L’empathie a un coût

Emmanuelle Gril | 05 septembre 2023, 11h41

Prendre soin de ses enfants ou d’un proche est magnifique. L’empathie a cependant un prix, souvent payé par les femmes.

Comme beaucoup de gens dans mon entourage, je réponds à la définition de la « génération sandwich ». Nous avons eu nos enfants bien plus tard que ceux qui nous ont précédés, et nos parents vieillissants commencent à requérir de l’aide et des soins. Résultat : nous nous retrouvons coincés entre les besoins souvent difficiles à concilier de nos jeunes et de nos parents.

Je vois plusieurs femmes dans ma tranche d’âge batailler pour réussir à s’occuper à la fois de leurs ados et d’un père ou d’une mère — parfois les deux — aux prises avec de graves problèmes de santé. Cancer, maladie d’Alzheimer, invalidité à la suite d’un ACV… la liste est longue.

Au bout du compte, certaines doivent se résoudre à manquer des jours de travail, opter pour du temps partiel ou même à prendre un congé sans solde pour faire face à ces obligations multiples. Tout ceci a un coût.

Les femmes touchées de plein fouet

Sans surprise, la majorité des proches aidants sont des femmes, 57,5 % selon les données de l’Institut de la statistique du Québec. Audréanne Leblanc, fiscaliste et planificatrice financière au Mouvement Desjardins, mentionne : « Elles sont aussi plus susceptibles de fournir de l’aide pour certaines tâches, comme le ménage, la préparation des repas, les soins personnels, l’organisation des soins, etc. De leur côté, les hommes se chargent plus souvent de l’entretien de la maison. »

Cet engagement et le temps consacré à un proche ont un impact sur les revenus des proches aidantes, mais également sur leurs perspectives de carrière, car elles sont moins disponibles. Cela réduit du même coup les possibilités d’avoir accès à un emploi mieux rémunéré.

Qui dit moins de revenus dit aussi moins de cotisations au Régime des rentes du Québec (RRQ), et donc une rente diminuée à la retraite. La marge de manœuvre financière pour cotiser à leurs REER s’en trouve alors amoindrie.

Une étude menée par UBS a d’ailleurs démontré qu’une femme qui met sa carrière sur pause pendant six mois ou plus pour prendre soin d’un parent malade, par exemple, en subira les conséquences à la retraite. Elle aura accumulé 43 % moins de richesse à ses 85 ans, comparativement à une personne qui n’aurait pas cessé de travailler.

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Des pistes de solutions

Est-il possible de se protéger de ces impacts négatifs ? Audréanne Leblanc, qui a été proche aidante pendant plus de deux ans, connaît bien les défis qui y sont reliés. Elle insiste d’abord sur la nécessité de communiquer ouvertement avec la personne dont on prend soin, pour éviter les non-dits et les incompréhensions mutuelles. « Il faut aussi se faire accompagner pour mesurer les conséquences pour soi-même, tant sur le plan psychologique que financier. Quel sera le coût si on arrête de travailler ? Est-ce que cela dépasse nos limites ? Pourrait-on déléguer certaines tâches ou aller chercher de l’aide auprès d’organismes ? Ce sont toutes des questions à se poser », dit-elle.

Elle recommande par ailleurs de s’informer sur les assurances dont le parent disposerait, ou encore de l’épargne qui pourrait être utilisée pour confier certaines tâches à des ressources extérieures. Il est également bon de vérifier que le testament, le mandat de protection ou les directives médicales anticipées sont bien à jour, au cas où.

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Établir sa stratégie financière

Le recours à un expert permet aussi au proche aidant de mettre sur pied une stratégie concernant ses finances personnelles. « L’argent et les émotions étant toujours très imbriqués, s’asseoir avec un professionnel aide à prendre du recul et à évaluer ce qu’il nous en coûterait concrètement de réduire nos heures de travail. Et pour ne pas nuire à notre propre sécurité financière, il faut réaliser avec lui une planification de retraite », conseille la fiscaliste.

La créativité a sa place dans la réflexion. Ainsi, la perte de revenus du proche aidant pourrait être compensée au moment du décès dans le testament du parent, en lui laissant une plus grande part du patrimoine par exemple. « L’essentiel est d’y penser avant et d’ouvrir le dialogue avec la personne dès que possible », fait valoir Audréanne Leblanc.

Le premier réflexe des parents qui liront ce texte, tout comme moi en écrivant ces lignes, sera sans nul doute de se dire : « Je ne voudrais surtout pas faire vivre cela à mes propres enfants ni leur imposer un tel fardeau. » Alors, pensons à nous protéger nous-mêmes, par exemple avec une assurance invalidité ou maladie grave, sans oublier de vérifier ce qui est inclus éventuellement dans le régime d’assurances collectives de l’employeur.

Une femme avertie en vaut deux…

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