Inspection automobile : un petit 60 $ qui rapporte gros
Nadine Filion | 13 novembre 2024, 10h23
Si Joël n’avait pas fait inspecter le Chevrolet Silverado 2016 qu’il allait acheter, il aurait perdu 22 000 $. Vive l’inspection !
Comme je suis journaliste automobile, des gens magasinant une auto usagée me demandent souvent conseil. Et des conseils, j’en ai plein la boîte à gants. Toutefois, pour neuf acheteurs sur dix, un achat automobile, c’est émotionnel : « J’ai toujours rêvé d’un gros pick-up, c’est maintenant — et c’est celui-là... » Alors, ce que j’ai à dire, vous vous en doutez, ça passe dix pieds par-dessus la calandre... C’est pourquoi je termine toujours ma litanie ainsi : « Si tu ne retiens que trois conseils, retiens ceux-ci : fais inspecter, fais inspecter et fais inspecter. »
C’est clair, non ?
Pourtant, en 25 ans de journalisme auto, je compte sur les doigts d’une main les fois où mon conseil « inspection » a été suivi. Ça arrive si rarement que je veux vous raconter un épisode encore tout frais avec Joël.
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L’inspection automobile, c’est votre droit… alors, faites-le valoir !
Au Québec, l’inspection d’un véhicule est un droit, enchâssé dans la Loi sur la protection du consommateur (LPC). Aucun commerçant ne peut refuser votre demande.
Malheureusement, « la tendance est aux vendeurs qui vous découragent, dit George Iny, directeur de l’Association pour la protection des automobilistes (APA). On prétexte que le temps presse, que d’autres clients sont intéressés, que le véhicule sera vendu à quelqu’un d’autre si vous mettez trop de temps à vous décider. »
Bon nombre de commerçants affirment aussi avoir déjà fait ladite inspection. « Achèteriez-vous, sans procéder à l’inspection, la maison d’un propriétaire qui vous assure l’avoir déjà fait inspecter ? demande Sylvain Légaré, analyste à la recherche en mobilité chez CAA-Québec. C’est la même chose pour les autos. »
Tout n’est cependant pas la faute des marchands. Car, de l’autre côté de l’équation, il y a nous, les consommateurs pressés de ne pas manquer « l’occase », qui sortons toutes sortes d’excuses pour sauter cette étape : « Pas le temps, pas l’argent pour faire inspecter, je ne connais pas de garagiste de confiance », ou encore : « Le vendeur m’a montré un dossier CarFax/CarProof sans tache. »
Pensez-vous vraiment qu’un commerçant va vous présenter l’historique d’un véhicule truffé d’accidents ? Pour Sylvain Légaré, la règle est simple : « N’acceptez jamais le CarFax donné par le vendeur. » George Iny abonde dans le même sens : « Ces rapports doivent être pris avec un grain de sel, indique-t-il, car deux des cinq assureurs principaux au Québec ne partagent pas leurs informations avec CarFax. »
Quand tous les drapeaux sont au rouge
J’avais l’impression que Joël ne suivrait pas mon conseil d’inspection. Il avait eu le coup de cœur pour un beau Chevrolet Silverado 2016 noir tout équipé avec à peine 140 000 kilomètres à l’odomètre, disponible chez un marchand d’occasion de Saint-Jérôme.
À mes yeux, tous les drapeaux rouges étaient levés :
- À 22 000 $, le prix se trouvait quelques milliers de dollars sous la moyenne du marché. Pour la même somme, les camionnettes usagées de même catégorie avaient roulé plus de 200 000 km, ou alors elles étaient plus âgées.
- Une simple vérification sur le site de l’Office de la protection du consommateur (OPC) m’a ensuite permis de découvrir que Joël allait faire affaire avec un marchand affichant une longue liste de mises en demeure (12) et de poursuites pénales, déposées ces deux dernières années pour de la publicité trompeuse, des pratiques commerciales déloyales et la mauvaise qualité des biens.
- Enfin, le marchand disait ne pas pouvoir lui fournir les factures d’entretien, « parce que le véhicule venait de l’Ontario ». Ce simple fait était pour moi le pire drapeau rouge, celui qui m’a fait dire à Joël de ne pas toucher à ce véhicule…
Je pourrais vous entretenir longtemps sur ces transferts de véhicules entre provinces qui permettent de blanchir les titres d’automobiles volées et de voitures accidentées que les commerçants ont bien maquillés… Mais je vais laisser M. Iny, fort de ses années d’expérience à mener des enquêtes nationales avec l’APA, vous convaincre : « Chez les trafiquants qui font transiter les voitures d’occasion d’une province à l’autre, indique-t-il, les odomètres sont reculés en moyenne de 100 000 kilomètres. »
Qui veut payer 22 000 $ pour un pick-up qui, selon toute vraisemblance, serait en fin de vie et ne vaudrait, au mieux, que la moitié de sa valeur ?
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Un véhicule « pourri » à 22 000 $
Mais bon, Joël le trouvait parfait, « son » Chevrolet Silverado. Il avait déjà versé un acompte et il devait en prendre possession la semaine suivante. Est-ce à cause de la moue que j’ai faite ? Il a décidé à la dernière minute de tout de même le faire inspecter.
Première surprise : non seulement le marchand a accepté sa demande, mais il a offert de conduire lui-même le Silverado jusque chez le garagiste de Joël.
Deuxième surprise, moins bonne celle-là : à l’instant où le mécano a placé le véhicule sur le pont élévateur (un lift, en bon québécois), « des morceaux de plancher sont tombés au sol », nous a raconté Samuel Potvin, superviseur technique à l’Atelier de mécanique Servipro.
L’inspection a été très rapide — et peu coûteuse : en moins d’une demi-heure et pour à peine 60 dollars de main-d’œuvre, Joël et son mécano découvraient que le plancher et le châssis étaient complètement rouillés. « C’était tout croustillant, ça se défaisait au tournevis, nous a précisé M. Potvin. Des véhicules pourris de la sorte, on n’en voit qu’une ou deux fois par année. » Pourtant, de l’extérieur, le Silverado semblait impeccable, il avait été bien frotté…
L’histoire se termine bien pour Joël, qui a récupéré son dépôt. Cependant, une semaine après, le même Chevrolet Silverado 2016 était toujours annoncé sur le site du commerçant — et ce, au même prix ! Bref, ce véhicule inutilisable attendait le prochain client, celui qui n’irait pas faire valoir son droit à une inspection du véhicule…
Pas d’inspection de l’auto usagée ? À vos risques et périls
Andrew Bleakley, mécanicien-inspecteur attitré à l’APA depuis trois décennies, estime que la moitié des véhicules qu’il inspecte entrent dans la catégorie « pas touche ». L’autre moitié est loin d’être parfaite, dit-il : « Même pour les usagées les plus intéressantes, il y a toujours quelque chose à faire, ne serait-ce que réparer les freins et changer les pneus. » Idéalement, vous voulez que ce soit le marchand qui s’en charge — à ses frais.
Si vous magasinez un véhicule d’occasion, n’attendez pas d’avoir trouvé la perle rare :
- Réservez une plage horaire auprès de votre garagiste. Avec un rendez-vous en poche, vous réduisez le nombre d’arguments que le vendeur pourra invoquer afin de vous convaincre de ne pas faire inspecter.
- À l’entente écrite que le commerçant voudra vous faire signer, faites-lui inscrire — et signer « Dépôt remboursable si l’inspection n’est pas à la satisfaction du client ». Le marchand ne veut pas ajouter pareille mention, voire vous refuse carrément l’inspection ? Pensez à Joël… et quittez l’endroit, en conservant en poche tous vos dollars chèrement gagnés.
- Vous ne connaissez pas de garagiste de confiance ? CAA-Québec parraine une vingtaine de centres d’inspection automobile autorisés répartis à travers la province. De son côté, l’APA recommande son expert mécanicien Andrew Bleakley, qui se déplace (en périphérie de Montréal) pour des inspections chez le marchand. Vous pouvez aussi vous rendre chez un concessionnaire de la marque, « mais si vous achetez chez l’un, faites inspecter par un autre », conseille Sylvain Légaré, de CAA-Québec. Choisissez un atelier qui possède les équipements mesurant l’uniformité de la peinture de carrosserie. « C’est de cette manière que l’on peut découvrir si le véhicule a été accidenté — et repeint », conclut M. Légaré.