau ! Les marques l’ont d’ailleurs bien compris en alimentant notre boulimie saisonnière à grand renfort de publicités.
Mais tout ceci à un coût. Il faut savoir que l’industrie de la mode génère entre 2 et 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et que la production textile — incluant la culture du coton — utilise environ 93 milliards de mètres cubes d’eau par an, soit suffisamment pour combler les besoins de cinq millions de personnes. Les vêtements synthétiques représentent aussi 35 % du rejet global de microplastiques dans les océans et en constituent d’ailleurs la principale source.
Surconsommation, quand tu nous tiens !
C’est après avoir pris conscience des contradictions persistantes entre le volume de sa penderie et ses valeurs sociales et environnementales que la journaliste Valérie Simard a décidé de prendre le taureau par les cornes.
À partir du 1er avril 2022, elle s’est lancé le défi de n’acquérir aucun vêtement neuf pendant un an. De cette expérience est né l’ouvrage qu’elle a publié en janvier 2024 aux Éditions La Presse : Une année de détox vestimentaire : réflexions sur le prêt-à-jeter l’Agence France-Presse. Le déclic a été la vision horrifique des photos de Martin Bernetti pour l’Agence France-Presse, montrant les tonnes de textiles usagés déversées quotidiennement dans le désert d’Atacama, au Chili.
Dans cette décharge s’entassent des vêtements de seconde main venus du monde entier, y compris du Canada. À notre échelle, nous contribuons à cette pollution, puisque les Québécois ont envoyé au rebut 292 000 tonnes de textiles en 2019, soit l’équivalent de 24 kilos par personne, un chiffre qui a presque doublé depuis 2011.
Dans son ouvrage, la journaliste brosse un tableau de la situation peu reluisant. « Je me suis rendu compte que l’industrie de la mode est non seulement complexe, mais aussi peu transparente et peu réglementée, dit-elle en entrevue. J’ai également pu constater que la fast fashion [mode éphémère] a constitué un véritable point de bascule parce qu’elle a accéléré le cycle de production. Au lieu de s’en tenir aux changements de saison, on est passé de 10 à 12 collections par année. C’est pire encore depuis l’arrivée de l’ultra fast fashion, des sites comme Temu et Shein proposant des milliers de produits quotidiennement. »
Une robe pour le prix d’un café latte ? Après tout, pourquoi pas ? Ce phénomène alimente la surconsommation, à laquelle s’ajoutent les sollicitations incessantes des infolettres et des publicités sur les réseaux sociaux, générées grâce à nos algorithmes.
Mais ce n’est pas tout : la journaliste note également que notre cerveau nous joue des tours. « En achetant un vêtement, on active le circuit de la récompense et notre cerveau produit de la dopamine, ce qui crée un sentiment de bien-être et d’euphorie. Mais l’effet est passager, et pour recevoir à nouveau une dose de cette hormone du bonheur, il faut acheter encore et encore », souligne Valérie Simard.
Elle ajoute que ces achats compulsifs peuvent aussi constituer une forme de compensation lorsque nos besoins psychologiques essentiels ne sont pas comblés. « Par exemple, avec le magasinage en ligne, illustre-t-elle, nombre d’entre nous avons tenté d’oublier le sentiment de perte de contrôle éprouvé pendant la pandémie. »
Autrement dit, acquérir un nouveau vêtement est lié aux émotions, à une affirmation de son identité, à une forme de gratification. Cela peut également venir combler un vide, car, comme le dit l’expression : « Shopping is cheaper than a psychologist »…
Pas d’échappatoire
Est-ce que s’habiller dans les friperies au lieu d’acheter du neuf est LA solution ? Non, si l’on en croit Valérie Simard, qui remarque que cela ne nous empêchera pas de surconsommer, en raison des bas prix qui sont pratiqués dans ces commerces. D’ailleurs, le marché des vêtements de seconde main est littéralement saturé, alimenté par notre boulimie d’achats.
Quant aux produits en coton biologique et fibres recyclées, ils sont peut-être confectionnés avec des textiles qui nous semblent — en apparence — moins dommageables pour l’environnement, mais cela ne règle pas le problème.
Alors, comment sortir de ce cercle vicieux ? La réponse est simple, même si elle est difficile à mettre en œuvre : consommer moins de vêtements. Et lorsqu’on le fait, on opte de préférence pour des pièces intemporelles, de meilleure qualité, généralement plus coûteuses, mais que l’on pourra garder longtemps. Bien entretenir et réparer est aussi une bonne façon de prolonger la vie de robes, manteaux, chaussures et pantalons que l’on chérira plusieurs années et qui auront une réelle signification à nos yeux.
Quant à Valérie Simard, où en est-elle après son année de détox ? « J’ai appris à prendre du recul et à faire preuve de détachement. J’opte pour des vêtements de seconde main ou bien je fais des échanges. Lorsque j’achète, c’est toujours de façon mûrement réfléchie et pas sur une impulsion. J’ai aussi adopté le principe de la garde-robe capsule composée de pièces de base que je peux agencer de différentes manières. Ainsi, on réussit à créer différents styles et à avoir une impression de nouveauté », explique la journaliste.
Enceinte de son deuxième enfant, elle s’efforce désormais de relever un nouveau défi : celui de n’acheter aucun vêtement de maternité.
À lire aussi : Comment acheter des vêtements éthiques et Comment s’habiller de façon plus écoresponsable ?