Vision dystopique

Mathieu Charlebois | 30 avril 2024, 07h37

Vous lisez ceci dans le futur, un casque de réalité virtuelle sur la tête, c'est correct: vous pouvez rire de mon manque de vision

L’Apple Vision Pro est un casque de réalité virtuelle qui a l'ambition d'être, littéralement, un ordinateur qu'on se « strappe » dans le visage. Oups! Le fantôme de Steve Jobs risque de venir me hanter cette nuit parce que j'ai utilisé le terme « réalité virtuelle ». Apple se targue plutôt de vendre un « ordinateur spatial ». 

C'est une façon typiquement « applesque » de dire que lorsqu’on porte l'appareil, celui-ci nous montre… la pièce où on se trouve. On peut alors ouvrir différentes applis et fenêtres et les fixer à un endroit. On tourne la tête et la fenêtre reste où elle est. Chouette. On peut regarder un film sur un gigantesque écran (cool!) ou ouvrir le tableur Excel et regarder le rapport trimestriel flotter dans les airs (cool?).

D'autres appareils peuvent faire semblablement, comme le Meta Quest 3, mais experts et groupies s'entendent : Apple le fait mieux. Et avec un prix d'achat de 4 700 $, ON L’ESPÈRE!

Pour être bien honnête, le gadget m'indiffère grandement. Néanmoins, j'ai remarqué quelque chose en voyant les vidéos promotionnelles. 

La première vidéo diffusée par Apple nous montre d'abord une jeune femme, dans un appartement très épuré (a-t-elle a vendu ses meubles pour s'acheter un Vision Pro?). Le casque au visage, elle regarde des photos quand une deuxième personne entre dans la pièce. La surface extérieure du Vision Pro affiche alors les yeux de celle qui le porte. La deuxième personne en question entame la conversation en faisant semblant que ce n'est pas du tout étrange (ce l'est). Elle ne porte pas de Vision Pro.

Puis on voit un père, casque sur le coco, se repassant la vidéo en 3D qu'il a prise avec le Vision Pro. Les images seraient-elles aussi touchantes si la mère était aussi dans le portrait, un écran vissé dans la face? On en doute. Les enfants, eux, auront comme souvenir que leur père était ce weirdo qui traînait son « ordinateur spatial » au parc. 

Évidemment, on nous montre aussi quelqu'un qui regarde un film sur un écran virtuel aussi immense que sa solitude. Car l'écran a beau être large comme celui d’un IMAX, on ne peut pas le partager, à moins d'avoir vendu son rein en plus de ses meubles pour avoir deux appareils.

Quand vous faites un appel vidéo avec le Vision Pro, votre visage flanqué d'un casque de ski techno est remplacé pour votre interlocuteur par un avatar virtuel qui a l'air d'un personnage secondaire de jeu vidéo. Dans une autre publicité, on voit donc une femme prendre un appel. La personne qui l'appelle le fait-elle d'un Vision Pro? Est-elle un double numérique flottant dans le vide? Que nenni! Encore une fois, la protagoniste semble vivre dans un univers où elle possède le seul et unique exemplaire de l'appareil. 

Il en va ainsi pour tout le matériel promotionnel. Jamais n'y voit-on deux personnes portant le casque. Trois personnes portant le casque. Quinze collègues de bureau portant le casque. C'est toujours une seule personne à la fois. 

C'est qu'Apple le sait : si on nous montrait un monde dans lequel tout le monde se promène avec un Vision Pro sur la tête, personne n'en voudrait. Qui souhaiterait vivre dans une telle dystopie?

Bien plus que l'inconfort d'avoir plus d'un demi-kilo attaché au visage, bien plus que la fatigue oculaire et les étourdissements qu'il provoque, bien plus que son prix, il est là, le problème de cet appareil venu du futur : le futur a l'air vraiment moins cool quand tout le monde est dedans, et pas juste nous.

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