Recul de l’âge de la retraite: une bonne nouvelle?
Emmanuelle Gril | 08 avril 2025, 10h31
Les Québécois prennent leur retraite plus tardivement qu’il y a 25 ans. Mais faut-il s’en réjouir ?
J’ai maintes fois écrit pour Protégez-Vous sur les avantages de demander ses rentes de retraite le plus tard possible lorsqu’on est en mesure de le faire. Or, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a dévoilé récemment que l’âge de la retraite avait augmenté significativement depuis 2000. Désormais, les hommes la prennent en moyenne à 65,5 ans au lieu de 61,4 ans, et les femmes à 64 ans plutôt qu’à 59 ans.
Pour faire ses calculs, l’ISQ a pris en considération les personnes ne travaillant pas et ayant quitté leur dernier emploi dans les 12 mois précédents. On ne sait donc pas si elles ont effectivement réclamé à ce moment-là leur pension du Régime de rentes du Québec (RRQ) ou leur Sécurité de la vieillesse (SV) au fédéral. Aucune information non plus à propos d’un éventuel retour sur le marché du travail, que ce soit par choix ou pour des questions financières.
Par conséquent, il est difficile de savoir si cette augmentation de l’âge de la retraite a eu un impact positif sur le porte-monnaie des Québécois, ou pas. Quoiqu’il en soit, on peut se demander si, d’un point de vue collectif, ce recul constitue vraiment une bonne nouvelle.
Manque de planification et de littératie financière
Le planificateur Jean-Sébastien Jutras fait partie des sceptiques. Selon lui, cette hausse constitue le reflet d’un manque de planification. « Beaucoup de gens sont mal préparés. Certains me consultent à 55 ans alors que c’est déjà un âge très avancé pour commencer à mettre sur pied une stratégie, explique-t-il. Résultat, ils devront travailler plus longtemps, soit à temps partiel pour se procurer un revenu d’appoint, soit à temps plein parce qu’ils n’ont tout simplement pas les moyens de prendre leur retraite. »
Le planificateur mentionne également que, s’il fut un temps où les taux d’intérêt élevés pouvaient permettre de constituer son épargne sans trop de risques, cette période est désormais révolue. « Les produits à rendement garanti ne procurent que de maigres rendements qui seront réduits, voire annulés, par l’inflation, dit-il. Il est donc préférable d’effectuer des placements en bourse, mais beaucoup d’épargnants ne le réalisent que trop tard. »
Jean-Sébastien Jutras évoque aussi le niveau de littératie financière. « À mon avis, l’une des causes du recul de l’âge de la retraite est le manque d’éducation financière, assure-t-il, ce qui empêche de prendre des décisions éclairées sur son avenir et donc de planifier adéquatement. »
Réclamer trop tôt sa rente du RRQ est un mauvais calcul
À ce chapitre, il rappelle l’effet dévastateur de réclamer sa rente du RRQ avant 65 ans, ce qui la réduit d’environ 7,20 % par an, soit 36 % sur cinq ans. Par conséquent, au lieu d’une rente maximale de 1 364 $ à 65 ans, on recevra seulement 873 $ à 60 ans, et ce, jusqu’à la fin de ses jours.
On doit bien sûr tenir compte de son état de santé, car une personne dont l’espérance de vie est réduite n’aura évidemment pas intérêt à reporter ses rentes gouvernementales. Inversement, attendre après 65 ans bonifie le RRQ de 8,40 % par an, pour un maximum de 58,80 %. En patientant jusqu’au plafond de 72 ans, on recevra donc 2 166 $ par mois.
« Pourtant, beaucoup de gens pensent encore qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. C’est pourquoi ils demandent leur RRQ à 60 ans, autrement dit dès qu’ils peuvent commencer à le percevoir », indique le planificateur financier. C’est toutefois un très mauvais calcul, et si nos finances nous le permettent, il sera plus avantageux de la retarder.
Ainsi, une personne qui aurait bien planifié la transition pourrait vivre sur son épargne pendant quelques années, puis réclamer des rentes bonifiées et qui plus est, indexées, ce qui protégera son pouvoir d’achat.
À la retraite pendant vingt ans
L’espérance de vie croissante est un autre élément qui pèse lourd dans la balance et peut expliquer pourquoi on reste plus longtemps sur le marché du travail. « Aujourd’hui, on peut s’attendre à vivre au moins jusqu’à 80 ans, alors qu’il s’agissait plutôt de 65 ans pour nos grands-parents. On a donc besoin de plus d’argent pour financer nos vieux jours », fait remarquer l’économiste Francis Gosselin, chef de la stratégie au sein de la firme Norbert Hill.
Selon lui, on pourrait ainsi envisager de prolonger sa vie active en tenant compte du temps que l’on passera à la retraite, une durée que l’on peut estimer approximativement en fonction de l’espérance de vie.
Rappelons qu’au Québec, à la naissance, celle-ci est de 83,4 ans pour les femmes et de 80,7 ans pour les hommes. Lorsqu’on a déjà atteint 65 ans, ces chiffres grimpent respectivement à 87 ans et 84,6 ans. On peut donc raisonnablement penser que l’on passera une bonne vingtaine d’années à la retraite.
Plusieurs mesures incitatives invitent d’ores et déjà les Québécois à travailler plus longtemps, comme la bonification du RRQ, le crédit d’impôt pour prolongation de carrière et aussi la possibilité de cesser de cotiser au RRQ entre 65 et 72 ans même si l’on est encore sur le marché du travail.
Vous pensez que la vie vous coûtera moins cher une fois à la retraite ? Détrompez-vous ! « Pour se payer des voyages et plus tard des soins quand notre santé déclinera, il faut de l’argent », rappelle Jean-Sébastien Jutras. Là encore, on devra avoir les reins solides sur le plan financier.
Pour ma part, et comme pour beaucoup d’autres membres de ma génération — la X, la « génération sacrifiée » —, une retraite hâtive et confortable n’a de toute façon jamais été une option. Une autre bonne raison de continuer à travailler plus longtemps !
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