Réforme du droit de la famille: encore des iniquités

Emmanuelle Gril | 30 juillet 2024, 10h22

La Loi portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale pourrait bien brouiller les cartes.

Adoptée en juin dernier, la récente réforme du droit de la famille (PL56) a fait couler beaucoup d’encre depuis que le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, en a révélé les grandes lignes à la fin du mois de mars. 

Comme d’autres, je me suis demandé si ces modifications répondaient vraiment aux attentes des personnes concernées, et même si elles n’étaient pas susceptibles de créer davantage de confusion au sein de la population. 

Bien sûr, indiquait le ministre, il n’est pas question de « marier les gens de force », et le libre choix demeure la ligne directrice du législateur. Mais on peut tout de même se poser des questions quand on sait que le Québec est le champion mondial des couples vivant en union libre (42 % des couples), devançant même la Suède à ce chapitre (33 %). 

L’union parentale crée un patrimoine commun

Rappelons que la Belle Province était jusqu’à présent la seule province au Canada où aucun cadre juridique n’était prévu advenant la séparation des conjoints de fait. C’est désormais chose faite, mais pas pour tous les couples.

La Loi instaure un nouveau régime d’union parentale créant un patrimoine composé des résidences de la famille, des meubles et des voitures servant aux déplacements de la famille. 

Il est toutefois possible de prendre une entente pour s’y soustraire, et ce régime ne s’appliquera qu’aux conjoints en union libre qui auront un enfant ou en adopteront un après le 29 juin 2025.

La résidence familiale est également protégée : en cas de séparation, le tribunal pourra désormais attribuer le droit d’usage de celle-ci, pour une période déterminée, au conjoint qui obtiendra la garde de l’enfant. 

Autre changement, sur le plan successoral cette fois : en l’absence de testament, un conjoint en union parentale pourra hériter du conjoint décédé, à raison d’un tiers de la succession pour lui et des deux tiers pour les enfants, ce qui n’était pas le cas auparavant (sans testament, le conjoint de fait était exclu de la succession).

Trois catégories d’enfants, et des conjointes encore perdantes

« Ces progrès sont notables, certes, mais ils ne viennent pas combler les écarts de statut entre couples mariés et couples en union de fait », estime Hélène Belleau, sociologue et professeure à l’Institut national de la recherche scientifique, également titulaire de la Chaire Argent, inégalités et société — Chambre de la sécurité financière. 

Avec Carmen Lavallée, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, la sociologue a d’ailleurs déposé un mémoire dans le cadre des consultations entourant le projet de loi, afin de cerner les enjeux tant juridiques que sociologiques de la nouvelle législation.

D’abord, cette loi qui vise essentiellement à protéger les enfants nés d’une union de fait vient créer trois catégories d’enfants : les mieux protégés issus de parents mariés, puis les enfants du PL56 et enfin les grands oubliés de cette réforme du droit familial, c’est-à-dire ceux nés avant le 30 juin 2025 de parents en union de fait.

Hélène Belleau constate également que les changements proposés ne sont pas suffisants pour en finir avec l’iniquité. Les conjointes de fait sont encore et toujours les grandes perdantes.

Une réforme bien timide du droit de la famille 

Hélène Belleau remarque que la réforme semble s’appuyer sur un certain nombre de mythes, comme le fait que l’union libre serait un choix libre et éclairé et que les écarts de revenus entre conjoints et conjointes se seraient résorbés. 

À cet égard, ses recherches démontrent clairement qu’au Québec, dans certaines régions, les pères ont un revenu médian deux fois plus élevé que celui des mères. Pire encore, dans ces mêmes régions où les écarts salariaux sont très importants, on retrouve plus de 50 % des couples en union libre (Abitibi, Côte-Nord, Saguenay, notamment). Les conséquences financières d’une séparation affectent tout particulièrement les femmes. 

Elle remarque enfin que, si les couples ne veulent pas être « mariés de force », il n’en reste pas moins que plus de 70 % des Québécois sont favorables à un traitement juridique similaire entre couples mariés et en union de fait, écrit-elle dans l’Espace INRS.

En conclusion, Hélène Belleau et Carmen Lavallée déplorent que la nouvelle loi soit une avancée bien timide pour la protection des enfants, et qu’elle maintienne du même coup une importante différence de traitement entre femmes mariées et celles vivant en union de fait. 

Elles relèvent aussi plusieurs points faibles de la nouvelle loi :

  • l’absence de droit à un soutien alimentaire pour les conjoints (droit qui existe dans le cadre du mariage) ;
  • un patrimoine familial amoindri qui exclut du partage les régimes de retraite (là aussi, prévu dans le cadre d’un divorce). 

Bref, on attendait beaucoup de cette réforme, mais au bout du compte, elle laisse surtout une impression de pétard mouillé…

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