L’investissement autonome à 20 ans, une bonne idée ?

Camille Lopez | 05 novembre 2021, 19h02

À même pas 30 ans, Joël, Mathieu, Jean-Sébastien et Tédia gèrent eux-mêmes leurs investissements (et ne feraient pas autrement).

Suivre leurs traces avec un minimum de prudence et sans brûler ses épargnes, est-ce que ça se fait ?

Sur ses comptes Instagram, YouTube et TikTok, Tédia Rosarion, 25 ans, parle d’argent et d’investissements de façon conviviale. Suivie par 20 000 personnes, l’étudiante en planification financière et bachelière en comptabilité fait partie d’un mouvement de jeunes influenceurs qui se sont donné la mission de démocratiser les finances. Et en cette ère où tout le monde peut investir ses économies en quelques clics, la créatrice de contenu prône la patience.

«De nos jours, c’est vraiment tentant de se lancer en deux secondes. Mais il faut avoir pris le temps d’évaluer son profil d’investisseur, de faire ses recherches», conseille Tédia.

C’est que l’appel de l’investissement autonome est alléchant. Sur TikTok et Instagram, de jeunes adultes vantent leurs gros coups d’argent : des 10 000 $ gagnés en une semaine ; une nouvelle cryptomonnaie qui génère des rendements de plusieurs centaines de dollars… Tout ça, avec un minimum d’efforts, sans conseiller financier et à grands coups de : «Qu’est-ce que vous attendez pour vous lancer, vous aussi ?»

Il ne manque qu’un GIF de Leonardo DiCaprio dans The Wolf of Wall Street pour compléter le portrait.

Les autorités de réglementation des marchés financiers ont en effet remarqué une hausse marquée des ouvertures de comptes sans conseil au pays. Selon la firme Investor Economics, plus de 2,3 millions de ces comptes ont été ouverts au Canada en 2020. En 2019 ? 846 000. «C’est un sujet de préoccupation. En ce moment, le marché est très fort et les gens n’ont pas connu une période de correction [NDLR :baisse] importante depuis le début de la pandémie», explique Camille Beaudoin, directeur de l’éducation financière à l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Et attention, les plaintes suivent. L’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières, l’équivalent national de l’AMF, parlait en février d’une hausse de 270 % des plaintes formulées par les investisseurs autonomes.

Gérer soi-même son portefeuille… de son cell

Cet engouement, on le doit en partie aux applications de courtage. S’ils veulent éviter les frais de commissions sur les transactions boursières, les investisseurs autonomes peuvent notamment se tourner vers la très populaire Wealthsimple Trade, qui permet aussi de négocier des cryptomonnaies. L’application n’est toutefois pas gratuite à 100 % ; elle facture des frais de conversion de 1,5 % lorsque ses utilisateurs canadiens achètent et vendent des titres américains.

Joël Gauthier-Viau, 22 ans et investisseur autonome depuis quatre ans, a pris le temps d’apprendre avant de se lancer. «Au début, je mettais des 100 $ ici et là pour apprivoiser le marché et ses fluctuations, puis, quand j’ai eu mieux saisi tout ça, j’ai mis plus d’argent», explique-t-il.

Joël, qui travaille dans le domaine de la gestion de patrimoine, évite les frais de conversion en gérant toutes ses actions étrangères via le site Banque Nationale Courtage direct, qui a récemment aboli ses frais de transaction. Pour ses actions canadiennes, tout passe par Wealthsimple Trade.

Jean-Sébastien Lecompte, finissant à HEC Montréal, a commencé à investir tout juste avant la pandémie. Il préfère quant à lui utiliser Questrade, qui facture de petits montants (9,95 $ maximum) à chaque transaction. Lui aussi conseille de ne pas sous-estimer la courbe d’apprentissage. «Après un an et demi, j’avais compris comment grossièrement évaluer une entreprise et comment investir selon mes préférences», témoigne-t-il.

Si vous n’avez pas envie de sacrifier votre argent pour apprendre, vous pouvez vous tourner vers des plateformes de simulations boursières, comme Bourstad, où vous aurez comme mission de faire fructifier un portefeuille fictif de 200 000 $.

Comprendre (et vivre avec) les risques

Ce que les témoignages positifs vus sur Instagram ne mentionnent pas, c’est que le risque de volatilité est toujours présent et qu’il faut en tenir compte. «Il y aura toujours des risques avec l’investissement. Pas de risque, pas de rendement», soutient Camille Beaudoin de l’AMF.

Il faut donc connaître et, surtout, respecter sa tolérance au risque avant de se lancer. Par exemple, si vos investissements perdaient de la valeur, seriez-vous prêt à attendre pendant quelques mois ou quelques années qu’ils regagnent leur valeur initiale ? Seriez-vous prêt à perdre 100, 1 000, 3 000 $ si votre investissement baissait en valeur ?

Et certaines modes sont très risquées. L’exemple le plus parlant : les meme stocks, ces actions qui prennent de la valeur non pas parce que les compagnies performent bien, mais parce que des internautes s’encouragent à investir sur les forums en ligne, comme Reddit. Une façon de se moquer des puristes de l’investissement, disons.

Mathieu Lafrance, 28 ans, s’est lancé progressivement l’automne dernier. Aujourd’hui, il fait de quatre à huit transactions par semaine. Quand les investisseurs amateurs de Reddit ont ciblé BlackBerry en décembre 2020, Mathieu s’est prudemment prêté au jeu. En une semaine, après avoir mis 250 $, son investissement valait déjà 50 $ de plus, montant qu’il a retiré rapidement.

Pas mal. Mais on est loin des «milliers de dollars» dont on entend souvent parler en ligne. Certains témoignages, sur les forums d’investissement, appellent à la prudence. Un internaute confie avoir perdu 1 500 $ en six jours, sur son investissement initial de 6 000 $ dans plusieurs actions recommandées par Reddit. La leçon à tirer de tout ça : si vous n’êtes pas prêt à risquer vos investissements, mieux vaut éviter les meme stocks.

Diversifier son portefeuille

«J’aime beaucoup diversifier mes actions. Par exemple, j’investis dans la technologie américaine, mais aussi dans des actions plus stables qui me versent des dividendes, comme Walmart, Jean Coutu et Metro», explique Tédia Rosarion.

Et vous n’êtes pas obligé d’acheter vos actions à la pièce. Entrent en scène les fonds négociés en bourse (FNB), des ensembles de titres diversifiés qui s’achètent comme des actions. Quelques-uns suivent les marchés boursiers, d’autres suivent les secteurs qui nous intéressent (comme l’intelligence artificielle ou le jeu vidéo), et certains correspondent aux différents profils d’investisseurs.

Attention aux pièges

«Investissez dans cette compagnie, croyez-moi», publie un usager anonyme sur TikTok. La compagnie en question, qui ne sera pas nommée ici, est plutôt méconnue. Mais les internautes croient être tombés sur une information privilégiée. Et espèrent faire un coup d’argent.

Ignorez ce genre de conseils. Il ne serait pas surprenant qu’un investisseur ait acheté des actions dans une petite entreprise, puis publie ce genre de vidéo pour faire fructifier ses placements avant de tout encaisser.

Récemment, une nouvelle trompeuse annonçait que Walmart accepterait le Litecoin, une cryptomonnaie. Des investisseurs se sont rués sur l’occasion et la valeur du jeton est passée de 175 à 230 $. Tout est redescendu rapidement lorsque la vérité a été connue, mais les créateurs du canular ont probablement eu assez de temps pour s’en mettre plein les poches.

Autre piège à éviter : ses propres émotions. «Il faut être plate et rationnel», conseille Camille Beaudoin de l’AMF.

Demander de l’accompagnement

Le monde de l’investissement et des finances peut donner le vertige. Et même si vous voulez investir sans courtier, il peut être avantageux de demander des conseils à un professionnel, par exemple un planificateur financier, pour avoir une bonne vue d’ensemble de votre situation financière.

Ce professionnel prendra le temps de dresser un bilan de vos finances et, surtout, de parler de vos objectifs. Avec son aide, vous pourrez établir vos priorités.

Il pourra aussi être brutalement honnête. Vous voulez investir 1 000 $ par mois en actions ? Bien, mais avez-vous des dettes à payer avant ? Des assurances pour vous protéger en cas d’invalidité ou d’imprévu ? Tout ça pèse dans la balance.

>>À lire aussi: Investisseurs autonomes : voici 7 erreurs à éviter et Êtes-vous prêt à gérer vos investissements vous-même ?

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