Encore et toujours des iniquités financières dans le couple
Emmanuelle Gril | 12 mars 2024, 10h10
Des iniquités financières perdurent entre hommes et femmes, même au sein des couples. Malheureusement.
Malgré les nombreuses avancées en matière d’équité, force est de constater que certaines choses n’évoluent que très lentement. Ainsi, bien que les femmes aient intégré massivement les bancs des universités et le marché du travail, et que le système de CPE ait changé la donne en matière d’accès à la vie active, il n’en reste pas moins que, en couple, elles peinent encore à tirer leur épingle du jeu sur le plan financier.
Des disparités qui se creusent
Vous êtes sceptique ? Les conclusions d’une étude menée par la professeure Maude Pugliese de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en expériences financières des familles et inégalités de patrimoine sont pourtant limpides. Elles révèlent que le patrimoine net moyen des hommes (leurs actifs nets) est de près de 30 % plus élevé que celui des femmes, et ce même lorsque l’on prend en considération les écarts de revenus dans l’équation.
Le fossé se creuse encore davantage chez les personnes en couple, notamment en union libre, où le patrimoine des hommes est de 80 % supérieur à celui des femmes.
Plusieurs facteurs expliquent ce décalage. Selon une étude de UBS, une femme qui cesse de travailler pendant six mois ou plus accumulera 43 % moins de richesse à ses 85 ans qu’une personne qui n’aurait pas quitté le marché du travail. Il peut s’agir, par exemple, d’un congé de maternité ou d’une pause pour prendre soin d’un enfant ou d’un parent âgé.
Mais cela n’explique pas tout. Dans le cadre de ses travaux, la sociologue Hélène Belleau s’est beaucoup intéressée à la question. La titulaire de la Chaire argent, inégalités et société et professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) constate que peu de conjoints discutent de l’organisation de leurs finances et de l’impact que cela peut avoir à moyen et long terme sur l’épargne de chacun d’eux.
« Des disparités finissent souvent par se creuser sans qu’ils s’en rendent compte. Et même si l’harmonie financière semble régner chez la plupart des couples québécois, en raison des écarts de revenus entre hommes et femmes, ces dernières payent souvent très cher le prix de la vie familiale », établit Hélène Belleau, également coauteure de l’ouvrage L’amour et l’argent, guide de survie en 60 questions. (1)
Revoir le partage des dépenses
La façon de gérer les finances dans le couple est un autre élément déterminant. À cet égard, les résultats d’un sondage sur les habitudes financières des couples québécois, réalisé pour le compte de la Chambre de la sécurité financière (CSF), sont éloquents. On y apprend notamment que 4 couples sur 10 (42 %) ne mettent pas leurs finances en commun et fonctionnent plutôt selon le partage des dépenses. « Lorsque les écarts de revenus sont grands, même si les conjoints choisissent de séparer les dépenses au prorata, la personne qui gagne le moins sera nécessairement désavantagée, car ces sommes prendront plus de place dans son budget », souligne Hélène Belleau. C’est d’autant plus vrai que les choix de dépenses dans un couple sont souvent ajustés en fonction du revenu de celui qui gagne le plus. Résultat, l’autre conjoint s’appauvrit et sa capacité d’épargne s’amoindrit.
La sociologue estime que, pour être réellement équitable, il faudrait plutôt établir un revenu personnel de base – le montant dont chacun a besoin pour son usage personnel (vêtements, épargne, etc.) – et le déduire du revenu familial. À partir de ce revenu familial corrigé, on calculerait ensuite la contribution respective des conjoints aux frais du ménage, au prorata des revenus gagnés.
La littératie financière n’est pas une question de genre
Hélène Belleau tient également à déboulonner un mythe. « Il faut cesser de dire que les femmes s’intéressent moins aux finances. Ce n’est pas une question de genre, mais de revenus, précise-t-elle. Le sondage démontre que, dans un couple, c’est celui qui gagne le plus qui acquiert la littératie financière et qui s’occupe de la planification à long terme. Or, la plupart du temps, il s’agit des hommes. »
La sociologue conclut en soulignant que l’épargne-retraite est la grande oubliée en matière de gestion des finances dans un ménage. Ainsi, au Québec, les statistiques montrent que les revenus des femmes à la retraite sont de 30 à 40 % plus faibles que ceux des hommes.
Il faut aussi savoir que, selon le sondage mené pour la CSF, 60 % des couples épargnent séparément pour le long terme, même s’ils ont opté pour la gestion commune du budget au quotidien. « Pour les femmes, c’est là que les concessions que nécessite la vie familiale pèsent lourd, car elles peuvent moins épargner pour la retraite. Et, en cas de séparation, elles vont en payer le prix si leur couple n’est pas marié », déplore Hélène Belleau.
À moins que la réforme du droit de la famille tant attendue ne finisse par aplanir les iniquités entre conjoints de fait et couples mariés…
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